Le photographe très urbain, familier des temps forts culturels parisiens et des thèmes people, a considéré toute la richesse locale en passant plus de temps à l’observer, à l’admirer, au-delà de ses brefs séjours de vacances. La vacance, au singulier, si singulière parenthèse où sa présence à Paris n’était plus utile, lui a ouvert une curiosité jusque là insoupçonnée, parce que trop occupée ailleurs, pour la vie rurale et ses savoir-faire. Un intérêt qui, à bien y regarder, trouve ses racines dans l’enfance, lorsqu’il passait ici des séquences estivales dont témoigne toujours l’amitié que le lie au fils de la ferme voisine. Thierry Le Fouillé envisage sérieusement, depuis un an, depuis les journées passées à combler le confinement par ce que le Périgord peut multiplier de secrets à un professionnel de l’image, de partager sa vie en deux univers ; de jouer les équilibristes entre sa course parisienne et ses inspirations périgourdines, avant que sa quête d’équilibre ne l’ancre définitivement en Dordogne.
L’attachement au Périgord
Tout a commencé en 1974, avec ses premières grandes vacances dans la vallée de la Dordogne. « Je reste très attaché à cette maison située dans un hameau, en pleine nature. Elle nous a été transmise et je viens m’y ressourcer, casser le rythme parisien, faire un plein de verdure. Cela m’est de plus en plus nécessaire. » Le copain de la ferme voisine compte toujours parmi ses meilleurs amis et l’éclaire sur un mode de vie « à l’ancienne car sa famille ne faisait pas la course aux matériels agricoles, il ma appris ce Périgord-là et on observe d’ailleurs un retour à cette sobriété, à une façon de travailler plus naturelle. » Plus jeune, cet ami regrettait que ses parents ne suivent pas le mouvement, il se sentait décalé par rapport aux autres enfants d’agriculteurs ; cette authenticité conservée est désormais une force, avec des savoir-faire intacts. « Quand on parle de circuits courts, beaucoup plus depuis la crise sanitaire, ça m’évoque cette ferme où l’on pouvait trouver des poulets, des œufs, des canards, le tout vendu en proximité et même avec des échanges de services qui relèveraient maintenant de l’illégalité. On revient aux liens qu’on avait autrefois, des exploitations à taille humaine… et c’est aussi ce que je recherche avec mes photos. » Retour à l’essentiel, dans une même vision d’ensemble.
L’approche du métier
« Au départ, je suis plutôt un passionné de cinéma. » De l’image animée à l’image fixe, il y a la place pour un déclic : la découverte d’écoles de photographie en cherchant un pont depuis ses études dans l’imprimerie vers des compétences de graphisme. « Depuis, je ne peux plus passer une journée sans prendre de photo. » Sans nourrir cette culture visuelle. La vue, sens majeur pour Thierry Le Fouillé, qui porte son regard sur la diversité du monde. Avec l’humain et la façon de vivre pour dénominateur commun. « J’ai toujours aimé lire la presse et, à travers elle, ce que peut dire une photo d’un instant, la principale qualité du photojournalisme. » Transmettre ce qu’il voit et ce qu’il ressent, témoigner d’abord d’une vie dans le cadre, si beau que soit le paysage.
Il fait son entrée dans ce métier de réseaux et de connaissances en travaillant dans un laboratoire argentique qui réunissait tous les horizons professionnels, photographes de presse, de mode, de publicité… « Je me suis construit avec eux, en discutant et en suivant leurs conseils, j’ai saisi toutes les opportunités, mariage, institutionnel… tous les univers m’intéressent. La photo est un outil de découverte formidable, un passeport pour rencontrer l’autre. » Sur cette voie de curiosité, il a pris son temps pour gagner le monde culturel qui l’attirait. Il travaille en free lance pour l’agence Sipa presse, mais aussi pour des agences de communication ou événementielles. « L’arrivée du numérique a rendu ce métier plus compliqué, il est difficile de faire admettre son savoir-faire professionnel : photographe, c’est une profession, et elle a été dévaluée depuis que chacun peut avoir l’outil en main. On a jamais consommé autant d’images. » Les siennes sont diffusées dans le monde entier : c’est magique, mais c’est parfois pour quelques euros. « Il ne faut pas cacher cette réalité. On est à l’origine d’une photo, elle n’existerait pas sans nous, mais on est au bout de la chaîne financièrement, après beaucoup d’intermédiaires. » Comme dans l’agriculture, monde qu’il est en train d’approcher : le producteur est trop souvent le plus mal rémunéré. « Mais je conserve les droits de mes photos, elles m’appartiennent. »
Photographe de stars
Thierry Le Fouillé suit de nombreux événements culturels et médiatiques. « Je suis un fidèle du festival de Cannes, je me suis fait la main dans cette grand messe, j’y allais d’abord vraiment pour le cinéma car j’aurais aimé être photographe de plateau… » Fan inconditionnel d’Al Pacino, il a réussi une photo dans les couloirs du palais, un instant saisi du frêle acteur entre ses gardes du corps. Il n’avait pas le bon emplacement pour l’arrivée de Madonna, en 1991, venue présenter le documentaire In bed with Madonna… et c’est ainsi qu’il a réussi une très belle photo.
