À les voir installées dans cet espace lumineux de la médiathèque baptisé La Rotonde, on se dit que le choix du lieu est parfait : ces tricoteuses y poursuivent le défi, lancé au cœur du premier confinement, de réaliser un Grand Taureau à la mesure de son préhistorique ancêtre, dans La Rotonde de Lascaux. Autre support, talents à la maille. Elles se prénomment Sandrine, Jacqueline, Anne-Marie,… elles ont moins de 30 ans ou plus de 60 et ont plaisir à se retrouver le samedi de 16h à 18h pour tricoter une œuvre en même temps que du lien social.
Elles tricotent et papotent dans la Rotonde

C’est une idée de la directrice, Anne-Sophie Lambert, arrivée six mois plus tôt, inquiète de cette parenthèse imposée sur la fréquentation de la médiathèque (lire plus bas), et confiée à Odette Lasjaunias qui en assure, depuis, le pilotage. « Elle m’a dit, j’ai une idée et je te vois bien t’occuper de cet atelier, j’ai dit Bien sûr, sans savoir, et là elle me dit Si on faisait le Grand Taureau de Lascaux en tricot ? » Odette ne regrette pas. À force de carrés 5 X 5 cm, avec l’avantage de seulement cinq couleurs qui limitent la complexité de l’ouvrage, les voici arrivées au milieu du gué de ce qui les rapproche de la figure emblématique du Périgord.
Un fac-similé de plus pour le Grand Taureau

Tout aurait pu s’arrêter avec le retour “à la normale”. C’était sans compter les liens tissés à distance, avec un système de récupération d’enveloppes de pelotes et des échanges en visio allant bien au-delà du nombre de carrés nécessaires, et resserrés depuis avec le rendez-vous incontournable du samedi après-midi. « La récolte est actuellement de 2 640 pièces au point jersey, on a dû en perdre quelques-unes, mais ça prend forme. »
« On compte quatre fac-similés officiels, ce sera le nôtre, un peu plus simple bien entendu (quoi que !) et on ne le verra pas partout (quoi que !). Voilà, c’est à la fois un défi et un clin d’œil. »
Work in progress
L’ouvrage ébauché a véritablement pris forme depuis deux ans, avec un groupe de fidèles autour d’Odette et l’arrivée de nouvelles qui relancent l’enthousiasme, les mailles se relâchant parfois sur des moments de doute face à ce travail de longue haleine.

L’une brode l’autre coud pour assembler les pièces, « chacune apporte son petit truc à l’édifice ». De l’avis d’Odette, le plus simple est fait, qui a pourtant mobilisé beaucoup de temps et d’énergie ; les idées et renforts sont bienvenus pour assembler les parties les plus colorées et complexes, en suivant les contours du modèle. « Pourquoi ne pas peindre par endroits ? Essayer de mélanger différentes techniques sur fond de tricot, du collage ? Ça va germer au fur et à mesure… les tests de peinture végétale n’ont pas fonctionné. »
De fil en aiguille

Quelques hommes n’ont fait que passer par l’atelier, probablement impressionnés par la moyenne de quatre carrés à l’heure de cette assemblée féminine, « y’a un rythme à tenir tout de même » sourient-elles, à la fois tout à leur mission et ouvertes aux discussions. Avec une pause thé et chocolat bien méritée à 17h.
Une vingtaine de personnes ont traversé ce projet. Un projet parmi d’autres, car l’atelier œuvre sur d’autres missions, à portée solidaire : des sacs pour la Ligue contre le cancer installés dans leur boutique à l’occasion d’octobre rose, des couvertures pour la SPA et pour SOS chats libres, sans oublier le défi pochettes de l’Institut Curie auquel le groupe participe depuis trois ans. « On récupère de la laine, on la retransforme, on arrive toujours à faire quelque chose ». Les rambardes de la médiathèque sont ainsi décorées avec la laine récupérée, « il y en a quand même 500 mètres ».
Un autre atelier tricot a pris ses quartiers tous les mercredis après-midi à la bibliothèque annexe de Saint-Georges, baptisé “tricoter solidarité”, avec une production dirigée vers La Maison 24, la maternité et bientôt pour les bébés des Restos du cœur (couvertures, layettes).
« Il n’y a pas d’obligation, on vient quand on peut, on reste le temps que l’on veut, le tout est de passer un moment convivial d’échanges, autour de bouquins, bien sûr, mais aussi de recettes de cuisine, surtout lors de la pause à 17h. On est en train de se tricoter des souvenirs. Des amitiés se créent qui vont au-delà du tricot, certaines se retrouvent pour aller à la piscine, au restaurant. » Odette

Avant de se pencher, qui sait, sur un autre animal du bestiaire de Lascaux, une fois ce Grand Taureau dompté, l’atelier rêve d’une exposition à Montignac, près de l’original… On peut imaginer une petite tournée triomphale au pays des fac-similés. Mais priorité à la médiathèque de Périgueux, c’est là qu’on pourra d’abord l’admirer, d’ici un an.
Au début de l’histoire
« Comme beaucoup, je me demandais comment garder le lien avec nos publics. En discutant avec mon équipe, et en particulier avec Odette, on est partis sur cette idée un peu folle. Une précédente expérience de séance lecture et tricot nous avait donné envie d’ajouter un peu de savoir-faire et d’échanges entre les usagers, le tricot fonctionnait bien car c’était intergénérationnel, donc ça correspondait aussi à la philosophie globale de l’établissement. » Anne-Sophie Lambert avait repéré dans la presse, en Normandie, La femme à l’ombrelle de Monet, tableau réalisé en tricot par une association. « Et, en plein confinement, j’ai pensé qu’on pourrait en faire autant avec le Taureau de Lascaux. »

Achat de laine aux couleurs adaptées à la fresque, distribution via le drive mis en place aussi pour les livres… et c’était parti pour les carrés de 5 X 5 en retour. Quand la médiathèque a rouvert, ce groupe informel constitué à distance s’est enfin retrouvé sur place. Et l’atelier tricot est né. Devenu une institution, un rendez-vous incontournable. « Un système de don de laine permet de récupérer les pelotes qui sommeillent et dont on ne fait rien, ce qui a ouvert d’autres projets que celui de Lascaux. » Comme des décorations pour les sapins de Noël.
« Quand j’ai le temps de venir les voir, elles me demandent plein de choses, en ce moment sur l’exposition Rachilde, qui fait débat. C’est vraiment devenu un lieu de convivialité, un atelier qui marche très fort. Elles adorent quand les jeunes s’approchent pour apprendre le tricot, il y a une transmission intergénérationnelle, valorisante pour toutes. Et elles sont devenues copines, font des choses ensemble à l’extérieur. »