Accueil BIEN aimé Une soirée à Lascaux IV : nourritures spirituelles et terrestres

Une soirée à Lascaux IV : nourritures spirituelles et terrestres

Les tables sont dressées dans la galerie de l'Imaginaire © SBT
PRIVILÈGE. Lascaux 4 propose à de rares éditions une soirée d’exception, composée d’une visite prestige, parenthèse intimiste de 2h à la lueur d’une lampe torche, puis d’un dîner gastronomique préhisto-compatible signé par un chef étoilé et servi dans la Galerie de l’Imaginaire. La première soirée Art Pariétal et Gastronomie s’est déroulée samedi 20 juillet. La prochaine est prévue samedi 3 août. Une autre suivra en septembre.

C’est entendu, et attendu : nous entrons bien dans une réplique de Lascaux et non dans la grotte originale. Sa 4e déclinaison en fac-similé inaugurée en 2016, restitution quasi dans son intégralité (à 95 %) grâce à une armée de talentueux faussaires et une performance de relevés 3D que ne permettait pas la version exécutée par l’artiste Monique Peytral pour l’ouverture de Lascaux II (restituant seulement les salles les plus riches de la grotte), en 1983 : un défi alors exceptionnel et qu’il faut aussi aller visiter, à proximité de la grotte authentique, pour d’autres émotions.

À l’identique

© SBT

Car celles-ci demeurent par-delà la magnifique doublure, a fortiori en optant pour cette visite privilège, en entrant dans le site à sa fermeture, en croisant les derniers visiteurs. On a beau le savoir, embarquer dans l’ascenseur qui nous conduit au belvédère en surplomb du paysage d’où l’on contemple la colline de la grotte authentique, à 800 m ; suivre le cheminement étudié, pousser les portes et deviner les coulisses, ambiance salle d’opération pour “préparer la grotte” pour le groupe en approche, faire coulisser les parois de verre avant d’accéder aux parois ornées ;  la magie opère et le récit qui accompagne le passage de la lumière à l’ombre parvient à captiver le touriste le plus blasé. La qualité acoustique du casque posé sur la tête — seul au monde avec le guide mais pas trop dans une bulle — ajoute à la qualité de visite guidée par celui-ci, en l’occurrence Samuel, notre compagnon de grotte pour plus d’1h30.

Des pourquoi sans réponses…

© SBT

Chaque chose en son temps, chaque temps à sa place… C’est à la lueur d’une torche que Samuel éclaire les copies des œuvres découvertes en 1940 dans la grotte de 230 mètres de long, ouverte en 1948 puis fermée aux yeux du public en 1963. « Nous sommes entrés dans la grotte il y a 20 000 ans… » En associant les humains que nous sommes devenus à ceux dont nous avons perdu les codes d’entrée dans leur expression, le guide suggère que nous ne savons plus plutôt que nous ne savons pas, nous avons perdu les réponses aux questions que nous continuons donc à nous poser.

© SBT

Il y a 20 000 ans, la toundra s’étendait à la place de l’actuelle forêt verdoyante et Sapiens y vivait dehors, par des températures pouvant aller jusqu’à -20°, « il a quitté la pleine lumière pour investir ce lieu sombre, non pour se protéger mais pour dessiner ». Des animaux, grands classiques de l’art pariétal, mais ici en nombre, format, diversité de couleurs et techniques employées tout à fait incroyables ; et surtout, en y ajoutant un caractère abstrait. Et ces animaux ne sont pas ceux que sapiens côtoyait dans son monde du dehors. Les rennes manquent ainsi dans les représentations.

… alors, place à l’imagination

© SBT

Muni de lampes à graisse – on en a retrouvé 150 sur place, certaines elles-mêmes de véritables œuvres d’art mobilier – pour percer l’obscurité, l’homme est allé au plus profond de ce qu’il ne connaissait pas, repoussant ses craintes, il a bâti des échafaudages avec des bois fort rares dans son proche environnement, il a fabriqué des pigments de 13 couleurs différentes et s’est appliqué, dans des conditions bien peu confortables, à utiliser au mieux les contours et le relief des parois pour jouer sur les perspectives et la taille des animaux “exécutés”… façon de parler, car ils sont représentés bien vivants et énergiques, saisis dans des mouvements que la configuration des lieux a dû difficilement arracher au talent de l’artiste. Ces animaux bougent grâce à l’usage de l’ombre et la lumière, et la technique de la réserve claire, que la Renaissance théorisera et que tous les ateliers de dessin du monde font perdurer.

