Les vieux murs de leur maison située à deux pas de Montignac-Lascaux sont bien isolés par les milliers de livres qui tapissent toutes les pièces. La vie de Chantal Tanet, originaire du Périgord Noir, et de son compagnon Tristan Hordé, venu de la région parisienne, est une longue histoire commune de partage de la connaissance. Leur nom apparaît sur la couverture de nombreux livres, notamment sur la langue française et sur le Périgord. Par leurs études de Lettres, leurs nombreuses expériences professionnelles et leur immense curiosité, ils sont devenus lexicographes, c’est-à-dire auteurs de dictionnaires.
Durant une vingtaine d’années Tristan Hordé a été un collaborateur du très médiatique Alain Rey, aux Éditions Le Robert. « Il était extrêmement exigeant, il fallait gagner sa confiance. Dès notre première rencontre, autour d’un déjeuner, le courant était très bien passé. Il était très respectueux de notre travail. Après il nous laissait une paix royale. Cet homme savait tout sur presque tout et avait un esprit encyclopédique. » Tristan Hordé a collaboré sur les tomes du Dictionnaire historique de la langue française. Il pouvait travailler en partie en Dordogne, en allant régulièrement à Paris. Il est aussi passé chez le concurrent Larousse pour réaliser en 1977 un dictionnaire des synonymes maintes fois réédité. « Un grand succès qui a beaucoup été copié et pillé par d’autres », soupire l’auteur.
Le succès des synonymes
Sa compagne, Chantal Tanet, a fini par participer à ces dictionnaires : « Je n’étais pas lexicographe, mais je me suis embarquée là-dedans avec Tristan. C’était un travail énorme pour rentrer dans ces codes, il fallait une très grosse capacité de travail. Heureusement, j’avais fait du latin, je me débrouillais en grec, et j’avais étudié des langues comme l’allemand et le japonais ». Passionnée d’onomastique (l’étude des noms propres), elle a ensuite travaillé sur le dictionnaire des prénoms chez Larousse. Ce savoir-faire l’a aussi amenée à écrire un dictionnaire des noms de lieux du Périgord, qui fait référence. Tous deux ont adoré la liberté de cette carrière de lexicographe à distance, sans hiérarchie directe. « On était en télétravail avant l’époque d’Internet, on envoyait nos papiers par la poste », raconte Chantal Tanet.
Tristan Hordé avait débuté comme instituteur Freinet en région parisienne avant de passer son agrégation et de travailler à l’université de Tours. Par choix, il est parti ensuite enseigner en lycée, à Brive, « pour rester près de la Dordogne », et de Chantal. Il avait continué à utiliser la méthode Freinet, se retrouvant mal noté par une inspectrice n’appréciant pas l’utilisation de cette pédagogie en lycée. Chez le mammouth de l’Éducation nationale, les pas de côté sont mal vus. Il a tenu bon. L’enseignement lui a permis de continuer à assurer le quotidien tout en trouvant du temps pour écrire ses livres. Au bout d’un moment, le travail sur les dictionnaires à succès, comme les synonymes, a même permis d’assurer un revenu complémentaire pour rénover et agrandir leur vieille maison du Périgord.
Tombés dans la poésie
L’énorme travail consacré aux dictionnaires leur a donné les moyens de choisir d’autres champs de création. Tristan Hordé, tombé depuis très longtemps dans la poésie contemporaine, a multiplié les collaborations avec des revues et des éditeurs. Par exemple pour La Pléiade, autour du poète Yves Bonnefoy (1923-2016). Chantal Tanet, germaniste, est aussi partie en résidence en Allemagne pour traduire les œuvres du poète autrichien Erich Fried (1921-1988). Elle en a profité pour donner des cours au lycée français de Francfort. En France, elle a partagé ses talents en animant durant des années des ateliers d’écriture à Montignac. Elle a créé et alimenté la rubrique Un prénom dans l’assiette dans les premières années du magazine Famosa. Elle a aussi donné durant trois ans beaucoup de temps lors du réaménagement des locaux de la Société historique et archéologique du Périgord, la Shap, à Périgueux, pour inventorier le riche fonds ancien, parfois perdu sous des couches de poussière.
Retraite créative
Dans leur retraite créative du Périgord noir, les deux amoureux des mots jouent aujourd’hui volontiers avec les arts plastiques. Elle dessine des fleurs avec une rigueur de botaniste et crée des tableaux en profitant de la proximité de la maison de pastels Girault. Lui s’amuse à sculpter des bois récupérés qu’il disperse à travers ses bibliothèques.
Tous deux ont multiplié l’écriture de livres sur des sujets leur tenant à cœur comme le Périgord, la Préhistoire et la gastronomie (lire plus bas). Ils en préparent d’autres, par exemple sur le silex. « On arrive à un âge où on se dit parfois à quoi bon », soupire Tristan Hordé. À 86 ans, il continue cependant à se faire plaisir via l’écriture et à être un passeur de culture. Chantal Tanet, 71 ans, voit les années passer sans se lasser de continuer à créer, même si cela peut devenir plus difficile : « S’arrêter, c’est le début de la fin ».
À l’époque du tout numérique, reliés au monde par la fibre optique, ils conservent leur passion des livres intacte. Pas encore au point de leur maître Alain Rey, qui les collectionnait : « il avait même acheté une autre maison pour les conserver ! »
Pour retrouver leurs livres
Les deux publications les plus personnelles et les plus originales de Chantal Tanet et Tristan Hordé sont parues aux Éditions Fanlac. “Lascaux, une œuvre de mémoire”, avec les photos du préhistorien Jean-Michel Geneste, est un regard à la fois littéraire et scientifique sur la célèbre grotte et ses peintures pariétales uniques au monde. “L’invention d’un paradis, le Périgord” détaille l’âme et les particularismes de ce département et de ceux qui y vivent à travers un florilège érudit de regards d’auteurs.
“Les noms de lieux et de lieux-dits du Périgord”, publié d’abord chez Fanlac, puis aux Éditions Sud Ouest, raconte le département à travers l’origine des noms de ses villages, avec des indications historiques et géographiques qui incitent à la découverte sur le terrain. Chantal Tanet a également écrit et illustré une histoire de la truffe très complète aux Éditions Sud Ouest.
Enfin, tous deux se sont plongés dans les archives et les bulletins de la Shap, la Société historique et archéologiques du Périgord, pour écrire la première “Histoire de la Shap” à l’occasion de ses 150 ans, en 2024. Ce petit livre édité par la société permet de comprendre le contexte de sa création, les personnages qui s’y sont investis, les passions et les talents qui continuent toujours à l’animer.
Tous ces ouvrages se retrouvent chez les bons libraires de Dordogne.