Développer la production et l’utilisation du chanvre en Périgord répond à l’idée que se faisait Sylvie Chevallier de ce terroir en y arrivant, il y a 20 ans, quittant la capitale pour devenir vigneronne en Bergeracois : la ruralité est pleine de ressources, et le chanvre n’en manque pas non plus. À titre personnel, il faut ajouter que son oncle produisait cette plante pour les papiers de cigarette. « Mon père cultivait du lin, j’ai une familiarité avec tous ces champs où je jouais dans mon enfance. » Le retour à la campagne qu’elle a organisé de façon vertueuse pour sa propre destinée, avec un passage en bio pour ses vignes et la magie de voir la terre revivre, se double de l’énergie qu’elle met, en tant qu’élue départementale, à accompagner ce changement d’époque. « Être en interaction avec la nature sans chercher à la dominer, rester à sa place d’humain, la respecter… Je retrouve cette harmonie avec les qualités du chanvre. Il fait du bien au sol, il permet de passer à d’autres cultures en alternance en minimisant le nombre d’intrants, il est très adapté au Périgord qui était, historiquement, le premier producteur de France… » Une expérimentation récente montre que le chanvre a de nouveau toute sa place car il permet de mettre en place des productions intéressantes, puisque le développement d’une économie reste l’indispensable allié de cette réintroduction dans le paysage.
La rencontre avec Danielle Charenton, forte d’une solide connaissance et expérience en la matière (De toutes les matières, c’est le chanvre qu’elle préfère…), a redonné envie à Sylvie Chevallier de tirer le fil qui la reliait à cette culture et de sortir de la compétence tourisme qui est la sienne au Conseil départemental pour constituer un groupe de travail dédié, avec les encouragements des élus concernés. Les services de l’agriculture et de l’économie sont associés à cette étude aux côtés de François Hirissou, chargé de mission à la Chambre d’agriculture, à l’origine de l’expérimentation aux côtés de Danielle Charenton.
La germination est en cours depuis un an, elle se nourrit des expertises croisées et des motivations communes pour tracer un inventaire des connaissances et des expériences menées en Sarladais. Ce qui conduit à un répertoire de débouchés vraiment constructifs, à partir duquel il a fallu choisir des pistes en fonction des partenariats possibles localement. Car l’enjeu réside bien dans une filière de proximité. « On a identifié la variété adaptée, le matériel nécessaire, c’est déjà beaucoup. Il faut valoriser cette plante dans plusieurs domaines pour qu’elle soit rentable. Le textile est la piste la plus porteuse, mais elle dépend de l’acquisition d’une machine pour le défibrage : le prototype existe, nous devons acquérir une autonomie et garantir une qualité. » Actuellement, c’est la Bulgarie qui s’est imposée dans cette tâche. « On peut convertir des outils, je connais une linière, en Normandie, qui adapte sa machine au chanvre. »
Créer un écosystème
Le groupe de travail a rencontré des partenaires potentiels qui étudient le projet : la coopérative Scar pour la graine, notamment. « Nous devons maintenant nous insérer dans le schéma régional, en mettant en avant notre antériorité dans la démarche. Le Département va pour sa part lancer une étude économique en mettant l’ingénierie à disposition, nous allons aussi contacter une étudiante qui prépare sa thèse d’ingénieure sur le sujet. » Objectif : élargir le groupe de travail pour former une filière déjà solide localement, autour des chaux de Saint-Astier, des papeteries de Couze Saint-Front ou des Tricots de La Tour à Moulin Neuf. « Mais nous devons porter un projet mature pour être crédibles. Nous devons construire des arguments pour soutenir nos propositions : les industriels ne nous suivront pas seulement sur une idée. » Sans se fixer d’échéance, le groupe de travail regarde ce qui avance aussi ailleurs. Une visite des Chanvres de l’Atlantique est ainsi prévue dans les Landes, Couleur Chanvre à Saint-Jean-de-Luz, sans oublier le prototype réalisé par Pierre Amadieu. La formation représente bien sûr un volet important du projet, et le lycée agricole est aussi dans la boucle comme acteur essentiel de la filière.
La réflexion de ce collectif porte sur le chanvre agricole, et non pas sur le chanvre thérapeutique pour lequel des expérimentations se déroulent en Creuse. « Les débouchés de celle-ci sont très contraints et on souhaite s’en démarquer, d’autant qu’elle souffre d’une image diabolisée et réductrice. » Si le chanvre s’adapte à tous les terroirs, il est particulièrement adapté aux terres à tabac et cela tombe bien dans une vallée de la Dordogne marquée par la déprise de l’herbe à Nicot qui a fait sa richesse. « Il me tient à cœur que l’on accompagne les agriculteurs dans une autre production, à la fois facile, naturelle et lucrative. Avec ma casquette d’élue chargée du tourisme, j’ajoute que ce secteur économique ne pourra perdurer que si l’on garde de beaux paysages et des villages vivants tout au long de l’année. Nous avons la chance d’avoir un patrimoine architectural magnifique, le cadre naturel ne l’est pas moins. »
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