Accueil BIEN commun Médiathèque de Périgueux. Une culture vivante

Médiathèque de Périgueux. Une culture vivante

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LIRE ET PLUS ENCORE. Si une bibliothèque se contentait de ce qu'était traditionnellement sa mission, c'est-à-dire le prêt retour de documents, "ça n’aurait plus beaucoup de sens : il faut donc introduire plus de pratiques, encourager la création et la recréation avec des laboratoires culturels”. Rencontre avec Anne-Sophie Lambert, directrice de la médiathèque de Périgueux.

« Internet a remis en question notre profession : puisque tout est accessible en ligne, avec une chute des prêts, les bibliothèques pouvaient disparaître. » Anne-Sophie Lambert, directrice de la médiathèque Pierre-Fanlac de Périgueux, revient sur l’évolution de ce métier et la réflexion sur le rapport au public, au service public de proximité ; sur fond d’un développement numérique qui marque finalement une ouverture à davantage de liens humains, qui plus est après la crise Covid.

Plus proche de l’usager

« La réflexion sur la transmission des savoirs et des savoir-faire au sein des territoires, au niveau national, a abouti en 2021 à une loi sur les bibliothèques qu’il n’y avait jamais eu en France et qui inscrit l’idée qu’une médiathèque n’est pas un simple lieu de ressources documentaires mais un lieu de vie et de rencontres. » Et on peut dire que celle de Périgueux, en plus d’être un lieu de valorisation des connaissances, n’est pas avare de programmes d’action culturelle. « De plus, le respect des droits culturels est inscrit dans la loi NOTRe, chacun peut y valoriser sa propre culture.»

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On est ainsi passé des modèles silencieux de bibliothèques d’études, où il fallait l’aide d’un bibliothécaire pour comprendre les catalogues, à des espaces plus ouverts et plus conviviaux, « dans l’esprit de tiers-lieux, où l’on se sent chez soi, en autonomie grâce aux simplifications de classement  qui facilitent l’appropriation ». (classification Dewey)

Espaces et usages

À Périgueux, la rénovation de la bibliothèque centrale, en 2018-2019, juste avant l’arrivée d’Anne-Sophie Lambert, a été un puissant levier, apportant un changement radical dans la conception des espaces et les propositions faites aux usagers, « il n’y a plus de secteur jeunesse, les jeunes sont partout, avec une construction par supports, loin des anciennes conceptions rigides ; on s’est plutôt demandé : quelle est la place des adolescents dans une bibliothèque ? ni du côté des enfants ni dans le silence des adultes ». Le propre de l’adolescence, en sorte : compliquée ! « La possibilité de se dire : je peux encore avoir deux types de lecture, envie de relire un roman ou un album qui m’a toujours plu et commencer à lire des livres d’adultes, voilà notre conception de l’accueil. »

La localisation de la médiathèque, à proximité des établissements scolaires de l’avenue Pompidou, n’est pas étrangère à cet intérêt. Les 0-3 ans doivent y reconquérir une nouvelle place, « les tout-petits, futurs lecteurs, feront peut-être l’objet du prochain projet de service », les bébés ayant besoin de l’oralité de l’adulte pour entrer dans une histoire : le début de l’aventure de la transmission.

Un phare en ruralité

Tee time à l’atelier tricot-Lascaux © SBT

La grande communauté des bibliothèques réseaute beaucoup, avec des professionnels qui partagent et échangent sur leurs pratiques… et leurs moyens. « La Dordogne est un territoire rural, avec de nombreuses bibliothèques gérées par des bénévoles, et le réseau de la bibliothèque départementale en soutien. Un bon tiers de nos abonnés travaillent à Périgueux sans y habiter, certains venant de loin, et on mesure notre utilité de centralité. » Avec la particularité de conserver un patrimoine que l’ensemble des collèges de Dordogne ne vient pas assez voir, « des manuscrits du Moyen Âge, pas assez connus, alors qu’on sait davantage que la moitié de la bibliothèque de Marie-Antoinette se trouve ici ». On trouve largement de quoi illustrer des séquences pédagogiques avec les enseignants sur des éléments de culture et d’histoire du livre. « Les collèges de Périgueux viennent peu, c’est très étonnant car les écoles primaires nous sollicitent. »

Laboratoires et ateliers

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La médiathèque s’est ouverte aux autres industries culturelles, avec une PlayStation et des réservations de créneaux de jeux vidéo, une porte d’entrée qui permet de découvrir d’autres choses. « On propose aussi au prêt 14 instruments pour encourager la pratique musicale, parce que c’est bien d’avoir des méthodes d’apprentissage et des partitions mais c’est encore mieux d’essayer de pratiquer, en emportant l’instrument chez soi pour un mois. »  Un vrai succès, pour tous les âges, débutants ou retour à une pratique, « tout ça, c’est un package global d’idées ».

