Au-delà du savoir immense que ces femmes se transmettent de mères en filles au fil des siècles, Sandrine Biyi illustre avec sa rigueur historique habituelle, le poids qu’elle représentent dans une société médiévale où la femme n’a aucun droit. Un pouvoir qui les rend suspectes aux yeux de la noblesse et du clergé, justifiant ainsi leur massacre.
L’étude de la vie de Guillaume IX, ainsi que des poèmes de troubadours et plus particulièrement ceux de Bertran de Born lui donne la matière pour cette nouvelle histoire.
« J’ai notamment travaillé avec les ouvrages de Jean-Pierre Thuilliat qui est une référence sur Bertran de Born. Ce dernier avait un frère, Ithier, dont on perd la trace en 1160. On pense qu’il aurait pu se retirer dans l’abbaye de Dalon. Je suis partie de là pour lui créer une famille, quatre filles qu’il aurait eues avec une servante et que son frère Bertran aurait pris sous son aile en leur donnant une éducation ».
La Dordogne est par ailleurs une terre d’accueil et de prédilection pour la sorcellerie, avec un environnement de forêts, d’étangs et de rivières, qui s’y prête.
Les sorcières à l’origine des premières communautés de femmes
C’est la destinée de ces quatre sœurs maîtrisant des arts différents qui est évoquée dans ce roman, prélude à l’évocation des persécutions qui frapperont majoritairement les femmes. Ces sorcières dérangent le clergé car elles soignent, mettent les enfants au monde, et surtout sont indépendantes, tout en vivant en dehors des règles prônées par l’église toute puissante. Le pouvoir qu’elles détiennent est source d’une haine à la hauteur du respect qu’elles suscitent.
« Elles ont avant tout la volonté de soigner et perpétuent ce savoir qui remonte à la nuit des temps par la tradition orale. Elles sont aux fondements de l’animisme. Or, pour les bénédictins à l’apogée de leur puissance au XIIe siècle, la maladie est le fruit du péché ; le soin est la panacée des riches. Les sorcières se font rétribuer par les plus riches et de fait sont indépendantes et libres. Ce sont des personnes puissantes dont le statut dérange, ceux qui ne considèrent la femme que comme une personne sous la sujétion de l’homme ».
Bien loin de la caricature tenace d’une femme au nez crochu toute de noir vêtue, une image véhiculée par l’église pour faire peur au peuple et reprise par les croyances populaires, parfois protégées par des nobles comme Elvire, le sort de ces sorcières est tragiquement lié au contexte géopolitique et sanitaire. En cas de guerres ou d’épidémies, il faut un coupable et elles font un bouc émissaire tout trouvé. « Lors de l’épidémie de la peste noire en 1348 qui décimera un quart de la population européenne, il faudra trouver des responsables et ces femmes seront les coupables idéales ». Les sorcières sont pourtant l’incarnation de ce savoir empirique que l’on redécouvre aujourd’hui, notamment à travers l’herboristerie qu’elles maîtrisent à la perfection.
Loin du bruit médiatique, des rayons d’ésotérisme en tout genre surfant sur la vague de sorcellerie très tendance actuellement, proches de la nature qu’elles vénèrent, elles existent toujours. Ce sont des femmes indépendantes, libres, qui, comme leurs ancêtres, vivent en totale harmonie avec la nature, respectant la vie sous toutes ses formes et auxquelles Sandrine Biyi rend également hommage à travers ce roman captivant déjà très bien accueilli dans les librairies, et que l’on ne repose que lorsqu’on l’a achevé 😉
La nuit des femmes – Éditions Savine Dewilde – 22 €
L’autrice sera en dédicace le samedi 20 avril à l’espace culturel de Trélissac à partir de 14h