Leur champ entouré de fils électriques est au milieu d’un site boisé, bien à l’écart de la route et près d’une ferme habitée dans le Périgord vert, près de Saint-Jean-de-Côle. Les grandes plantes aux feuilles découpées qui ressemblent à des mains sont caractéristiques du cannabis. Si la plantation de Bastien et Gilles est discrète, ce n’est pas pour éviter les visites des gendarmes, mais pour se prémunir de vols. « Notre culture est déclarée. Les consommateurs de haschich qui viendraient en arracher seraient bien déçus. Ces plants ont moins de 0,3 % de THC, le principe actif qui transforme le chanvre en drogue », explique Bastien. Zéro effet planant. Ils sont issus de variétés sélectionnées qui comportent moins de 0,3 % de tétrahydrocannabinol, le THC, une molécule stupéfiante interdite en France. Mais ces variétés cultivées autorisées sont riches en cannabinol, désormais connu sous ses initiales CBD.
Confusion et cousinage
Légalisée depuis seulement quelques années, cette culture s’est développée en Périgord. Manuel Berthaud, installé près de Bergerac, fut l’un des premiers à se lancer en 2020, après l’avoir découvert en 2017 dans un autre département. Il a créé l’association Chanvre Périgord à laquelle adhérent Bastien et Gilles depuis deux ans. Huit exploitations de paysans chanvriers, toutes en bio, maillent la Dordogne. Celui qui fut un temps vice-président national du syndicat des producteurs, actuellement au nombre de 300, s’est battu pour développer cette filière plusieurs fois menacée par des interdictions à cause de son cousinage avec le cannabis. « L’autorisation par l’Europe nous protège désormais et nous avons trouvé notre place sur le marché du bien être », constate ce pionnier.
Sol vivant
Les chanvriers partagent leurs expériences de culture délicate, surtout avec leur choix du bio. « Pour éviter les maladies et les insectes ravageurs, nous utilisons des purins de plantes, par exemple d’ail et de piment », explique Gilles dans la ferme du Périgord vert. Au début, ils ont utilisé le terrain d’une ancienne truffière avant de s’installer sur une terre mieux adaptée, avec un puits qui permet de bien irriguer. « Tous les choix de culture sont partagés et votés par le réseau », explique Bastien. Le travail se fait sur sol vivant avec du compost et du paillage, et des stimulations microbiennes. Ils ont multiplié les essais et les erreurs, mais ils progressent chaque année. « C’est passionnant », s’enthousiasment les deux néo-paysans. Ils conservent d’autres activités à côté, mais comptent bien en vivre à 100 % un jour.
« On dort bien la nuit »
Le travail est important tout au long de l’année. Plantation des graines en godets, préparation du sol, repiquage dans le champ, soin des plants, traitements bio… La récolte s’effectue en septembre-octobre dans un temps très délimité. « Si on ne fait pas attention, le taux de THC peut monter et rendre le CBD impropre à la vente ». Ils travaillent à deux, mais la famille et les amis viennent parfois en renfort. « Quand on a les mains toute la journée dans les fleurs de chanvre, on dort bien la nuit », sourit la mère de Bastien. Si le CBD, considéré comme un aliment, n’a pas d’effet thérapeutique reconnu, il est réputé pour faciliter le sommeil, participer à la lutte contre le stress et calmer certaines douleurs.
En circuit court
Après la récolte et tous les contrôles de qualité, vient le temps du séchage, puis des préparations. Il faut remplir et peser les sachets de fleurs ou de tisanes qui seront diffusés en vente directe. Là encore la famille, comme Brigitte, la mère de Gilles, donne de bons coups de main pour cette mission de précision. Il faut enfin faire le tour des buralistes pour approvisionner le rayon CBD local.
Officiellement le CBD est un produit alimentaire, vendu en fleur, en huile ou en poudre. Il peut être consommé sous de nombreuses formes, dans des plats, bu en infusions, appliqué en massages. Mais il est le plus souvent acheté pour être fumé. Les chanvriers du Périgord ont monté un circuit court de diffusion chez les buralistes du département. Chaque exploitation démarche et fournit des points de vente dans son secteur. D’où la répartition harmonieuse des huit adhérents actuels.
Grossistes et détaillants
« Il y a encore de la place pour quelques-uns, on n’arrive pas à répondre encore à tous les marchés », explique Manuel. Le CBD du Périgord remplace des produits importés, notamment d’Italie. 80 % de la production est vendue à des grossistes et seulement 20 % en direct via plus d’une quarantaine de lieux en Dordogne : des buralistes, des épiceries et des boutiques de producteur.
D’autres filières organisées de culture du chanvre existent en Dordogne avec des plantes destinées à l’isolation ou au textile. Sans parler des cultures clandestines du cannabis avec THC que traquent les gendarmes chaque fin d’été…
Les buralistes s’impliquent
À travers la Dordogne, des buralistes qui ont adopté le CBD acheté à des grossistes sont aussi heureux d’avoir des produits du Périgord plutôt que des produits importés. Au Brabant, à Bassillac, Sandra Bochaton diffuse les petits sachets cultivés en Périgord vert par Bastien et Gilles. Les spécialités mises au point par les chanviers d’ici ont pour nom Green Péri, Black Péri, Purple Péri, Cyrano Kush… Sa clientèle pour ces produits est plutôt un peu âgée. D’anciens fumeurs de cannabis ont confié à la buraliste être passés au CBD qui est légal et relaxant.
Sandra adore multiplier les initiatives dans son tabacs-journaux, point de rendez-vous central de la commune. « Pour moins polluer, j’ai aussi commencé à récupérer les cendres et mégots des fumeurs. En 2023, j’ai récolté 7,8 kg. Collectés dans de grand bidons, ils partent au recyclage avec l’association basque Tree6clope ».