Comment faire mieux coïncider l’offre et la demande ? En réunissant tous les interlocuteurs locaux et en délégant un spécialiste pour coordonner une mobilisation.
Pensé au premier semestre 2020 avec les entreprises, déposé dans le cadre d’un appel à projets de la Région (Initiatives territoriales pour l’emploi), est le seul retenu en Dordogne, validé en juillet et mis en œuvre en septembre. « C’est un projet que nous avons développé et qui nous correspond, auquel nous avons associé le club du Montponnais », précise Yohann Couvant, chargé de mission. Ces clubs se sont engagés à restituer la démarche et à transmettre la compétence acquise aux autres clubs de Dordogne, lors d’une conférence et éditant un guide méthodologique pour aider à dupliquer le modèle.
Le dispositif Recrute Facile
Financé à 50 % par la Région et soutenu par la Communauté de communes du Ribéracois, le dispositif Recrute Facile reçoit aussi une participation des entreprises. Lancer des recrutements leur coûtait déjà, mais souvent en vain. « Difficile de quantifier la recherche de quelqu’un qu’on ne trouve pas ! Nous présenter la bonne personne sans qu’on ait besoin de chercher est inestimable », sourit Didier Lachaud, transporteur et président du club d’entreprises.
Le consultant RH du dispositif Recrute Facile joue de tous ses réseaux pour propulser les offres, il travaille sans intermédiaire et arrive à créer des liens en mettant de l’huile dans les rouages existants. « Nous trouvons des profils sur la base de Pôle emploi, mais ils ne sont pas repérés dans les recherches : les personnes qui suivent ces demandeurs ne sont pas forcément celles qui connaissent les besoins, et les conseillers d’entreprises n’ayant pas forcément la main sur les profils… » Des points de situation sont maintenant faits chaque mois avec eux, ce qui permet plus de réactivité.
« On ne cherche pas le travail mais l’employé» Didier Lachaud
Certains métiers sont déjà très concernés, d’autres ont des recrutements en suspens du fait de la crise sanitaire mais de réels besoins d’adéquation offre demande sont déjà traités et l’évaluation arrivera au bout de la période de 18 mois concernée par l’appel à projets régional. « Le problème est régulièrement évoqué lors des rencontres mensuelles du club d’entreprises, résume Didier Lachaud. On ne cherche pas le travail, mais l’employé. Certains contrats nous échappent, faute de personnel. »
Attractivité du territoire
Transporteur, comme lui, plombier, boulanger, tous les secteurs sont touchés. Ce n’est pas un sort qui s’acharne sur cette seule partie du Périgord, le malaise est général, mais on a ici décidé de trouver des solutions et de travailler sur l’attractivité de ce territoire de 44 communes pour la Communauté du Ribéracois et neuf pour celle d’Isle, Double, Landais. Passer par Pôle emploi ou Le Bon coin pour n’arriver à rien invite à jouer de créativité pour susciter la rencontre. « La complexité du système officiel empêche la connexion, chacun ayant sa catégorie à suivre : Mission locale, Cap emploi, etc. » Les établissements de formation professionnelle sont aussi concernés par l’opération, afin de mieux intégrer les jeunes à l’issue des études. Tous se sont retrouvés afin de mieux se connaître. « Les outils existent, on doit apprendre à s’en servir ensemble. »
Un autre monde du travail
Le projet répond aux attentes de chefs d’entreprise démunis dans leurs démarches de recrutement, faute de temps ou d’approche adaptée à des demandeurs d’emploi qui ne recherchent d’ailleurs plus forcément un CDI ou les conditions d’autrefois, « en leur apportant des ressources humaines, des consultants qui font le lien, pour les sélections de profils, avec le service public de l’emploi et, au-delà de ses bases de données, de dispositifs d’accompagnements ou de formation souvent méconnus des chefs d’entreprise », précise Yohann Couvant. Ceux-ci sont ainsi libérés des démarches. Didier Lachaud témoigne de son désarroi actuel car « on ne sait pas s’il faut parler de salaire, de bien-être au travail ou de congés, les gens changent régulièrement de métier, je vois par exemple arriver des chauffeurs qui ont eu un parcours dans la restauration : on a besoin d’aide pour ne pas se tromper… quand on arrive à trouver quelqu’un ».
