Tout est orchestré au plus juste, depuis le début, pour composer ce qui sera bientôt donné à voir et à écouter : les décors, les costumes, les musiciens, les chœurs et les solistes, les mises en place techniques et les répétitions artistiques, l’énergie qui se dégage de ce projet est perceptible et elle donne un coup de jeune à l’opéra.
L’histoire commence du côté de Thiviers. La jeune cheffe d’orchestre Chloé Meyzie, passant le premier confinement sur sa terre d’origine, a l’idée de rejoindre l’aventure Labopéra (lire encadré). Une poignée de passionnés se réunit en association autour du président Denis Rozier. Objectif : créer en Dordogne un opéra mêlant amateurs et professionnels du spectacle vivant. Devenue directrice artistique de la version périgourdine de ce laboratoire original, Chloé Meyzie réussit à fédérer les énergies en faisant le double vœu de maintenir un haut niveau d’exigence et de démocratiser le contexte. En plus des partenariats noués avec les collectivités, des établissements d’enseignement technique et professionnel sont impliqués depuis l’automne dans la conception et la réalisation du spectacle.
Mobilisation de la jeunesse
À Périgueux, des classes du lycée Léonard de Vinci créent et fabriquent les costumes des choristes, des jeunes de l’Espc Saint-Joseph interviennent pour la coiffure et le maquillage, des apprentis du CFA des Métiers (Boulazac) participent via les filières beauté-coiffure pour la mise en beauté des artistes et ébénisterie-art du bois pour réaliser les décors, de même que les compagnons du devoir (Chancelade). Les élèves de CAP peinture du lycée pro de Chardeuil (Coulaures) travaillent avec leur professeur d’atelier à la finition des décors tandis que le lycée agricole (Coulounieix-Chamiers) organise les “apéropéras” et l’IUT Tech de Co met la main aux réseaux sociaux pour la promotion. À Thiviers, ville siège du Labopéra, le lycée Porte d’Aquitaine participe aux décors avec sa spécialité d’ébénisterie et mobilier contemporain. À Sarlat, la filière cinéma du lycée Pré de Cordy donne de l’image au projet. Et à Agen, le lycée Lomet, réputé dans les métiers du spectacle, prend en charge les costumes des solistes. Conception, réalisation, organisation, promotion : des jeunes s’impliquent à tous les niveaux. Et aussi sur scène, bien sûr.
Pour les élèves et les apprentis comme pour les équipes pédagogiques, c’est l’occasion de sortir du cadre scolaire pour s’associer à un événement majeur. Ce processus de création « constitue une formidable occasion de montrer aux Périgourdins l’étendue des compétences du territoire, mais aussi d’inciter de nouveaux publics à découvrir cet art », soulignent les organisateurs.
Talents à l’unisson
Le projet artistique permet de valoriser un engagement amateur aux côtés de professionnels, de donner un sens nouveau à une formation, de révéler des talents en transmettant des savoirs. Le ballet de compétences, artistiques et techniques, s’organise depuis l’automne, au fil des répétitions et dans les coulisses de la fabrication, pour aboutir à un moment unique. 400 personnes de tous horizons s’activent avec 120 choristes adultes et enfants, un orchestre symphonique (musiciens amateurs issus du Conservatoire à Rayonnement Départemental de la Dordogne) et dix solistes. Aux côtés de Chloé Meyzie, Gersende Michel met en scène cet opéra le plus joué au monde : le chef-d’œuvre de Bizet, spectacle lyrique générateur d’enthousiasme, est le passeport idéal pour lancer la dynamique en Dordogne.
Cette volonté de mettre l’opéra à portée de tous se traduit bien sûr par des tarifs accessibles (19 à 49 euros la place) et une programmation dans une salle très fréquentée pour des événements sportifs ou des concerts de variété. La répétition générale sera même ouverte aux scolaires du département. De quoi abolir les frontières entre les publics. Labopéra voit large et loin : le rendez-vous a vocation à s’ancrer durablement en Dordogne.
Coopérative artistique
C’est une fabrique pas comme les autres : on y conçoit des opéras dans un esprit coopératif. Le réseau national La Fabrique Opéra fait émerger des projets en France. Le défi très populaire qu’il s’est fixé consiste à inviter tout un territoire à suivre une grosse production pour casser le mur de verre qui sépare l’opéra du grand public. En effet, « seulement 4 % des Français se rendent à l’opéra – dont 61 % d’abonnés – alors que 53 % écoutent de la musique classique ». L’expérience menée à Grenoble il y a dix ans s’est étendue en Val de Loire, en Seine et Marne, dans l’Oise, les Haut de Seine et en Alsace. Et la voici en Périgord, premier département de Nouvelle-Aquitaine à entrer sur scène avec Carmen, les 2 et 3 avril, au Palio de Boulazac.
Modèle économique
Les organisateurs expliquent que l’opéra est subventionné à près de 80 % en Europe, avec un prix moyen de place autour de 74 euros. Souhaitant permettre à de nouveaux publics d’accéder à l’art lyrique, Labopéra a réduit les coûts de fonctionnement avec une structure de production plus souple, grâce au talent d’amateurs issus des environs, et un modèle de financement fondé à plus de 50 % sur la billetterie. Le coût total d’une place est 3,5 fois moins élevé que celui d’un opéra traditionnel et le tarif public deux fois moins élevé. Le budget d’une production Labopéra est d’environ 250 000 euros.