Mais quel est donc ce champignon au chapeau tout biscornu, comme si on lui avait marché dessus. « C’est une helvelle », explique Guillaume Eyssartier en brandissant ce drôle de spécimen devant le public. « Elle fait partie des ascomycètes, comme les truffes. Elle projette ses millions de spores comme un canon, à très grande vitesse. » Il y a débat sur sa comestibilité, les mycologues ne sont pas tous d’accord, mais son aspect ne donne guère envie d’y goûter. Le guide, qui est aussi président de la SMBP24, la société mycologique et botanique du Périgord, est intarissable sur le sujet. Ce chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle est l’un des plus fameux mycologues français.
À ses côtés, il y a Daniel Lacombe, professeur d’histoire géo en collège, expert en champignons connu en Dordogne depuis plus de 40 ans. Il fut durant 18 ans le président de SMBP24. Rien n’échappe à ce duo de choc. Il présente un tricholome terreux au chapeau gris peu engageant, pourtant comestible et qu’il apprécie dans son assiette. Mais attention, dans cette famille il y a des cousins qui sont toxiques. Comme pour toutes les identifications, les mycologues observent tous les détails, du bout du pied qu’il faut soigneusement déterrer, au chapeau avec ses lames et ses spores, sans oublier l’odeur et le goût en mâchouillant un petit morceau !
La question de la comestibilité
Ce jour-là, nous sommes à Paunat, la commune la plus au sud du Grand Périgueux, dans le canton du Périgord central. La société mycologique y organise l’une de ses 40 balades de l’année à travers la Dordogne ou le Lot voisin. Ces sorties publiques sur le terrain sont encadrées par des spécialistes de l’association. Les participants y ramassent tous les champignons possibles pour les identifier finement et les présenter. Elles sont ouvertes à tous, comme un outil de diffusion de la culture mycologique. La SMBP24, issue de la fusion de deux sociétés savantes naturalistes, compte 300 adhérents. Certaines sorties durent toute une journée avec ramassage le matin, pique-nique et après-midi d’exposition dans une salle communale.
La sortie de ce jour à Paunat est concentrée sur l’après-midi, en relation avec le Grand Périgueux, pour participer à l’atlas de la biodiversité (lire par ailleurs). L’animateur naturaliste territorial Tanguy Pérochon accompagne les experts. 67 espèces différentes sont identifiées lors de cette sortie concentrée dans un petit bois de châtaigniers et résineux. « Les bons jours nous en trouvons plus d’une centaine », explique Daniel Lacombe. La question de la comestibilité revient souvent et peut agacer les experts. Une grande majorité de champignons seraient mangeables mais n’ont aucun intérêt ou mauvais goût : « il faudrait vraiment ne rien avoir à manger dans son frigo », sourit Guillaume Eyssartier.
Toxiques ou mortels
Même identifiés comme comestibles, les champignons doivent être bien cuits, bien préparés (par exemple en enlevant la peau du chapeau de certains bolets laxatifs) et mangés en petite quantité. Certains toxiques provoquent des désagréments, d’autres peuvent vous envoyer à l’hôpital. Les mortels comme la célèbre amanite phalloïde vous détruiront le foie en quelques jours. Dans certaines espèces, il y a beaucoup de faux amis. L’identification précise fait parfois appel à une loupe, voire à un microscope ou même l’utilisation de réactifs particuliers.
Guillaume Eyssartier a une mémoire encyclopédique mais s’entoure de précautions scientifiques. La mycologie, c’est son métier. Il partage son temps entre le Grand Périgueux et Paris pour sa participation à de nombreuses recherches. Il est auteur ou coauteur d’une quantité incroyable de guides sur les champignons. Il vient de rééditer avec Pierre Roux la cinquième édition de la bible du genre, Le guide des champignons France et Europe, chez Belin. En Dordogne, il a participé au Guide écologique des champignons Périgord Quercy, édité par les éditions du Machaon par Philippe Vincenot, qui est aussi un illustrateur exceptionnel.
2800 espèces en Dordogne
Il n’y a pas que les bolets et les girolles dans la vie d’un mycologue. Lactaire ou russules offrent de très bons comestibles. Les clavaires en forme de coraux sont très beaux. Les petits inocybes offrent une immense diversité pour l’identification. Les amanites sont très variées, avec même des espèces venues de États-Unis. Certaines, comme la rougissante, alias golmotte, sont comestibles bien cuites. Sur les arbres, on trouve l’imposante langue de bœuf qui est très appréciée dans certains pays où elles est mangée sous forme de sushis. Il y a de nombreuses espèces de girolles, toutes excellentes à manger. 3300 espèces de champignons sont répertoriés en France dont 2800 en Dordogne. Il y a de quoi faire.
Au cours des sorties mycologiques, on en apprend bien plus que dans un livre ou sur des sites internet. « Lorsque vous avez un champignon à odeur de radis, vous êtes presque sûr qu’il est toxique », résume Daniel Lacombe, entre de nombreux commentaires. Guillaume Eyssartier déterre un champignon en forme de brindille orange, un cordyceps militari, pour prouver son étrange mode de vie : « il pousse toujours sur une larve d’insecte ». Tout un monde.
• L’adhésion à la société mycologique et botanique est de 21 euros par an (siège à la mairie de Chantérac).
Dans le grand inventaire du Grand Périgueux
La communauté d’agglomération s’est lancé depuis 2022 dans la constitution d’un atlas de la biodiversité communale en adhérant à l’agence régionale de la biodiversité de Nouvelle Aquitaine. Grâce à un appel à projet, le Grand Périgueux réalise un diagnostic du patrimoine naturel de son territoire. Cet inventaire, qui peut faciliter à la prise de décisions des politiques locales, est aussi un outil de sensibilisation des élus comme des citoyens à la biodiversité. Les 43 communes du territoire sont concernées. Des inventaires des mammifères, des chauves-souris, des libellules, des amphibiens et des reptiles ont été lancés. Le travail de terrain sur les champignons avec la société mycologique fait partie de cette opération. Le but est de passer à terme dans toutes les communes.
Le Grand Périgueux possède dans son périmètre 11 zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (comme la forêt de Lanmary ou le Causse de Savignac), trois sites Natura 2000. La présence de 196 espèces d’oiseaux a été recensée sur le Grand Périgueux, de 35 mammifères sauvages non volants (dont des loutres), 15 espèces de chauves-souris, 104 espèces de papillons de jour et déjà 880 espèces de champignons. Des restitutions cartographiques sont prévues au premier semestre 2025.
• Une animation gratuite sur le terrain avec la société mycologique s’est ainsi déroulée à Paunat le 31 octobre, une autre est prévue le 16 novembre dans la forêt de Lanmary : rendez-vous à 9 h 30 au parking du centre médical d’Antonne-et-Trigonant. Réservations au 06 07 35 16 13 ou par mail à geyssartier@gmail.com
Le salon des champignons, à Chancelade
L’édition 2024 est organisée samedi 9 et dimanche 10 novembre de 10 heures à 18 heures, dans l’espace culturel de Chancelade et autour, rue des Libertés. Entrée gratuite. Exposition de champignons frais ramassés la veille dans les bois, présence de mycologues pour des expertises, artisanat autour des champignons, vente de champignons, plats à base de champignons, cours de cuisine, librairie spécialisée sur la nature, randonnée pédagogique, conférences de Jean-Claude Pargney sur les truffes et de Guillaume Lopez sur le monde méconnu des champignons avec dédicaces des auteurs… Renseignements mairie de Chancelade 05 53 07 91 00.