Amplitude d’ouverture

Angélique Tosello, directrice adjointe, avec Anne-Sophie Lambert : bureau avec vue sur les toits de Périgueux © SBT

Cet autre regard sur la lecture publique devrait éviter une remise en question dans l’avenir du fait de l’accompagnement offert aux populations. En termes de services publics, c’est la médiathèque qui offre la plus large amplitude d’ouverture de l’ensemble de la mairie, « avec 42 heures par semaine, du lundi au samedi, sans interruption à midi, et on essaie d’être de plus en plus présent en ligne, grâce au travail d’Angélique Tosello, directrice adjointe. » Aux 118 000 entrées à l’année dans la bibliothèque centrale s’ajoute la fréquentation des annexes, celles du Gour de l’Arche et de Saint-Georges ayant des identités fortes, au sein d’un centre social et dans un quartier prioritaire de la ville s’agissant du Gour de l’Arche. « Je me pose en militante de la lecture publique : l’offre s’adapte pour attirer des enfants qui ne vont peut-être pas spontanément à la bibliothèque, avec des escape game par exemple, ils savent qu’ils peuvent bénéficier de l’aide aux devoirs, trouver des mangas. Quand on voit des bibliothèques qui brûlent, à Dijon ou à Grenoble, dans les quartiers prioritaires, ça ranime la part de militantisme dans la lecture publique. »

IA et EMI

Pause puzzle et concentration © SBT

De l’IA, Anne-Sophie Lambert ne veut voir que la façon dont elle va faciliter la vie du service dans les démarches administratives, « pour faire des stats, des choses pénibles qu’on fait encore plus ou moins à la main ; comme les automates de prêts installés à l’accueil nous dégagent du temps pour rencontrer le public ». Pour les métiers du patrimoine, l’IA permettra de faire de la paléographie, de rendre plus accessibles au grand public des documents anciens. « Notre métier consiste aussi à montrer aux jeunes comment on utilise l’IA. Comme avec Google, certains ne savent pas forcément utiliser les réponses trouvées : en tant que spécialistes de la recherche documentaire et de l’information, nous sommes en pointe pour expliquer comment écrire correctement un prompt sur ChatGPT afin d’avoir une réponse correcte… et la vérifier. »

En accompagnant l’idée que la vérité est sûrement plus importante que les opinions, l’institution remplit ici une mission qui rejoint celle des journalistes, autour de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et des formations à la recherche en médiathèque. « À partir du mois de septembre, un programme va monter en puissance autour de l’EMI, avec un retour sur l’histoire de la presse pour mieux comprendre les fake news, qui ont toujours existé : La Presse a ainsi disparu, faute de crédibilité, après l’annonce en Une du succès Nungesser et Coli dans leur traversée de l’Atlantique. »

• À suivre : La médiathèque, de clubs en ateliers

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Images et musique

Dans l’effort de valorisation de l’ensemble des supports, la médiathèque organise ce samedi 22 mars avec le collectif Las Cercanias et la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine (Limoges) une journée dédiée aux films amateurs consacrés au département et à la région. Un atelier cinéma permettra de découvrir les étapes de réalisation. Une projection de films d’archives amateurs et professionnels est prévue dans l’amphithéâtre, ainsi qu’une collecte de films sur pellicule qu’il sera possible de visionner, voire de transférer s’il présente un intérêt architectural, historique, humain lié à la Dordogne. La Cinémathèque les conservera.

En avant la musique. Ce rendez-vous pourrait être pérenniser dans les murs de la médiathèque, pourquoi pas, parmi d’autres ateliers. « On peut imaginer à l’identique une mise en valeur de la musique du Périgord, on a la chance d’avoir Some Product, les vinyles des différents groupes sont progressivement mis en conservation, avec les nouveaux supports de création. Conserver cette mémoire musicale nous semble important » assure Anne-Sophie Lambert, qui est aussi directrice des archives municipales, travaillant bien sûr avec les Archives départementales et Ville d’Art et d’Histoire.