Accueil BIEN aimé Rachilde, la femme qui bouscule son genre

Rachilde, la femme qui bouscule son genre

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SUCCÈS MONSTRE. Les textes de Rachilde sont tombés dans le domaine public en janvier 2024. La médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux a choisi de présenter la femme et son œuvre à travers une exposition très visitée, inaugurée à l'occasion du Mois des femmes et accessible jusqu’au 17 mai. À prolonger par la lecture d'une abondance d'ouvrages et l’écoute de podcasts en ligne.

Avec l’évocation de la cause des femmes, la figure de Rachilde ressort de l’oubli où elle se maintenait, y compris sur sa terre natale. Ce monstre sacré de la littérature de la Belle Époque, fin XIXe, certes moins connue que George Sand (elle naît 16 ans avant la disparition de la dame de Nohant), n’est pas moins scandaleuse et a produit une œuvre abondante dont la médiathèque de Périgueux détient une belle part, avec plus de 170 ouvrages imprimés conservés, dont un grand nombre d’éditions originales en tirage de tête de ses romans, mais aussi des manuscrits et de nombreuses archives. « Cette collection fait de Rachilde, le quatrième auteur de Dordogne le mieux représenté dans le fonds Périgord — après Léon Bloy, Montaigne et Eugène Le Roy —  et sa première autrice », peut-on lire.

Androgyne des lettres

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L’exposition permet de découvrir le parcours de Rachilde, « l’androgyne des lettres », et de se questionner, y compris dans notre société actuelle, sur le genre et les relations de pouvoir. « Rachilde s’est beaucoup interrogée et a beaucoup interrogé la question du genre et les relations de pouvoir en règle générale » rappelait Marie Cherbero, élue municipale, lors du vernissage pour évoquer cette autrice qualifiée de monstrueuse  — « elle en est elle-même persuadée » —, et dont l’œuvre appelle la mention “pour public averti” qui accompagne cette exposition dont la scénographie se double d’un parcours fiction sonore. “Looking for Rachilde” en huit épisodes, imaginé par Sébastien Laurier à partir des collections patrimoniales de la médiathèque, permet de s’immerger dans l’univers de l’autrice. Ce projet s’inscrit dans la série de podcasts “Des plumes dans le casque” consacré au patrimoine littéraire de Nouvelle Aquitaine (collaboration Drac-Alca-Ville de Périgueux- Podcatine – compagnie L’Espèce Fabulatrice), disponible en français et en anglais via des QR code. Sébastien Laurier y a imaginé la rencontre entre une étudiante en littérature aujourd’hui et une forme de fantôme : ce dialogue permet de comprendre et percer son mystère, sans fixer les idées du moment sur ce parcours de vie unique à son époque.

Autrice prolifique

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Rachilde n’aurait pas voulu parler de droits des femmes, souligne Anne-Sophie Lambert, directrice de la médiathèque. « Même si elle a pu régulièrement opter pour les apparences physiques masculines, à aucun moment elle n’aurait voulu revendiquer des droits, et surtout l’égalité entre les hommes et les femmes. » Le texte sûrement le plus saisissant, Pourquoi je ne suis pas féministe, dans la dernière vitrine de l’exposition, interroge et laisse deviner pourquoi la postérité n’a pas reconnu l’importance fondamentale de cette autrice. « Dans ce texte, les femmes sont les inférieures des hommes et elle le dit très clairement. Dans la société misogyne dans laquelle elle évolue, Rachilde va donner corps à des personnages de femmes inédits, des femmes fatales qui assument leur sexualité, des êtres désirants et non plus désirés, des femmes qui vont tenter de sortir de leur sphère privée pour revendiquer leur position publique. » De quoi interroger aussi la sexualité des hommes et leur part de féminité. « En ce sens, Rachilde est effectivement un être à part dans la littérature française. C’est surtout un auteur prolifique et on se demande vraiment pourquoi elle a disparu des mémoires, disparu des programmes scolaires. »

Critique littéraire

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Au rythme d’un roman écrit et publié par an, « digne d’Amélie Nothomb aujourd’hui », Rachilde ne se limite pas au roman, elle écrit de la poésie, du théâtre, des livres pour enfants… Elle est aussi une faiseuse de réputation littéraire puisqu’elle tient pendant plus de 30 ans la rubrique critique de romans de la revue littéraire la plus importante de son époque, le Mercure de France, qu’elle dirige avec son mari Alfred Vallette. « Rachilde y affirme son goût pour la littérature, pour les bons mots, une obsession de cette littérature décadente. Elle choisira de ne pas soutenir les surréalistes, ce qui sans doute la perdra, refusant de prendre le train des avant-gardes postérieures à sa jeunesse. »

Monstre de littérature elle l’est aussi par ceux qu’elle engendre, « des femmes animales, des hommes qui cherchent aussi leurs animaux totem, des hommes tigres, des femmes chattes, tout ça fait de Rachilde un être particulièrement intéressant pour cette littérature décadente qui réinvente la figure du monstre et la littérature fantastique ».

Solidarités périgourdines

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Lunatique et mystérieuse dans son enfance, puis inclassable, avec un rire tonitruant … On sait peu de chose de sa vie privée, « on lui a surtout inventé beaucoup d’histoires ». Elle tient l’amitié pour une valeur très importante et gardera autour d’elle à Paris un certain nombre de Périgourdins, dont Léon Bloy qu’elle publiera au Mercure de France, tout comme George de Peyrebrune, avec laquelle elle entretient une correspondance abondante, et Sem, qu’elle soutiendra dans ses débuts en lui offrant des textes pour L’entr’acte périgourdin. « Pourtant, Rachilde a sans doute fait un trait définitif sur le Périgord à l’âge de 15 ans, quand elle décide de partir, soutenue dans sa quête de carrière littéraire par le Dieu, son Dieu à elle, Victor Hugo, qui l’encourage à poursuivre. »

Durant sa longue existence — 93 ans —  elle a développé des idées révolutionnaires sur les rapports de force et de domination entre hommes et femmes. « Il est difficile de dire pourquoi elle est tombée dans l’oubli. Dès 1953, à sa mort, l’académicien Georges Duhamel, qui a repris le Mercure de France au décès d’Alfred Vallette, la réduit à une petite bourgeoise qui recevait au salon : on lui reconnaît très peu sa grandeur littéraire. Officier de la Légion d’honneur, repérée par les journalistes parmi les écrivains de son temps qui allaient passer les siècles, elle a été redécouverte par les féministes… ironie de l’histoire. » Elles l’ont réinterrogée et réétudiée, et permis des rééditions de ses ouvrages. « Aurait-elle aimé cela ? » conclut Anne-Sophie Lambert.

• Le fonds de la médiathèque est en grande partie numérisé, donc disponible sur sa bibliothèque numérique.

Dans une prochaine publication de BIEN en Périgord : chronique de deux inédits de Rachilde.