© SBT

Quels animaux ? La plupart bien reconnaissables, et des chimères issues de surprenants croisements, sans oublier une “échographie préhistorique” représentant un petit cheval dans le ventre de sa mère, et une licorne guidant ce fabuleux cortège vers les profondeurs de la roche… « Ces animaux nous ont inspiré, à toutes les époques. » Ils n’existent nulle part ailleurs que dans l’imagination de celui, ou celle, qui les a dessinés. Autant de raretés qui lui ont survécu.

Ces animaux semblent flotter, détachés de tout paysage, de tout repère céleste, parfois escortés de symboles. Avec des formats d’aplats très gourmands en couleurs : une tonne de poudre colorée a été retrouvée dans le sol de la grotte, ce qu’il restait de la quantité qui a dû y être utilisée. Dans l’enchevêtrement des figures, le point rouge guide le regard qui se perd dans les arcanes rocheux, pointe la manière identique dont les bovins sont dessinés à Lascaux, ou encore une patte d’ours avec ses griffes, et des cerfs qui semblent surnager d’un cours d’eau. Sur les 600 figures du bestiaire de Lascaux, les chevaux comptent pour plus de la moitié.

Prise de tête assurée

Samuel, aux commandes de ce voyage temporel © SBT

L’art pariétal se concentre sur le continent européen, avec 450 sites. Parmi eux, Lascaux foisonne de représentations et à l’intérieur d’elle, une salle fourmille de dessins, gravures, peintures gravées superposés, plus riche à elle-seule que les deux précédentes réunies. La moitié des 2000 représentations de Lascaux se trouve dans cette abside. « Qu’est-ce qui a pu nous pousser à aller au fond, au plus noir, avec des lampes qui devaient sentir très fort, pour se hisser au plafond et multiplier des dessins au point qu’on n’arrive plus à les distinguer ? » Pour reprendre l’expression d’un visiteur retenue pas Samuel, « c’est une prise de tête » : on en était déjà capable.

Car l’art pariétal n’est qu’une forme de ceux pratiqués à l’époque et ces dessins auraient pu être tracés bien plus facilement en extérieur, art rupestre des falaises. Les erreurs accumulées dans les années 1950, lors de l’ouverture commerciale de la grotte, sans que la recherche ait pu investir les lieux sur la durée, a fermé bien des portes à de possibles explications sur ces contraintes d’exécution artistiques… peut-être perdues dans les monceaux de sol archéologique déblayés pour laisser libre cours aux visites.

Formes à deviner

« Pour des animaux comme nous, descendus dans la pénombre pour en dessiner d’autres sur les parois, n’est-ce pas déjà une façon de s’en différencier ? Il y a 20 000 ans comme aujourd’hui, c’est toujours lui qui dessine les autres. » Nos ancêtres ont longuement observé avant de dessiner, en utilisant plusieurs techniques et l’architecture naturelle de la grotte, en tirant profit d’un lieu complexe qui semble avoir été d’abord étudié et pensé avant toute décoration. Dans le noir du Puits profond de 7 m, où l’oxygène devait manquer autant que la lumière, l’homme a œuvré uniquement au trait noir pour tracer la seule représentation humaine de Lascaux, piètre dessin comparé à ce qu’il a su montrer des animaux, homme fragile en proximité avec un rhinocéros, un bison et un oiseau, « la scène la plus étrange de tout le paléolithique, qu’on essaie de comprendre depuis sa découverte ».

