Ce lundi 10 mai après-midi, quelques coups de visseuse vrillent la dernière ligne droite avant l’ouverture des Pieds dans le bocal, à Thenon. Quelques futurs clients tentent une approche, ils ont vu de la lumière : non, c’est pour demain matin. Ils comprennent bien, il leur tarde. Marie-Rose vient livrer les sacs de farine du Moulin de l’Évêque, à Vézac, alors Virginie et Jenny en profitent pour marquer une pause. La soirée sera longue… Perfectionnistes, elles ont à cœur de veiller aux derniers détails. L’essentiel est là, dans ce vaste local jusqu’alors inoccupé, dans lequel elles ont investi leur idéal, leur avenir. Et 150 000 euros. Les produits sont alignés sur les étagères couleur bois, côté commerce, tandis que la partie troquet-atelier balance entre seventies colorées et lignes pures.
L’idée de créer un espace de vente vrac, mais aussi d’éducation à cette pratique (surtout pas donneur de leçon !), est née bien avant la période Covid qui dope les achats de proximité et les préoccupations relatives au cadre de vie. Toutes deux géraient une maison d’hôtes où Jenny mettait en pratique un respect de l’environnement doublé d’un effet économique sur son métier d’origine, la cuisine, et pour l’entretien général de l’établissement. « Je fabriquais mes produits d’hygiène dans mes bidons, je faisais beaucoup de couture avec des chutes, je réutilisais au maximum et produisais très peu de déchets, les poules en éliminaient pas mal aussi. » Élevée par une maman qui achetait local et cuisinait maison, elle se souvient de rares visites au supermarché devant des rayons minimalistes à côté de l’insolence du choix que ces temples de la consommation offrent désormais. Et on ne parle pas d’années lumières, juste des 70’s.
Des souvenirs à l’avenir
Jenny a converti Virginie, certes tournée vers la nature, mais moins consciente que chaque foyer pouvait générer autant d’encombrants et inutiles monceaux de plastique, notamment, à recycler… ou pas. « Je me souviens, enfant, chez ma grand-mère, de ce qui me semblait magique : la bouteille vide laissée devant la porte chaque soir et qu’on retrouvait remplie de lait le matin. » Fortes de ces madeleines de Proust que l’époque tend à nous faire redécouvrir, elles ont eu envie de troquer leur maison pour un local à bocaux, ou un bocal pour locaux, au choix. Effet positif du confinement : leur activité d’hôtes a trouvé d’heureux acquéreurs en quête de campagne et elles ont alors pu entièrement se consacrer aux préparatifs. « Sortant d’une activité qui nous occupait 7/7 jours, nous apprécierons nos soirées et temps de repos prévus les dimanche après-midi et lundi.»
Premières en Dordogne à porter un projet “en vrac”, elles ont pris le temps de le mener à bien — il fallait d’abord tourner la page de leur affaire —, et viennent s’ajouter aux cinq commerces déjà éclos, tous géographiquement assez éloignés pour être complémentaires.
Leur parcours déjà probant dans le monde de l’entreprise leur a évité les obligations de formation à la gestion inhérentes à une création commerciale, juste un stage à la CCI pour Virginie, qui disposait d’un diplôme comptable. Elles ont surtout bénéficié, en adhérant au réseau Vrac — l’unique association en France et dans le monde qui soutient cet usage, y compris en faisant évoluer la réglementation —, de l’apprentissage des savoir-faire spécifiques à l’environnement du vrac, en matière d’hygiène ou sur l’aspect juridique notamment.
Pour aller jusqu’au bout de la logique zéro déchet, Jenny et Virginie ont choisi de proposer des plats cuisinés à emporter pour utiliser les invendus. Elles ont aménagé un espace cuisine, un “troquet” où l’on pourra s’installer pour boire une bière pression ou un café torréfié artisanalement en Périgord noir (P’ti Kawa à Nadaillac) proposé à 1 €. Sur la terrasse en été.
