L’histoire de Catherine Aerts-Wattiez et celle d’Expoésie se sont déjà croisées en 2020, période de flottement et de confinement… ce n’était pas le moment. Depuis, la galerie 66 a traversé la rue (il suffit de…) et l’artiste-galeriste a fini par réserver l’espace où elle accueille d’habitude d’autres trajectoires artistiques pour y présenter les terres anciennes d’où elle nous écrit, comme l’annonce le titre de cette parenthèse personnelle au cœur d’Expoésie. Un festival qui fait la part belle à des créateurs d’horizons plus lointains et trouve aussi à investir à domicile une poésie sans frontières. « Avec Hervé Brunaux, nous cherchions un artiste qui travaille sur l’écriture…» Et finalement, celle qui imprime l’œuvre de Catherine avait tout pour arrêter le regard des familiers d’Expoésie.
Voilà deux ans que Catherine Aerts-Wattiez n’avait pas montré d’exposition personnelle dans sa propre galerie, qui fait maintenant face à la Maison des Francs-Maçons, rue Saint-Front, à Périgueux. En prenant du recul sur ce trottoir pour admirer l’édifice, le public se retourne et découvre des œuvres, se laisse surprendre ou séduire, et pousse la porte. Certains deviennent même collectionneurs, parfois dans la jeune génération.
Jusqu’au 6 avril, les visiteurs trouveront donc à la fois la galeriste et l’artiste, deux personnages qui peuvent avoir du mal à s’entendre… car il est plus facile de promouvoir ses semblables, que l’on admire et choisit, que soi-même. Catherine Aerts-Wattiez s’essaie pourtant à l’exercice, entre l’atelier où elle crée sur place et les murs qui portent ses messages d’hier à nos yeux d’aujourd’hui, lecture contemporaine d’une transformation qui part et parle de l’enfance, de l’art.
Travail souterrain
L’artiste occupe tout l’espace sans rompre avec sa discrétion. « Je vous écris de mes terres anciennes… Ce titre est arrivé après mon travail sur les cercles, eux-mêmes pendant et après la série des cahiers et dossiers secrets.» Un retour sur la famille, la fermeture, l’enfermement, les souvenirs, ce qu’il reste d’une vie… traversée du Covid et perte maternelle mêlées. « Ce n’est pas forcément triste, ce que l’on a déplié lors d’un travail sur soi, on peut le replier et le ranger, on sait que c’est là. » En témoignent les petits et grands papiers soigneusement disposés dans son œuvre, secrets en série archivés et déployés qui parlent d’elle et nous parlent aussi. « C’était aussi après le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, les familles ressortaient des carnets, des lettres…» En écho à ces terres anciennes-là, la couleur rouille enveloppe les mots enfermés.
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Respiration
Comment sortir des cercles que l’artiste combine à ses traces terrestres, sur des papiers malmenés, cercle infernal des crises que l’on apprend à enchaîner entre espaces personnel et collectif — sanitaire, climatique, économique ? « Ce titre est arrivé des profondeurs, de la terre mère, de la matière, alors que je traçais et diluais, pour ouvrir par une élévation.» Une évaporation. Ailleurs, le cercle trop imbibé, saturé, imprégné, traversé, se lit finalement par son verso : « dans les crises, il faut aussi savoir tourner la page ». Clin d’œil d’un questionnement plus philosophique. Ce n’était pas l’idée de départ, c’est bien celle d’arrivée : transpercée.
Recoller les morceaux
Sortir du cercle vicieux, cesser de tourner en rond. La dernière série évoque l’issue de crise, lumineuse, d’or et d’ocre. Combinaison des papiers patiemment accumulés, pansements poétiques pour réparer le monde, « c’est ce que je fais qui me dit ce que je cherche » : magnifiques rustines aux terribles actualités qui nous traversent forcément, même si elles sont loin, là-bas. Besoin de jaune, couleur du temps qui passe et estompe les souvenirs, couleur de l’énergie de la douceur… et du soleil qui continue de briller.
Sauvetage
« Jusque là, je travaillais sur un papier épais que je marouflais sur le bois. Le papier fin que j’utilise depuis quatre ans me permet d’évoquer la fragilité, la détresse de certaines vies, celles qui ne comptent pas. Ce n’est pas un papier de prix, alors je me suis lancée sur des pliages que je ne m’autorisais pas. L’accrochage me permet d’organiser des ponctuations, de rythmer la lecture… » Et l’artiste donne une chance à des morceaux de prime abord écartés en les recadrant, lucarne déchirée sur un extrait à sauver.
La vie de la galerie prend du temps à l’artiste, qui s’attache à s’occuper de son œuvre, c’est-à-dire exposer aussi ailleurs. Elle sera à Ligueux pour Rendez-vous aux jardins, et à Issigeac en juin avec Jacques Blanpain et Martine Sandoz. À Simiane-la-Rotonde, en août, dans le cadre d’une exposition collective Urgent crier.
Entre 80 et 2800 euros, le spectre est large pour choisir une œuvre. Et Catherine Aerts-Wattiez prépare une nouvelle édition d’un livret qui présente ses cahiers secrets, petits classiques et réparations du monde…