La Licorne guidant le peuple animal © SBT

Quelle est l’utilité de ce dessin réalisé précisément où il ne pouvait être vu ? « Peut-être la grotte se situe à la frontière de deux mondes, intérieur et extérieur, et que ce qui y est représenté ou qui s’y déroulait ne se passait pas dans la réalité quotidienne du dehors, et inversement. » Il existe un style Lascaux, homogène. « Et si la démarche artistique n’a pas débuté ici, elle y a atteint le premier pic de maîtrise totale. »

Décalage excellent à la sortie

La réplique de la Scène de Puits © SBT

C’est en sortant des galeries reconstituées, en pénétrant dans l’Atelier, que le visiteur peut se plonger dans les détails de la scène du Puits. Et les différents décryptages. Il est dit que celui relatif aux transes ou au chamanisme arrive dans les années 70, soumises à des substances et voyages non moins artificiels : « les théories que nous émettons en disent plus sur notre époque que sur la leur ». Dans l’Atelier, on peut s’attarder encore devant les panneaux, dont la Salle des taureaux et ses symboles. Un passage dans le hall central offre une étape devant les souvenirs de la découverte de la grotte et les noms qui lui sont associés.

Hommage aux découvreurs © SBT

Les pas des visiteurs de cette soirée spéciale sont dirigés vers une salle immersive où s’entrecroisent les aventures d’autres cavités, ailleurs dans le monde, d’autres images, d’autres questions sans réponses… On sort tout doucement de cette plongée métaphysique dans les mystères de nos origines pensantes pour saisir le verre de cocktail qui annonce la découverte gastronomique qui nous attend. Deux tables sont dressées dans la galerie de l’Imaginaire, sous la voûte de ce que Lascaux a pu inspirer à d’autres artistes et de ce que la créativité humaine a généré depuis.

Cocktail intemporel © SBT

 

 

Une étoile sous la voûte magique de Lascaux

Chants d’oiseaux en sourdine et centres de table en hymne à la nature. Fabien Delmar, directeur d’exploitation du Café Lascaux, se fait le porte-parole du travail réalisé avec Pascal Lombard, chef étoilé du 1862-Les Glycines (Les Eyzies) pour étudier, imaginer et concrétiser le menu préhisto-compatible proposé ici depuis deux ans, réalisé sur place avec les chefs exécutifs, « avec des fumages, des méthodes de cuisson et une modernité permettant d’aller de Lucie à Escoffier ». Pour cette expérience inoubliable, il se propose, « même si on n’a rien inventé avec le fumage, les cuissons, les acidités, de nous ramener à nos origines pour passer un moment convivial » aussi plaisant qu’il ont eu à le concevoir. Les couples de touristes attablés, venus de tous horizons, se sont laissé tenter par l’alliance de deux curiosités, la découverte de la grotte en petit comité et celle d’une table étoilée déplacée dans un lieu aussi insolite. Coup double apprécié, et mission réussie pour les équipes de Pauline Maslen, responsable de la médiation culturelle de ce centre international d’art pariétal géré par la Sémitour.

Menu préhisto-délicieux

Ce foie gras relève de l’extra local et l’extra frais : des lobes reçus le matin-même, snackés à la plancha puis fumés au bois de genévrier, sont réservés au frais en terrine. La tranche est servie avec des poires pochées aux 5 baies et des noix du Périgord.

La truite de la Beune, ruisseau qui coule aux Eyzies, capitale de la préhistoire, est livrée en filets entiers travaillés façon gravlax, marinés 48h sous gros sel et agrumes. Le résultat est passé quelques heures à -18 pour dessiner le cercle de présentation constellé de parcelles roulées au charbon végétal (extrait de la coque de noix de coco). La part est servie avec une tuile à l’encre de seiche et une virgule de fromage blanc aromatisé au piment de Thonac.

Le plat principal relève de la modernité quant à son mode de cuisson : ce plat robuste et généreux, dans un esprit retour de chasse, est conçu à partir d’un barbecue au genévrier, « puis cette presa de cochon passe au four très basse température entre 57 et 62° pour un moelleux incomparable ». Il est présenté avec une purée déstructurée au siphon, grosses pommes de terre cuites au sel, un jeu de textures, avec de petites racines de saison (carottes, échalotes) et noisettes torréfiées.

Le dessert, construit sur une base de craquant au chocolat blanc, est un sabayon aromatisé au sureau dont les notes florales se marient bien avec les fruits des sous-bois et le gel de fraises.

Sortie sous un ciel d’orage, Lascaux, un éclair dans la nuit © SBT