Cercle vertueux
Au catalogue de fournisseurs du réseau Vrac, utile pour tous les produits de base comme le riz ou le sucre, Virginie et Jenny ont ajouté une sélection de producteurs locaux, qu’elles ont testé mais surtout eu du mal à trouver, au début, car certains n’étaient pas capables d’assurer des livraisons de vrac et d’évacuer le plastique. La crise Covid a changé les pratiques et fait évoluer ce mode de consommation, si bien que leur panel s’est élargi pour réunir 80 professionnels de tout le sud-ouest, dont une trentaine du Périgord : les œufs de Sylvie à La Bachellerie, l’huile de noix du Moulin de la Veyssière à Neuvic, les biscuits Biola de Groléjac, la fameuse farine de sarrasin du Moulin de l’Évêque… tous seront bientôt à découvrir sur le site internet et sur l’affichage prévu en boutique. « Pour les fruits et légumes, nous travaillons avec Manger bio Périgord. » Pour la viande, l’organisation se fera avec une livraison de colis à dates définies après commande via la boutique auprès de producteurs identifiés : les jardins de Boscornut pour la volaille, la ferme de Fanlac pour le bœuf et le veau. Et ce sera le même système avec Poiscaille pour un poisson issu d’une pêche écoresponsable pratiquée par de petits équipages, qui travaillent en toute transparence, selon les saisons. « Il y a une grande attente pour ces arrivages. »
À boire, à manger et à lire
Et puis il y a tout le reste, sept bières locales et voisines (Gironde et Corrèze), produits de beauté et bonbons beaux à croquer dans leurs bocaux géants, sans oublier les livres qui parlent de sujets chers à l’esprit du lieu, « nous avons choisi les maisons d’édition ! ». On trouve en bonne place La famille zéro déchet, des ouvrages sur l’alimentation saine ou le yoga. Et une boîte à lire pour faire tourner des titres en prêt.
Avec 1200 références, le nouveau bocal a déjà tout d’un grand et fait très fort pour son ouverture. Même si ce pot de terre sait ce qu’il représente face aux pots de fer, il pense trouver sa place dans l’offre existante, parce que la demande est bien là et pousse dans leur sens. « Pas de profil type de clientèle, pas mal de personnes âgées, des jeunes familles aussi. » Il existe un réel potentiel, Virginie et Jenny l’évalueront au bout de six mois, mais pensent qu’elle auront besoin de renfort.
« On n’a jamais vu ça à Thenon ! », s’enthousiasment déjà des habitants. Installé en bordure de RN89, Les pieds dans le bocal suscite l’intérêt de futurs consommateurs de Montignac, Hautefort, Rouffignac, Tourtoirac, une vaste zone de chalandise qui s’exprime à travers les 1500 abonnés de la page facefook ouverte depuis plus de deux ans. Touristes et résidents secondaires des environs devraient se joindre à eux pour faire le plein de produits locaux à grands renforts de bocaux.
Bientôt, d’autres vidéos à retrouver
Des ateliers solidaires
Les rencontres que font déjà Jenny et Virginie, ajoutées au réseau qu’elles avaient déjà, leur a donné envie de proposer des ateliers et elles ont aménagé un local spécifique pour réunir de petits groupes intéressés par l’apprentissage du langage des signes, des animations avec Le domaine du bout du monde pour la découverte du vin ou avec des brasseurs locaux, mais aussi un spécialiste de gemmothérapie expert en cueillette de plantes sauvages. La pièce pourra aussi servir pour des réunions d’entreprise ou des anniversaires d’enfants.
Consigne
En plus du vrac, Les pieds dans le bocal s’est rapproché de l’Attache rapide, association bergeracoise qui promeut la consigne en Dordogne et porte la création d’une station de lavage pour les brasseurs et les vignerons. « Nous serons un point de retrait pour récupérer les consignes de bière et vin. »