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Une multitude de Martial Raysse

Martial Raysse, lors du vernissage © SBT
PROTÉIFORME. Martial Raysse s'est installé en Périgord en 1979 dans une sobriété devenue heureuse, après avoir fait le tour des excès du marché de l'art. De reconnaissance internationale en retrait choisi, cet artiste phare des années pop brille dans de prestigieuses collections avec des œuvres plus récentes. Le château de Biron expose quelques-uns de ses multiples visages, et virages, artistiques.
Le bout du monde, 2009, détrempe sur toile, 148 x 100, collection particulière – Martial Raysse © Adagp, Paris 2024

Enfant de l’école de Nice, tête chercheuse du Nouveau réalisme et du pop art au début des années 60, Martial Raysse a choisi de s’installer dans un petit coin du sud Dordogne parce qu’il lui semblait « beau et abordable » à un moment de rupture avec le marché de l’art et une vie de turbulences urbaines. Depuis 1979, il n’a jamais cessé de créer dans son atelier de Bouniagues et n’est jamais revenu à la « civilisation » urbaine, lui préférant une solitude choisie. C’est donc en voisin qu’il a assisté au vernissage de l’exposition organisée par le Département au château de Biron, où l’artiste a sélectionné parmi les étonnantes variations de sa créativité des œuvres réalisées sur une période de quarante ans (1974-2014). Les sorties de ce créateur prolifique sont discrètes et n’en sont que plus remarquées lorsqu’elles sont publiques, prise de parole à l’appui.

Reconnaissance et solitude

Au premier plan, Liberté chérie, maquette pour le bicentenaire de la Révolution Française (1989) Fonte en bronze à cire perdue – Derrière l’artiste : Diane des terrains vagues (1989) Détrempe et fusain sur toile © SBT

« Bien faire, c’est un bienfait : ça fait du bien physiquement, j’encourage chacun à faire de son mieux, quoi qu’il fasse. » Il faut s’appeler Martial Raysse pour promener, à 88 ans, une facétie quasi-juvénile dans cette infime partie de son foisonnement créatif tout en prodiguant un discours qu’il qualifie volontiers de “vieux schnock” : s’il parle de peinture incisive, décisive, de son accent toujours méridional, c’est pour balayer les modes dont il fut pourtant une tête d’affiche et les mouvements artistiques qui se sont succédé depuis son succès des insouciantes années 60, joyeuses expressions intégrant le néon au rang de couleur vivante. « Tout à coup, au XXe siècle, dans le désarroi des esprits, tout le monde s’est précipité sur une autoroute en pensant que la peinture figurative était ringarde : on s’aperçoit que c’était un chemin de traverse, qui aboutit à des niaiseries. »

Allégories et universalité

Référence dans un milieu artistique dont il se tient encore éloigné, « où chacun s’autorise de celui qui l’a précédé », Martial Raysse a bénéficié de rétrospectives de son œuvre en 2014 au centre Pompidou et en 2015 au Palazzo Grassi à Venise, son imposant Carnaval à Périgueux est entré en 1993 dans la collection Pinault (mais n’a pu être hissé à Biron). Ses œuvres les plus récentes ont été exposées au musée Paul-Valéry de Sète l’an passé, sujets allégoriques et universels, dont la guerre en Ukraine —  ses tableaux La paix et La peur disent autrement la peur éprouvée dans son enfance pendant la guerre — même si son inspiration actuelle va plus volontiers vers « les fleurs, les oiseaux, les femmes : les artistes doivent mettre du beau et du bon dans le monde, ça sert à rien de pleurnicher sur la vie, c’est un privilège inouï et une grande responsabilité ».

Magorie (série Loco bello), 1976, pastel gras et détrempe sur papier, 123,5 x 156,5, collection particulière – Martial Raysse © Adagp, Paris 2024

Il dit avoir attendu un jour de belle humeur pour finaliser le grand portrait de son fils — Le sceau du premier jour, visible à Biron — et c’est finalement un jour de très méchante humeur qu’il l’a orné d’un papillon entré dans son atelier. « Il n’y a pas de règle, c’est mystérieux. » Le plus important restant le plaisir qu’il prend et chaque nouvelle émotion qui fleurit sur l’expérience accumulée, en profondeur.

