À peine l’alpinisme est-il inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (Unesco) que la montagne cède lentement mais dangereusement sous les coups du réchauffement climatique : recul des glaciers, éboulements rocheux, érosions, crues torrentielles, changements de végétation. Si les appels au secours de la nature ne font pas assez écho à nos consciences, peut-être la poésie orchestrée par Philippe Écharoux parviendra-t-elle à attirer l’attention ?
Réenchanter les villages d’altitude
La Grave, Villar-d’Arène, Le Monêtier-les-Bains, Vallouise-Pelvoux, La Chapelle-en-Valgaudemar, Saint-Christophe-en-Oisans et Valjouffrey, départs historiques des grandes courses d’alpinisme vers les sommets, fleurent bon l’aventure. Ces sept hauts lieux des Écrins se sont fédérés cet été pour « promouvoir un alpinisme authentique et respectueux, transmettre la tradition aux nouvelles générations, sensibiliser le public à la beauté fragile du milieu naturel montagnard, mieux le préserver tout en continuant à vivre en haut du haut ». Philippe Écharoux a mis en images ce manifeste des élus, professionnels et habitants des hautes vallées, réunis dans un club des villages d’alpinisme.
Message universel
Le portraitiste marseillais, précurseur du Street Art 2.0., joue de douceur dans la forme pour donner toute sa puissance au message. Après avoir investi les villes, l’artiste a orienté ses projections lumineuses éphémères vers la nature en s’engageant, en 2016, pour la forêt primaire amazonienne, puis s’est exprimé à Bastia ou Val d’Isère, avant d’investir cet été le massif des Écrins en s’intéressant à des lieux reculés et à ceux qui y vivent « qui sont l’âme de ces villages, loin parfois des plus grandes stations ou super pôles touristiques ».
Les œuvres dispersées de cette exposition d’altitude sont autant de supports pour des rencontres et des échanges. L’artiste essaie « de placer de l’art contemporain avec une résonance écologique sous les yeux du grand public », avec un aspect ludique et sans laisser de traces de son passage. « L’objectif est de faire se mélanger la lumière et l’environnement sur lequel on la projette.» Lumière et matière s’épousent dans un équilibre précis et les habitants se fondent alors dans leur cadre de vie, « leurs visages fusionnent littéralement avec des bâtiments ou la nature alentour ».
Puissance des éléments
Dans cet immense terrain de jeu « encore sauvage », ces performances monumentales soulignent la relation privilégiée de l’homme et du patrimoine local, sous le sceau du respect, du partage et de la solidarité qui président aux traditions montagnardes. Le parc national des Écrins, spectacle de glaciers et de lacs d’altitude, de pics et d’aiguilles, de cascades et de massifs, d’itinérances et d’escalades, est le territoire privilégié des gardiens de refuges, guides de haute montagne, gardes et scientifiques du parc, secouristes. Ici, la puissance des éléments et l’extraordinaire biodiversité (plus de 4 500 espèces animales et végétales) confinent le randonneur à l’humilité. L’artiste ajoute à l’œuvre de la nature ce qu’on peut y projeter chemin faisant, l’énergie du dépassement de soi et le calme de la contemplation. Et, surtout, il donne la place qu’ils méritent à celles et ceux sans lesquels la haute montagne serait en plus grand danger encore ; il illumine ces talents du quotidien d’un naturel volontiers effacé ; discrets lanceurs d’alerte superbement révélés.
• “Lumière sur les villages d’alpinisme des Écrins”. Exposition simultanée dans les villages, portraits à dénicher jusqu’au 30 septembre, à la tombée de la nuit (les projections s’allument et s’éteignent en même temps que l’éclairage public). Gratuit.