Accueil BIEN aimé Un nom d’étoile en lettres de feu

Un nom d’étoile en lettres de feu

©D.R.
ROMAN. C’est l’histoire d’une femme qui se serait trompée d’époque. Trop tard pour rester muette, trop tôt pour que sa parole porte véritablement… au cinéma comme dans la vie. Hervé Brunaux retrace le destin de Simone Mareuil, entre Périgord et Paris, gloire naissante et oubli. Dans les larges pans de mystères biographiques de cette femme, l'auteur laisse aller la puissance de son imagination pour la placer au cœur des Années folles.

Tiraillée entre ses origines familiales traditionnelles et la grande famille du cinéma, entre ses racines périgourdines et l’appel du Montparnasse festif des années 1920, entre l’idéal féminin et la réalité d’un esprit trop fin pour s’y abîmer, Simone Mareuil a laissé peu de traces de son passage sur les écrans. Mais au moins une image saisissante : obscur objet du désir de Buñuel, avant l’heure, l’actrice suscite l’émotion dans Un chien andalou (1929), à l’orée du surréalisme, avec cette lame de rasoir au ras de son œil écarquillé. Le symbole d’un caractère trempé, qui fixe un horizon personnel plus exigeant que la moyenne des starlettes du moment.

”Biographie réinventée“

Le livre est rythmé par les dates de sa filmographie, de la première apparition en 1921 à la dernière en 1939. Son entrée dans le métier sur fond de mœurs artistiques débridées est un trésor de descriptions plus vraies que ce que l’on sait d’elle : le Dôme et la fameuse Kiki, Soutine, Jules Pascin (le cliché de sa triste fin, en 1930, sautera aux yeux de Simone, bien plus tard, comme un signal pour achever la sienne), Dalí, Picabia, Duchamp et les autres ; mais aussi le pouvoir de la critique, la montée de l’antisémitisme… À l’ombre de la figure paternelle de grand commandant, protégée par sa fortune, Simone n’a fait qu’effleurer la bohème. Reste tout l’espace de sa disparition des écrans : que devient-elle loin des projecteurs ? Ce mariage sur le tard, en 40, avec en prince charmant l’acteur Philippe Hersent, signe le début d’une perte qui se confirmera dans le repli sur l’emprise maternelle. Quelques admirateurs la reconnaîtront encore après-guerre, mais les journaux ne retiendront plus que le générique de fin d’une vie d’artiste déjà effacée, sa sortie définitive des écrans de la mémoire, dans un terrible geste.

À une lettre près

Cette étoile aurait pu briller de mille feux, mais son destin prometteur s’est étiolé : pas assez dupe pour jouer la comédie, assez fleur bleue pour croire au grand amour… Hervé Brunaux organise un jeu de piste entre hier et aujourd’hui par l’intermédiaire d’un journal intime retrouvé dans le gîte que loue une famille parisienne en vacances à Coursac, à Guillaumias, dans ce qui fut la propriété des Vacher, nom véritable de la belle. L’auteur tisse un récit entre quelques fils de ce que l’on sait et l’écheveau d’une imagination fertile, qui comble les vides d’un avenir déçu. Désarroi intime et jeunesse dorée publique se superposent ; les deux partenaires du Chien, Pierre Batcheff en 1932 puis elle en 1954, imprimeront une sorte de malédiction sur cette œuvre. Elle souffrait d’un n ajouté à son prénom d’origine tandis que son nom à lui était amputé d’un f : d’emblée, ces deux-là ont l’impression de ne pas exister pour eux-mêmes.

Casting de rêve

On croise au fil des pages des figures liées au Périgord, de Rachilde à Joséphine Baker (celle de La Sirène des Tropiques) sans oublier le fidèle ami Aimé Clariond, et d’illustres artistes, de Man Ray à Foujita. Car ce portrait d’actrice est aussi celui d’une époque, une guerre s’est achevée, ensevelissant une génération d’hommes jeunes ; une autre se prépare, qui éteindra peu à peu la lumière de cette étoile. Et c’est le sort réservé aux femmes que l’on peut lire dans les années traversées, à la ville et à la campagne. La mère, Marguerite, effacée, dépendante de son mari puis de sa fille. L’amie Marthe, fracassée par son homme, si proche et trop éloignée socialement de Simone. Kiki de Montparnasse, tragiquement extravertie. Coco Chanel et le dessin d’une nouvelle allure de femme libérée. Jeanne Lanvin et son parfum iconique.

Actrice de sa vie

Après la traversée d’un tel tourbillon, comment se résigner à subir un après ? Fatalement, l’exil périgourdin va conduire au pire. Le choix d’une mort violente, cinématographique, pour se sentir enfin vivante. Actrice de sa vie.

• Le Fantôme d’une étoile, Hervé Brunaux, Éditions Les Livres de l’Îlot, 250 pages, 19,50€