Des postes d’infirmiers à pourvoir
Ajoutons qu’il importe ensuite de fidéliser, la valeur d’un contrat ayant perdu le sens d’un attachement durable. « C’est aussi une remise en question pour l’employeur, qui doit voir plus loin que le salaire. »
La notion de liberté est associée à un changement profond du monde du travail en général, et des secteurs en tension en particulier, ces dix dernières années. « On note que même un poste titulaire de la fonction publique n’est plus mobilisateur. » Ainsi, le centre hospitalier intercommunal, plus gros employeur du Périgord vert (600 agents), s’inscrit dans la démarche Recrute Facile parce qu’il recherche vingt infirmiers.ères en CDI. La pénurie locale l’oblige à prospecter ailleurs, via un site national spécialisé. Dans ce cas comme bien d’autres, Yohann Couvant sait qu’on peut capitaliser sur l’image du Périgord, le confinement ayant ajouté à l’argument de la qualité de vie. « Sur les salons professionnels, déjà, quand on disait Périgord à de futurs créateurs d’entreprise, ils n’imaginaient pas que derrière la notoriété touristique se trouvait aussi un contexte économique porteur. Il en va de même pour l’emploi : des Parisiens ne savent pas forcément que des postes sont ouverts ici dans leur domaine, les offres n’émergent pas. » En poussant la prospection au-delà du Périgord, le consultant peut atteindre des personnes qui envisagent de changer de vie, de quitter de grandes villes ou d’autres régions pour s’installer à la campagne. « Les agents immobiliers témoignent d’ailleurs de ce mouvement de retour. »
Déjà des contrats signés
Recrute Facile avance par actions. Le premier pas, c’est l’Observatoire de l’emploi qui détecte les besoins auprès d’une base de 450 entreprises, chaque trimestre. « À partir du repérage des recrutements prévus, un consultant fait un état des lieux et accompagne, via les publications d’annonces, un choix de profils. Le chef d’entreprise reprend la main pour les rendez-vous. » Une cinquantaine de besoins ont été repérés cet automne 2020, 50 aussi début janvier 2021, et pas forcément les mêmes. Chercher localement est l’approche la plus rapide. Et comme les chômeurs ont les mêmes problèmes de prise de contact, cela “matche” parfois rapidement. Huit CDI ont ainsi été signés en janvier : un cadre informatique, un menuisier, des chauffeurs. Les recherches se poursuivent pour des formateurs, un comptable, un assistant paie, un électro-mécanicien, etc.
Au-delà d’aider à recruter, l’autre ambition du programme est de faire monter le dirigeant en compétence dans la phase d’entretien, d’échanger sur l’aspect RH et management. À moyen terme, avec l’aide de Great place to work, l’idée est de valoriser la marque employeur d’une trentaine de PME locales afin d’afficher une meilleure attractivité d’ici un an. « On peut agir sur d’autres leviers que le salaire : l’environnement de travail, l’autonomie, la reconnaissance et la fierté, la formation, etc. »
Écrire des fiches de poste utilisables par Pôle emploi, fixer une méthodologie commune, trouver les bons intermédiaires permet déjà de dépasser les incompréhensions.
Premier recrutement
Benjamin Bosc a été le premier à pourvoir un poste dans le cadre de Recrute Facile. À la tête d’une jeune société de plomberie chauffage et énergies renouvelables, Sanithermie, il emploie déjà cinq salariés au bout de deux ans. « Mon épouse à l’administratif, un électricien ancien collègue, un apprenti… il manquait un plombier. En passant par Recrute Facile, j’ai trouvé un candidat à 5 mn de chez moi, exactement le profil recherché : il est en reconversion, il quitte l’énergie éolienne qui lui demandait des déplacements éloignés pour se fixer localement. Nous n’avions jamais été mis en relation ! » Trop accaparé par le développement de son entreprise, l’artisan n’arrivait pas à faire avancer sa recherche. « Je vais avoir besoin d’un autre plombier et j’utiliserai le même service. » Il n’est pas facile de trouver des apprentis en milieu rural pour des raisons de mobilité : les jeunes préfèrent un employeur proche du centre de formation. Ce qui ajoute un frein à des motivations déjà faibles pour ces métiers, avec seulement une dizaine de jeunes en formation dans la région.