Home BIEN commun Le groupement forestier citoyen Lu Picatau, pour une gestion collective des forêts

Le groupement forestier citoyen Lu Picatau, pour une gestion collective des forêts

Environnement. Forêt. Depuis sa création 2020, le Groupement Forestier Citoyen Lu Picatau fait doucement mais sûrement son chemin, à l’image des forêts qu’il achète pour les soustraire aux ravages de l’industrialisation. Sans pour autant renoncer à l’exploitation, mais d’une autre façon, plus respectueuse de la biodiversité et du cycle de vie des arbres.

Chaque année depuis la création du GFC, Emmanuel Repérant et Etienne Mériaux reçoivent mandat des 170 associés que compte le groupement, pour en assurer la gestion administrative. Depuis 2020, 71 ha ont été acquis. Il reste à présent à gérer et exploiter ces forêts, avec l’objectif de les maintenir les plus fortes possible, en laissant sur certaines parcelles la nature reprendre ses droits, mais pas seulement.

Une question de temps

Achetant majoritairement des parcelles abandonnées durant la déprise agricole il y a près de 30 ans, le GFC Lu Picatau met en œuvre une sylviculture douce lorsque cela est envisageable.

Comprenez « une sylviculture sur le long terme, explique Etienne Mériaux. On regarde loin, sans se préoccuper d’une rentabilité immédiate. On produit puisque les arbres poussent, mais avec l’objectif de récolter plus tard, lorsqu’ils auront atteint leur maturité. On ne coupe pas un arbre avant cette maturité, et alors qu’il produit, pour des raisons économiques avant tout, pour en mettre un autre qui ne fera rien avant 30 ans, renchérit Etienne. Nous ne sommes pas dans une logique de court terme qui veut un résultat immédiat, en torpillant tout le terrain et la biodiversité qui va avec ».

Une démarche à contre-courant des politiques actuelles, plébiscitant de bonnes coupes rases, encouragées notamment par la demande accrue en bois énergie, pour remplacer notre dépendance aux énergies fossiles. Un groupe issu du Bureau du GFC, accompagné d’un technicien forestier professionnel, effectue des diagnostics des forêts dont le groupement est propriétaire.

« On regarde, énumère Emmanuel, si les parcelles ont un intérêt écologique. S’il y a des espèces exotiques, on les retire car elles concurrencent la biodiversité locale. On regarde également s’il y a besoin de réaliser des éclaircies ou de remanier un petit peu. Si on fait le choix de pratiquer une sylviculture douce, on prélèvera 20% tous les huit ans, afin de mettre une rotation en place ».

Des citoyens engagés pour leur forêt

Une approche volontaire et nuancée qui séduit peu à peu habitants et certains élus. Un exemple à suivre pour des citoyens qui veulent prendre en charge la santé de leurs forêts, et ne plus assister impuissants au désastre écologique et sanitaire à l’œuvre. Pour autant, le GFC Lu Picatau ne se positionne pas en opposant.

« Nous nous situons entre les associations qui sont pour la préservation totale et la libre évolution, et les forestiers qui font de l’exploitation, insiste Emmanuel. On achète les parcelles, et en les gérant nous-mêmes, on essaie de démontrer que c’est possible de produire du bois, en préservant la biodiversité forestière et l’écologie ».

Une démarche qui à défaut de convaincre tout le monde, suscite l’intérêt et l’accompagnement du Parc Naturel Régional Périgord-Limousin  PNRPL et du Conservatoire des espaces naturels, le soutien de certains maires comme celui de Saint-Estèphe, et, « ajoute Etienne, encourage des gens qui viennent vers nous spontanément pour vendre leurs parcelles ».

L’action du GFC Lu Picatau ne s’arrête pas là. En créant la plateforme collaborative. Info GFCE, il accompagne le développement d’autres Groupements Forestiers Citoyens et Écologiques (GFCE), une appellation déposée récemment auprès de l’INPI. Outre du partage d’informations juridiques et administratives, des ateliers sont également proposés.

Son appartenance au Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF), lui permet d’organiser et de participer à des formations chaque année.

Cinq GFC existent désormais en Dordogne ; un nombre important par rapport à d’autres départements ; une mobilisation qu’explique Etienne « par la forte proportion de forêts périgourdines et la conscience écologique de néoruraux et d’habitants qui ne veulent plus rester spectateurs face aux coupes rases qui défigurent leur territoire ».

Une future société forestière

Depuis trois ans, outre les acquisitions, il y a eu toute une phase d’apprentissage. La prochaine étape consiste désormais à exploiter les 70 ha de forêt du GFC Lu Picatau. Il reste à mettre en place une organisation pour réaliser des coupes chez tous les propriétaires. D’où un projet de création de société forestière.

« L’association Forêts sans âge, réunissant des citoyens, des propriétaires et des professionnels, a financé une étude économique sur la faisabilité de cette société financière forestière, dont nous aurons les résultats d’ici quelques semaines, relate Emmanuel. La création de cette société permettra de travailler avec les autres GFC, mais pas seulement, et de pratiquer de la sylviculture douce, grâce à la mise à disposition de deux bûcherons ».

L’aboutissement d’une démarche prenant en compte la forêt comme un bien commun, une sylviculture raisonnée, soucieuse de la protection des milieux forestiers et de leur biodiversité, en s’appuyant sur les ressources et savoirs locaux.

Qu’est-ce qu’une coupe rase ? Et quelles sont ses conséquences ?

« Abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle » selon la définition de l’Inventaire forestier national, la coupe rase est utilisée le plus souvent pour remplacer une essence par une autre, des feuillus par des résineux par exemple.

Au-delà de l’aspect paysager, des hectares dévastés, dépouillés de toute végétation, ces coupes mettent un terme au cycle de la biodiversité, en bouleversant l’écosystème fait d’oiseaux, d’insectes, de petits mammifères, de champignons et de végétaux. Tassés, les sols s’érodent et peinent à abriter une quelconque vie organique. Enfin, ces coupes entraînent une augmentation de la température au sol pour aller jusqu’à 10°.

Les groupements forestiers citoyens pensent et veulent montrer que d’autres alternatives sont possibles, et que la forêt est un écosystème vivant, et pas seulement un capital que l’on veut faire fructifier.