Katia Kanas, qui ne voulait plus rester seule « face à l’effondrement, aux effondrements en cours », a souhaité partager avec d’autres ses réflexions et ses informations. Cette femme engagée qui s’est beaucoup investie au sein de Greenpeace France, dont elle a été l’une des fondatrices en 1977, a créé en 2019 au Bugue le café philo écolo qu’elle anime depuis. Le rendez-vous est accueilli au Café de l’Union, place de l’Hôtel de ville, le dernier samedi du mois (10h-12h). Cette fin novembre, l’audience de fidèles est élargie pour aborder le sujet choisi : “Pourquoi et comment s’adapter au réchauffement climatique ?“.
Après un tour de table de présentation, Katia ouvre une conversation nourrie par des lectures et expériences. La question du jour colle parfaitement à l’actualité, sur fond d’inondations dévastatrices et de COP29 : « Le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) lancé par le gouvernement après les inondations catastrophiques, fin octobre, est encore ouvert à la concertation jusqu’au 24 décembre : tout le monde peut le consulter sur internet, le commenter ou faire des propositions. Ce sera le point de départ de notre discussion. » Il y est question d’un avenir à +4° en 2100… Ce questionnaire sur cinq axes appellera une analyse des résultats.
« Les politiques ne bougent que lorsque la population les y pousse. »
La parole circule sans grand optimisme sur ce qui peut changer, pointant le manque général de moyens, « encore moins pour le climat ». Un membre de SOS Forêt Dordogne invite à analyser un rapport à la nature qui assimile cette ressource à un produit de consommation, « à une matérialisation et une question d’argent » ; et il signale l’intensification des coupes rases. Un échange sur le bois énergie s’ouvre, solution écologique ou hérésie ?, avec une invitation à relativiser l’effort que chacun fait, les bons gestes pour le climat conseillés par l’Ademe, à l’aune du super-trafic maritime mondial. Katia considère que toute source d’énergie est en soi géniale, « le problème, c’est l’usage qu’on en fait ».
Tous viennent ici avec plus de questions que de réponses au regard de situations complexes et multifactorielles. Et, avant même d’envisager des solutions, se questionnent sur leurs motivations. « Même si on cessait toute émission de CO2, la sixième extinction des espèces est en cours et elle est délibérée. » Ce participant rappelle que dans Mal de terre, Hubert Reeves parle d’un processus irréversible. D’où la nécessité urgente de s’adapter plutôt que tergiverser, « et ça commence par changer le modèle économique qui a tout cassé ». Le CH4 est plus destructeur que le CO2 pour l’effet de serre. Et ne parlons pas des guerres toujours plus nombreuses qui ravagent le monde.
« On ne peut pas échapper individuellement au système. »
S’interrogeant tour à tour sur la décarbonation de l’agriculture, les leviers pour agir en respectant les cycles de la terre, les productions subventionnées à outrance, le refus de la publicité « comme outil totalitaire de la manipulation et de la compétition », la surabondance textile due à la fast fashion, l’économie de survie ou de robustesse, les uns et les autres affichent une volonté de se montrer raisonnable à l’échelle individuelle — Vincent s’astreint même à ne pas se chauffer en ce début d’hiver — en mesurant l’impuissance et le manque de prise sur la politique mondiale de croissance.
Ce conflit intérieur engendre de nouvelles difficultés psychologiques, mais les petits gestes qui semblent dérisoires signent pourtant une adaptation bien réelle. C’est inconfortable, mais cohérent. « Il y a 45 ans, je me demandais déjà quoi faire de tous ces déchets… On en a maintenant le double ! C’est une obsession pour moi et pourtant j’en produis encore », constate Katia, qui reste mobilisée mais refuse de se culpabiliser puisqu’elle fait ce qu’elle peut.
« On est nombreux à se poser des questions, à constater que le profit passe avant le respect de la nature. »
À +3°, un tiers de l’humanité risque ne plus vivre dans une niche écologique (monde habitable pour notre espèce). Une chose est sûre, « l’humain succombe à 42° » et le plus facile d’ici-là, c’est le déni. Entre désespoir et confusion, beaucoup veulent continuer à chercher et proposer une autre voie, poursuivre l’exploration en direction du vivant. Cependant, la jeune génération a besoin de garder espoir, de sentir qu’elle fait partie de la nature et de se reconnecter à l’essentiel. Au-delà de l’éducation, des outils existent, des collectivités s’engagent pour une économie durable. Connaissons-nous les documents sur les risques majeurs à proximité de chez nous ? Avons-nous préparé notre kit d’urgence en suivant les consignes de la Croix-Rouge ? Isabelle constate, dans sa commune de Meyrals, une impossible autonomie. Cette amoureuse des plantes sauvages invite à une sortie autour du Moulant, un cours d’eau vivant, pour un temps qui permet de rompre avec « cette société mortifère qui (me) bouleverse », combat de vie et de mort, d’être et d’avoir.
Car en fin de rencontre, c’est prévu, les participants partagent des annonces de spectacle ou de conférence, des centres d’intérêt, des lectures… et choisissent ensemble le prochain thème du café philo écolo. Ils passent un tour pour les fêtes de fin d’année et se retrouveront samedi 25 janvier pour se demander « De quoi avons-nous besoin ? » Les nouveaux sont bien sûr les bienvenus.
Ils sont venus
Arrivée dans les environs il y a deux ans, cette néo-Périgourdine heureuse d’y planter des arbres et d’apprendre le métier de la terre a poussé la porte du café philo écolo faute de pouvoir s’épanouir dans la commission développement durable de sa commune. Mais elle reconnaît qu’il faut y siéger malgré tout, pour faire avancer les choses malgré les « n’allez pas effrayer tout le monde ! » qu’on lui oppose. Elle s’investit notamment au sein d’un groupement forestier citoyen écologique. Sa vie et ses cinq enfants l’ont bien occupée : l’engagement politique, pour elle, c’est maintenant.
Jonathan, de par son quotidien professionnel, ”baigne” dans ces sujets. Ce matin-là, il a apprécié de prendre le pouls des réflexions et des connaissances du groupe, noté la bienveillance et le haut niveau d’acculturation. « J’invite à dépasser ce constat », à trouver les courroies de transmission, les outils, les solutions mais surtout « pour quel projet de société » ? Il appelle à regarder du côté des sciences humaines, lui qui a été formé par ”les sciences dures”. Et en bon hydrologue, il sait que « les petits ruisseaux forment un grand fleuve ».