D’autres départements et pays s’intéressent à ce projet en passe de réussir son pari : offrir à tous les enfants une cuisine saine et équilibrée car comme le dit Olivier Roellinger, ancien chef étoilé, amoureux des épices et parrain du Salon, « le bien-manger devrait être un droit pour tous et non un privilège pour certains. » Voici le menu gastronomique de ce savoureux projet collectif.
Amuse-bouches : Jean-Marc Mouillac, cuisinier humaniste
Tout partit de l’école de Marsaneix où Jean-Marc Mouillac décida de cuisiner bio et local. Les médias, par l’odeur alléchés, diffusèrent l’expérience et captèrent le regard de l’Etat alors en plein Grenelle de l’Environnement. Les 11 « cuisiniers bio » de France furent ensuite conviés à former des chefs de cuisine, une aventure qui sera vite délaissée à l’échelle nationale… mais pas départementale.
« La Dordogne est réellement une terre de résistance, admire Jean-Marc. Cette fois-ci, se met en place une « révolution délicieuse » comme la nomme Olivier Roellinger : on peut changer le monde avec des casseroles et des poêles ! »
L’actualité récente le conforte dans cette idée d’une aventure saine et locale : « Regardez l’épisode Covid, parmi les personnes les plus touchées se trouvent celles atteintes de diabète ou d’obésité. Et maintenant la guerre en Ukraine, pays où est concentrée la production de nourriture pour 800 millions de personnes ! Le bien-manger devrait être inscrit au Patrimoine de l’Humanité.»
Entrée : Germinal Peiro, la volonté politique
Depuis 2016, le Conseil Départemental a structuré le « passage aux 100% » des collèges avec des interventions techniques dans les établissements, où les personnels bénéficient de l’accompagnement de Jean-Marc Mouillac en cuisine et d’Aurélie Bénazet, diététicienne-nutritionniste. Les équipes administrative et de restauration sont ainsi accompagnées de façon complémentaire, de la commande à la préparation des plats, du menu à la gestion des stocks via un logiciel dédié ; et si besoin, au réaménagement de l’espace cuisine. Objectif 2028 : obtenir le label Excellence 100% bio par Ecocert pour la totalité des collèges périgordins, au nombre de 35. Le projet a retenu l’attention de l’Europe via son programme SchoolFood4Change puisqu’il fait partie des 3 finalistes en 2023.
Lorsqu’Olivier Roellinger fut invité à l’inauguration au collège de Montpon, il exhorta les personnes présentes à parler du projet afin que tout le monde le sache et notamment les élus, pourquoi pas sous la forme d’un livre ? C’est ainsi que Serge Added, docteur en histoire et en philosophie, fut sollicité pour monter la sauce.
Plat de Résistance : Serge Added et la portée philosophique
« La question de l’alimentation est extrêmement importante, c’est une réflexion sur l’état de notre monde. Le politologue Paul Ariès l’a déjà traitée à travers le prisme de la lutte des classes, il s’y ajoute dorénavant des problématiques écologiques urgentes avec des enjeux de survie de l’espèce humaine », explique Serge Added pour illustrer son intérêt.
Parler d’alimentation, c’est parler d’agriculture : le 100 % bio et local soutient un modèle respectueux du vivant car « les paysans sont les premières victimes de l’agriculture chimique ». Serge Added et Jean-Marc Mouillac partagent d’ailleurs la réaction d’Olivier Roellinger à l’annonce, en direct lors du Salon, de la prolongation de l’autorisation européenne du glyphosate : « C’est un scandale, on empoisonne les gens à petit feu ! »
Serge Added a consacré 10 mois de recherches et de rédaction à ce « livre de combat », dans un département où il s’est installé il y a 22 ans, suite à des « vacances chez des amis qui m’ont souhaité la bienvenue au paradis. Et j’y ai cru ! »
Plat de Résistance lui a permis de démontrer « qu’on peut faire beaucoup mieux si l’on fait autrement. La transition écologique est un trompe-l’œil : on ne peut aller vers un mieux sans changer le système, sans changer notre façon d’être aux autres et au vivant. Avoir moins de biens et plus de liens, faire appel à l’imaginaire pour faire évoluer nos pensées, sortir de l’individualisme et favoriser une réflexion collective : c’est possible avec le soutien d’une volonté politique. »
Assortiment de fromages : le goût du collectif
Les Pieds dans le Plat savent aussi ôter leurs petons et garder les plats pour mettre les petits dans les grands : leur Banquet des Grands Enfants lors du Salon a ravi les papilles, attiré les compliments et les commentaires envieux (« c’est ça que mangent les enfants à la cantine, ici ?! »). Ce collectif regroupe des professionnels de la restauration collective saine et durable reconnus pour leur expertise. Il a mis en place la société coopérative (SCIC) Nourrir l’Avenir qui permet aux personnels de cuisine de suivre une formation culinaire technique appropriée. Son savoir s’exporte au Japon (265 cuisiniers formés récemment), à la Réunion…
Reste à trouver la matière première et c’est là qu’intervient un autre acteur local : la plateforme Manger bio Périgord, interface logistique et administrative d’une trentaine de producteurs bio du département (maraîchers, éleveurs, producteurs et transformateurs).
Vous en rêvez à la maison ? Un centre de formation ouvrira en mars prochain au Buisson-de-Cadouin à destination des professionnels mais aussi des particuliers, miam, miam !
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Desserts : les effets 100% bénéfiques
Plus chère, la cuisine bio, locale et fait maison ? Que nenni. Elle entraîne conjointement la diminution du gaspillage alimentaire (de moitié en quelques mois au collège de Nontron), la baisse de la quantité de viande (denrée coûteuse) et la volonté que rien ne se perde en cuisinant sur place.
Les personnels de cantine viennent travailler le sourire aux lèvres. « Je leur apprends à se réapproprier leur métier et à se réorganiser collectivement, abonde Jean-Marc Mouillac. C’est dur au début mais ensuite, le résultat est là : il n’y a plus du tout d’absentéisme dans les cantines des dix collèges aujourd’hui labellisés. » La principale du collège de Montpon se réjouit aussi de ces changements : « Il s’est passé quelque chose, c’est rare, riche et fabuleux. »
On en oublierait presque le plus important dans tout ça : le bien-être des enfants. Jean-Marc, habité par sa mission, complète : « on fait à manger pour les pensées du futur. Nous utilisons 70 denrées produites en Périgord, ce sont 70 mots de vocabulaire au lieu des 12 proposés par la cuisine industrielle. »
Et le goût, alors ? La petite fille qui témoigne dans le reportage d’Envoyé Spécial livre une réponse friande à souhait : « Avant, c’était de la nourriture dans des boîtes, peut-être que le goût restait dedans ? »
Dégustez ce Plat de Résistance, un ouvrage qui met l’eau à la bouche avec des raisons concrètes d’espérer et d’avancer ensemble, tout en redonnant ses lettres de noblesse à l’éducation populaire : l’école et la cuisine sont aussi terres de partage.
Éditions Apogée – 20€
Myriam POUPARD