 

« On dit que la culture va sauver le monde… elle peut simplement limiter les méfaits de la barbarie. Je suis toujours touché quand le public vient voir des œuvres d’art, il témoigne d’une volonté que l’esprit survive aux méfaits de la société.»  Martial Raysse

Des maîtres sur les épaules

Considérant que la peinture n’a pas d’âge, l’artiste se place dans la lignée de peintres qui se sont appliqués au fil du temps à comprendre ce que les autres avaient voulu raconter avant eux, et aimerait en être digne. « J’ai une avalanche de maîtres sur les épaules, il faut être attentif à ce qu’ont fait les anciens : c’est un bonheur pour moi de voir comment est fabriqué un tableau. » Aucun de ses contemporains ne trouve grâce à ses yeux et si on lui offre l’histoire de l’art à explorer, il résume son admiration à un nom : Fouquet.

Ensemble (é)mouvant

La cheminée (série La petite maison), 1979, détrempe sur papier, 24 x 21 cm, collection Angelina R. – Martial Raysse © Adagp, Paris 2024

De l’allégresse du cycle Loco bello (1974-1978) au télescopage de portraits, nus, paysages et scènes de genre (2008-2014) entre humour et allégories, le visiteur circule dans La petite Maison de l’arrivée en Périgord (1979) qui donne aux objets le statut de sujet plutôt que de nature morte ; le vaste panorama des contes et légendes, entre réel et imaginaire, et la grande peinture d’histoire (période 1980-2003). Vitalité et inventivité se lisent dans les cinquante peintures, dessins, sculptures (matières modelées, volumes et assemblages) et poésies (« des sonnets, la forme la plus difficile » assure celui qui se définit d’abord comme poète) présentés sur les deux niveaux des bâtiments des Maréchaux et d’Henri IV du château. Une salle de projection est consacrée à son œuvre cinématographique.

La force du dessin

Temps couvert à Tanger, 2014, huile sur toile, 166 x 206 cm, collection particulière – Martial Raysse © Adagp, Paris 2024

Avec des couleurs pures et pigments naturels, une peinture à la détrempe, il s’empare de sujets mythologiques et de légendes, de paysages et de portraits, comme celui d’un voisin paysan à la licorne apprivoisée – L’archer des granges hautes, 1989 — , ou l’aperçu de l’intimité prosaïque de La petite maison qui a fixé sa présence en Périgord (série de 1979). Cette entrée dans une vie rustique lui avait alors permis de larguer bien des amarres… Il se surprend presque d’y demeurer encore, 45 ans plus tard, un peu plus de la moitié de sa vie, à capturer des émotions pures en goûtant pleinement sa liberté de choix des sujets. L’artiste clame l’instant unique, lequel explique en partie la multiplicité de son œuvre : « Une fois, jamais plus ! » Et l’on mesure davantage encore, en écoutant ce jeune homme de 88 ans, la parenthèse enchantée de cette rare sortie. En se prenant en espérer, en ce même écrin-forteresse, une présentation prochaine des œuvres de sa compagne, Brigitte Aubignac, mêlant au public sa présence discrète. Elle cultive, dans son atelier voisin de Biron, un univers tout aussi foisonnant, peuplé de faunesses contemporaines, de corps et âmes blessées, scènes intimes face au miroir et dépouillements tranquilles, à l’abri du monde.

  • Martial Raysse – Peintures, statues, poèmes 1974-2014, exposition jusqu’au 11 novembre organisée par le service du patrimoine du Département de la Dordogne, propriétaire du château, lieu d’art contemporain depuis 2016.
  • Du 15 septembre au 18 octobre et du 4 au 11 novembre, en partenariat avec la conseillère pédagogique départementale Arts plastiques et patrimoine, des visites et ateliers pédagogiques dédiés au public scolaire sont prévus dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle (EAC).
  • Pour les Journées européennes du patrimoine (21 et 22 septembre) : entrée demi-tarif, visites en continu.