Vernissages, avant-premières, concerts, Césars, Molières, événements politiques… il officie surtout dans la capitale. Et ce ne sont pas toujours des stars qu’il photographie, les commandes portent aussi et surtout sur des people. « C’est ainsi qu’au salon du livre, j’avais rencontré des auteurs pour des portraits en dédicace, pour constituer des archives, de vrais talents… et je n’ai vendu que des photos de Nabila, de passage sur le salon. » Il joue le jeu des photocall pour capter le regard des stars parce que c’est une part d’un ensemble qui lui permet aussi d’assister à des concerts inoubliables, Iggy Pop, bête de scène qui balaie dans un festival tous les groupes passés avant lui, ou Patti Smith à la Fête de l’Humanité. « Dans un autre genre, NTM est aussi un grand souvenir, une bonne claque, lors de leur dernière tournée. » Ces grands spectacles ne l’empêchent pas d’aller s’imprégner de la funk-soul de Janelle Monáe, et de créer régulièrement « les occasions de se laisser surprendre : ce qui m’anime, c’est de faire de bonnes photos et ça peut aussi être sur une scène de quartier ».
Il a travaillé pour trois agences de presse françaises, au fil du temps, et depuis peu pour une agence chinoise, intéressée par la fashion week ou les Césars, les grands événements.
Ce temps-là est hélas suspendu, mais il reviendra : il importe à Thierry Le Fouillé d’équilibrer la frustration que peuvent parfois générer les têtes d’affiche par un travail de fond auprès de “vrais gens”. « L’idéal serait d’organiser ma vie pour moitié en Périgord. » S’il affectionne toujours la photo de presse, il s’attache à s’ouvrir à d’autres univers : le confinement, doublé de son attachement à la campagne périgourdine, est à l’œuvre. « Mettre en avant des gens qui produisent proprement, et je remarque qu’il s’agit souvent de femmes, est stimulant. Il faut convaincre les médias nationaux de publier aussi ces sujets… Le photoreporter est souvent obligé de produire lui-même ses projets, de les proposer clé en main. »
Retour à la nature
La quête de l’humain dans son environnement l’invite aujourd’hui à témoigner d’une ruralité en pleine mutation. En suspension pendant deux mois en Périgord, il s’est interrogé sur un cap à passer, la possibilité de décentrer un travail très parisien, petit à petit, vers cet ailleurs encore un peu loin de son centre de gravité. « Question de temps, et de distance. » La possibilité professionnelle qu’il avait de se déplacer durant ces deux mois lui a permis de rencontrer Marie-Rose Ampoulange (lien vers article Moulin de l’Evêque) lors de la remise en fonction du Moulin de l’Evêque, à Vézac, au moment où l’on parlait de pénurie de farine. « C’est aussi à Meyrals, un village très dynamique, que cette envie s’est consolidée. Nous nous approvisionnons en fromages de chèvre et yaourts chez Jennifer Kendall, qui a invité d’autres producteurs les vendredis, durant le confinement. Une vigneronne, qui venait en cliente, s’est ajoutée. Et il y avait aussi la farine du moulin de Vézac, un charcutier qui élève des porcs en plein air, une maraîchère… tous en production bio ou raisonnée. C’est ainsi que j’ai eu envie de faire leurs portraits. »
La période que nous traversons a favorisé chez Thierry Le Fouillé l’idée d’un changement de vie qui n’aurait peut-être pas germé aussi vite. Les pistes de reportages se poursuivent avec des producteurs de monbazillac, de noix, de fraises. « Je viens de la photo culturelle et j’aimerais aussi suivre tout ce qui anime le Périgord dans ce registre, pas seulement montrer des cadres magnifiques. J’ai envie d’explorer des sujets sur la durée. » Et pourquoi pas mettre sa passion pour le cinéma, univers dans lequel il a de l’expérience et des contacts, au service des nombreux tournages qui se déroulent en Dordogne ?
En valorisant ce travail, c’est le département qu’il contribuera aussi à mettre en lumière. En attendant, il fait avancer ses projets d’expositions : un point de vue sur les dernières cabines téléphoniques, réalisé en 2017, série de diptyques où il place sa compagne en situation, dans diverses régions de France, dont le Périgord… « Ce lieu était une scène de vie, pas que du mobilier urbain, on venait y raconter des histoires personnelles. Ces photos sont accompagnées de textes proposés par une association de poètes. » Quand les lieux de culture rouvriront, l’exposition pourra enfin circuler. Ici comme ailleurs.
Oh, la vache !
Thierry a longtemps photographié des vaches, un premier sujet qu’il a exposé un peu partout en France sous le titre “Peaux de vaches”, portraits bovins qui ont remporté un beau succès. « C’est une thématique que je continue à alimenter. »