Initié et conduit avec talent par Corinne Vernay professeure de lettres au lycée Jay de Beaufort, et Yves Barrellon professeur de gestion à l’IUT, ce projet innovant ne cesse de fédérer. Organisé en plusieurs étapes, il confronte dans un premier temps les impressions et sentiments des lycéens et étudiants (lire l’article) lors de rencontres dans les établissements scolaires impliqués. Son originalité est de réunir les lecteurs avec leurs auteurs, afin d’engager un dialogue autour des œuvres étudiées.
« L’acte d’écrire : entrer en soi pour s’ouvrir au monde »
Les lycéens des établissements Arnaut Daniel de Ribérac, Pré de Cordy à Sarlat, Laure Gatet et Jay de de Beaufort à Périgueux, avaient soigneusement préparé cette rencontre avec leurs professeurs de lettres, Christine D’Aloise, Karine Henneuse, Fabrice Gallier et Corinne Vernay. Ils ont proposé aux auteurs des lectures d’extraits choisis de leurs ouvrages, en alternance avec des questions : choix des thèmes, des personnages, des titres, travail spécifique de la description, de la transmission. Chacun des auteurs s’est prêté avec sincérité et précision aux questionnements des jeunes lecteurs.
Quelques morceaux choisis :
« C’était une histoire faite pour moi »
Interrogée sur ce qui lui avait inspiré son roman “Histoire d’un fils” (Prix Renaudot 2020) Marie-Hélène Lafon a expliqué la rencontre avec « cette histoire qui m’a été confiée ». « Une histoire de filiation, de transmission, d’absence ou de refus de transmission, le genre de piste que j’aime suivre dans mes livres ». Puisant son inspiration dans le monde tel qu’il est, l’autrice trouve dans le réel des personnes qu’elle transforme en personnages. Se définissant comme « une travailleuse du verbe et une aventurière de la langue », elle a insisté sur l’importance des détails, sur tout ce travail technique pour singulariser, incarner chaque personnage « afin que chacun joue sa partition dans l’ensemble ». Se laissant porter par ce qu’elle nomme « l’ordre organique du récit sans le contrarier », elle a toutefois concédé que cet ouvrage, « comme un défi, restait une expérience singulière ».
Une expérience bouleversante
Intarissable lorsqu’il s’agit de parler de Matthias Sindelar, dont il a écrit la biographie romancée, on ne peut que percevoir l’émotion et le lien fort unissant l’auteur Olivier Margot à son personnage principal. La rencontre en 1998 avec les personnes et joueurs ayant connu l’avant-centre de la Wunderteam agit sur lui comme un déclic. La maladie, « un cancer assez sérieux », induit une prise de conscience : « il est impossible qu’il n’écrive pas ce livre ». La guérison, comme une renaissance, lui permet de partir à la rencontre de « cet homme d’exception qui a résisté aux nazis alors même que Manchester United lui proposait un pont d’or pour quitter Vienne, ce qu’il a refusé car, à Vienne, il était chez lui ».
Explorer l’histoire par le rapport au monde de la femme
La question qui taraude Béatrice Castaner est celle de la transmission, qu’elle résume par une question : qu’est-ce que les hommes et les femmes qui ont vécu il y a 30 000 ans nous ont légué et qu’avons-nous fait de ce legs ? S’appuyant sur ce qu’elle nomme « ses origines féministes », elle justifie son choix d’une héroïne féminine dans son roman “la femme Maÿtio”, constatant que l’histoire a toujours été racontée par les hommes, que les héros sont toujours des hommes et nous interrogeant : « qu’est-ce que serait notre monde si les livres sacrés avaient été écrits par des femmes ? » Cette question est le point de départ de son roman grâce auquel elle « explore l’histoire, en l’occurrence la Préhistoire, par le corps, la voix, et le rapport au monde de la femme ». Différenciant l’acte d’écriture du statut d’écrivain, l’autrice « aime jouer, jongler avec les mots, les faire aller là où on ne les attend pas, et favoriser des aller-retours entre elle et ses lecteurs ».
Un alchimiste des mots
Ce roman est selon son auteur Serge Legrand-Vall l’histoire d’une trahison dont la synthèse qu’il propose résonne avec l’actualité internationale : « on se bat contre un tyran et un autre tyran vous sauve et vous amène à vous trahir vous-même »… Plus encore, par ce roman, l’auteur comble l’absence, celle de sa famille espagnole du côté maternel, dont il n’apprend l’existence qu’à l’âge de 20 ans. Ce besoin d’aller à la rencontre de l’Espagne, de son histoire, nourrit son écriture. Caractérisant le métier d’écrivain « de manteau large à porter », il interroge la raison qui pousse l’auteur à s’isoler du monde, à écrire, à s’approprier la langue. Pour ce qui le concerne « il écrit le manque, l’oubli, en fait des histoires à partir de fils qu’il attrape et qu’il tisse avec ».
Aller chercher le détail et lever la part d’intime entre les choses
Inspirée par le paysage, la géographie, l’empreinte des lieux, le devenir de la jeunesse, Maylis de Kerangal a choisi dans son livre “Canoës ” d’explorer la voix humaine « en captant des voix pour faire entendre leur matérialité, leurs dissonances ». C’est durant le confinement que ce projet s’ébauche. L’autrice explique qu’elle a à ce moment le sentiment « que notre rapport au monde était lié à cette question des voix, notamment par le téléphone. Séparés, les voix nous reliaient ». Unique et constitutif de notre singularité, notre grain de voix nous incarne, même si nous n’y avons pas accès ; « on n’entend pas ce par quoi on est identifié par les autres ».
L’image d’une embarcation qui porte un message d’un point à l’autre en les reliant lui donne le titre de son ouvrage. « Canoës, c’est comme une circulation à l’intérieur des huit textes qui le composent ». Plus attachée à l’acte d’écrire qu’à un statut social, Maylis De Kerangal aime plus que tout « le travail du verbe, le fait de se débrouiller avec cette langue dont on hérite et qu’on transforme ».
La Boétie plus que jamais d’actualité
« Quelle tête aurait fait La Boétie, le 6 avril, lors de cette quatrième édition du prix qui lui est consacré ? » C’est la question posée par Anne-Marie Cocula, marraine du prix depuis sa création, en préambule de son discours d’introduction. Difficile pour l’historienne de ne pas relier la tragique actualité avec l’écrivain humaniste sarladais.
Après avoir situé le contexte historique et social, Anne-Marie Cocula a rappelé que La Boétie avait été « l’un des premiers artisans de la recherche de la paix, au sens de la volonté de vivre en concorde avec les autres en s’acceptant mutuellement ». Dans son traité “Discours de la servitude volontaire (Contr’un)”, « il dénonce la tyrannie » explique l’historienne et « analyse les raisons pour lesquelles les hommes ont abdiqué leur liberté essentielle qui les distingue des animaux. Ils se sont laissé ainsi séduire par une forme d’attraction, de charme, les empêchant de réfléchir, de critiquer, et ont répondu à cette attraction de quelqu’un qui détient le pouvoir et qui est leur égal ». Cette soumission nourrit une dépendance des sujets à l’égard du tyran, dont il se servira pour les soumettre, les malmener et les tuer.
Attribuant la responsabilité de cette soumission à ceux qui ont accepté de se soumettre, La Boétie rejette la solution qui consisterait à assassiner le tyran, qui serait vite remplacé. Il préconise un seul remède : « le refus de la soumission, la résistance passive, la désobéissance, afin de retrouver cette dignité des hommes et des femmes qui fait la liberté ». À méditer…