Jean‐François Gareyte parcourt le Périgord dans le cadre de sa mission de médiateur pour l‘Agence culturelle départementale afin de révéler au public, jeune ou moins jeune, les super pouvoirs des troubadours du Moyen Âge : leur art a influencé l’Europe entière et bien davantage, avec des valeurs que notre époque est encore loin de voir briller partout. Le Paratge voit en l’autre un égal par delà ses idées politiques et religieuses, sa couleur de peau ou son sexe. Et le fin’amor, amour courtois, repose sur le respect de la femme.
Mouvement artistique et culturel
Pour aborder ces poètes occitans, le conférencier trace le contexte historique où naquit ce mouvement artistique et décrit le berceau local de ceux qui ont permis à la langue et à la culture occitanes de dépasser leur cadre pour s’imposer dans le nord, en Allemagne, en Catalogne, en Italie, au Portugal.
Nous sommes à l’époque des croisades, dans un contexte expansionniste où l’on part se frotter aux cultures de la Méditerranée. Avec la prise de Jérusalem, les héros sont les chevaliers : sur eux repose l’effort de guerre à une époque où l’horizon de vie ne dépasse pas 40 ans, et il faut motiver la relève. Le modèle qui prévaut, c’est La chanson de Roland. Que les Anglais accommoderont en Légende arthurienne. Le succès de cet imaginaire et du monde médiéval impactera jusqu’aux superproductions hollywoodiennes, avec l’archétype du Jedi et Dark Vador.
Il cherche et il trouve
Mais revenons au Moyen Âge, à la « com » contre les Sarrasins qui va bientôt céder la place à tout autre chose… Le jeune duc Guilhem IX va bousculer l’ordre établi : « il écrit dans sa langue les chansons qu’il a envie d’entendre, et il n’y est question ni de guerre ni de religion mais d’amour et de femmes ». Sa théorie : le meilleur des chevaliers est celui qui a le courage de dire son amour à sa belle, dans le respect, en la considérant comme son égale ou sa supérieure. Ainsi est-il protégé. Le répertoire rencontre un succès fou, le troubadour, “celui qui trouve”, vient de naître.
Théorie et pratique
Le spécialiste raconte comment le fameux duc d’Aquitaine s’éprend de celle que l’on surnomme « La dangereuse », belle et intelligente, mariée tout comme lui par ailleurs. Et comment il accueille l’évêque de Poitiers, incarnation d’un pouvoir religieux alors équivalent au pouvoir politique, venu le raisonner, dans un occitan qui signifie “tu peux aller te peigner »… ce qui pour un chauve est assez mal reçu ; et le duc sera excommunié. Cela ne l’empêchera pas, fruit de cette union « dangereuse », d’avoir Aliénor pour illustre petite-fille : c’est sous son règne que les troubadours vivront leur apogée, héritiers des 11 chansons créées par Guillaume le précurseur. Les “stars” en sont assurément les Périgourdins et proches voisins.
Dantesque
On doit à Giraut de Bornelh, paysan devenu le plus grand des troubadours, “l’invention” de l’aube, « un concept repris par Francis Cabrel dans son album À l’aube revenant », actualise Jean-François Gareyte. Arnaut Daniel est cité dans La divine comédie de Dante (qui maîtrisait la langue d’Oc) et Bertran de Born, assurément le plus polémiste, figure dans son enfer.
Jaufré Rudel, depuis Baye, se mit en quête de « la plus belle femme du monde », qui pourrait être Mélisande de Tripoli. Il écrit son chef d’œuvre chemin faisant vers l’Orient. L’histoire dit qu’il la verra enfin, juste avant de trépasser. Amin Maalouf réinterprète dans L’amour de loin ce succès de la poésie courtoise.
Universalisme
Bientôt, les nobles femmes s’initieront à cette culture, elles seront trobairitz, et parleront à leur tour de sentiments, comme Marie de Ventadour. La notion de paratge, respect et ouverture d’esprit, s’étend à une reconnaissance des femmes et cette influence grandit sur les terres latines.
Elias Cayrel de Sarlat, amoureux d’Isabella, en Italie, formera avec elle le premier duo du genre (tenson). Les romantiques allemands, puis Tannhäuser de Wagner, s’inspireront aussi des troubadours. Le rayonnement de leur œuvre va jusqu’au Brésil où l’empereur, auteur d’un traité d’abolition de l’esclavage, parlait la langue d’Oc et souhaitait rencontrer les Félibres… Mireille était joué là-bas. « Il sera renversé pour la République… qui rétablira l’esclavage. » Ordre et progrès, dit sa devise !
Des “tubes” sauvegardés
Enfin Ezra Pound, passionné de poésie (mais hélas aussi de Mussolini), est passé par la Dordogne avec T. S. Eliot en 1919 pour s’imprégner de l’esprit des troubadours. Le conférencier pousse même jusqu’au poète chilien Roberto Bolaño la descendance des troubadours périgourdins. Et il note que c’est grâce à leur succès à l’étranger qu’ont été sauvés les manuscrits de ces chansons, “tubes” soigneusement archivés, alors que les ravages de l’Histoire les ont dispersés sur leur terre d’origine… 70 textes de Giraut de Bornelh, 40 de Bertran de Born sont ainsi arrivés jusqu’à nous. Mais un important corpus s’est évanoui dans l’oubli.
En résidence
Jean-François Gareyte et Maurice Moncozet, chanteur et poly-instrumentiste, seront en résidence à l‘agence culturelle du 14 au 17 novembre, avec un partage public prévu jeudi 17 à 16 h. Ils préparent une conférence musicale sur le thème des troubadours autour de la notion du « Paratge », avec rebec, flûtes, chalemie, synthétiseurs et tambours épiques pour chanter « en gloire éclatante ou en douceur Guillaume d’Aquitaine, Bernard de Ventadour, Bertran de Born … mais aussi Don Dinis du Portugal ou encore Ezra Pound d’Amérique. Ceci avec poèmes et images projetées, enluminures, figures du cinéma ou de l’heroic fantasy.
Quand les troubadours s’exposent
Une exposition consacrée aux troubadours est gérée par les Archives départementales. Elle circule en Dordogne auprès des associations et collectivités qui en font la demande : c’est gratuit (+ frais d’assurance).
Remarquablement illustrée et didactique, elle s’attache particulièrement à Arnaut Daniel (Ribérac), Giraut de Bornelh (Excideuil), Arnaut de Maruelh (Mareuil-sur-Belle) et Bertran de Born (Hautefort), quatre troubadours périgourdins qui ont porté haut et loin cet art de la poésie.
Conçue à l’origine par le Comité Périgord pour la langue occitane, en 1999, elle est l’œuvre de Jean Roux, Bernard Lesfargues, Laurence Benne, avec le concours de Jean-Claude Pouyadou, Bertrand Ramette, du Centre culturel de Ribérac, du groupe Tre Fontane, du Centre international de documentation occitane de Béziers et des professeurs Pierre Bec et Robert Lafont. Autant dire que cette exposition fait référence. Elle a fait l’objet d’une nouvelle réalisation graphique en 2019 par Jacques Boireau, dans une production de l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord, du Conseil départemental, de Novelum (section périgourdine de l’Institut d’Etudes Occitanes) et des Archives départementales.