En ce mois d’octobre 2022, Émilie Moncomble se sent extrêmement fatiguée. Pour cette maman solo qui a toujours eu l’habitude d’anticiper, de tout organiser et d’enchaîner les journées doubles professionnelle et personnelle, rien d’extraordinaire.
Une fatigue physique et psychique qui ne dit pas son nom
Multiplier les démarches pour installer son fils à Niort pour son entrée à la fac ? facile. Lui trouver un appartement, chiner des meubles, effectuer les formalités pour qu’il soit dans les meilleures conditions possibles pour sa rentrée universitaire ? élémentaire. Affronter en plus une réorganisation dans son emploi, avec son lot de stress et de surcroît de travail ? un jeu d’enfant ; elle a toujours adoré quand ça bouge. En cet automne 2022, elle est servie. Il en faut plus que cela pour la déstabiliser. Du moins, c’est ce qu’elle pense. Mais la première alerte retentit lorsqu’elle sort du bureau de sa conseillère bancaire qui vient de lui assener un coup de massue.
Elle n’aurait pas droit au prêt garanti par l’État pour les études de son fils. Ce qui signifie anéantissement de tout ce qu’elle a mis en place et retour à la caisse départ. Première grosse défaillance ; le lendemain au bureau, elle craque. Et même si la banque lui confirme rapidement qu’elle peut prétendre à ce prêt, cette première digue qui lâche n’est que l’un des signes avant-coureurs du tsunami qui se prépare.
Elle affronte pourtant sans se plaindre les autres aléas et contretemps qui se succèdent sans répit. Quand elle pense être enfin au calme, après la rentrée de son fils, elle doit envisager de déménager. Faute de pouvoir sur le moyen terme assurer les dépenses inhérentes à sa maison et à l’appartement de son fils, elle se résout à faire une demande de logement plus petit. Émily encaisse et tente de faire le deuil de cette maison et de tout ce qu’elle y a vécu avec son fils depuis douze ans. Elle se dit qu’elle a de la chance ; ses amis sont là pour l’aider en ce jour de déménagement. Cette fatigue qui ne la quitte plus, et cette difficulté à trouver du sens à tout ce qu’elle fait vont bien finir par passer. Elle en a vu d’autres dans sa vie.
Comme beaucoup de mères solos, elle s’est tellement mis la pression par peur de l’échec et du jugement. Mais l’être humain n’est pas un puits sans fond, capable de supporter toutes les épreuves sans récupération. Nous avons tous une réserve d’énergie, mais quand cette réserve n’existe plus ?
« Émily, vous faites un burn-out »
C’est étrange ce qui lui arrive en ce matin d’octobre. Elle se revoit, assise à son bureau en train d’échanger au téléphone avec une dame. Alors qu’elle veut donner une explication, les mots et les phrases s’emmêlent et se bousculent dans sa tête. Elle a l’impression désagréable de se vider physiquement. Pensant faire un AVC, elle tente de prévenir son collègue, qui prévient immédiatement leur responsable, également secouriste au travail. Emily se sent si fatiguée. Elle n’a qu’une envie en cet instant, dormir. Le risque d’AVC est écarté par les pompiers. Elle vient de faire un malaise vagal et son médecin lui prescrit un arrêt de travail de quinze jours qu’il conviendrait de prolonger.
Mais Emily décide de reprendre son travail et ce, même si cette seule pensée provoque des crises d’angoisse qu’elle a du mal à endiguer. Deux Emily se font face ; celle qui n’aspire qu’à lâcher prise, se reposer, et l’autre, pugnace, qui refuse de s’écouter.
Sa responsable qui vient me prendre de ses nouvelles le jour de la reprise comprend tout de suite ce qui se joue. En nage et en proie à un pic de stress et d’angoisse, Émily ne va pas bien du tout. « Rentre chez toi Emily, repose-toi ». Ces quelques mots prononcés avec bienveillance et sans jugement ont raison de sa résistance. Le médecin consulté le jour même pose un diagnostic sur ce qui lui arrive. « Émily, vous faites un burnout ».
Ne plus être dans le contrôle et accepter de l’aide
Émily a toujours fait en sorte de gérer seule ses problèmes, d’être forte, pour elle et pour les autres. Mais après ce tsunami émotionnel, elle sait qu’elle n’est pas capable d’y arriver seule et qu’elle a besoin d’aide. Aussi met-elle tout de suite en place un suivi psychologique, car les malaises vagaux se succèdent et la réveillent la nuit. La laissant désemparée, impuissante, ils la privent de son énergie et de son estime d’elle-même. C’est sa faute si elle est en échec ; elle n’est bonne à rien. Ses pensées destructrices l’enchaînent et l’entraînent irrémédiablement vers le fond. Elle veut garder le contrôle mais n’y parvient plus.
Difficile d’accepter qu’elle a le droit d’aller mal, et que désormais elle doit penser à elle et se faire du bien. C’est à ce prix que les malaises disparaîtront ; lorsqu’elle lâchera prise en s’autorisant à pleurer ; quand elle regardera ses émotions en face pour comprendre quel en est l’élément déclencheur et quel message elles lui délivrent.
Il est temps pour elle d’évacuer ce contrôle qu’elle exerce depuis son enfance, et qui l’empêche d’avancer. Le soutien régulier et bienveillant de son psychologue et de son naturopathe l’aide au fil des mois à travailler sur la gestion de ses émotions et à être réellement actrice de sa guérison. Car Émily ne veut pas des traitements habituellement prescrits dans son cas. Elle veut être en pleine conscience de ce qui lui arrive. Ce qui va nécessiter un intense travail sur elle-même, qu’elle va affronter grâce à l’aide précieuse de sa maman.
Se reconstruire et renaître une seconde fois
Pendant quatre mois, sa maman s’installe dans l’appartement d’Émily pour s’occuper d’elle, la coucouner. Emily s’est laissé faire, comme un enfant s’abandonne à ses parents, aveuglément, en confiance.
Patiente, bienveillante, respectueuse des pics émotionnels, des besoins de silence, la maman d’Emily la tient de toutes ses forces pour qu’elle ne se noie pas, alors qu’elle se débat face aux pertes de mémoire, aux troubles du langage, aux problèmes de concentration, aux idées noires. D’une certaine façon, elle lui redonne la vie une seconde fois.
Durant cette période, Émily passe par différentes phases. Elle s’attache à déconstruire ses schémas mentaux, en comprenant tout le mal qu’elle s’est fait en ayant peur de l’échec, du jugement des autres, et en voulant à toute force prouver qu’elle valait la peine. Chemin faisant, elle déterre des éléments de son enfance, des cadavres revenus provisoirement à la vie avant de disparaître définitivement.
À présent, Émily poursuit son chemin de reconstruction. Elle a fait la paix avec elle-même. Elle sait qu’elle a le droit à cette fragilité qui la rend plus humaine, qu’elle n’a plus besoin d’être forte, mais simplement de se respecter en ne dépassant plus ses limites et en sachant dire non.
Les amis sont toujours là, peut-être moins nombreux, mais en résonance avec la personne qu’elle est aujourd’hui. Éprouvant le sentiment d’avoir traversé l’enfer, d’être morte durant quelques mois, Émily ne peut oublier cette douleur physique et psychologique qui fait toujours partie d’elle-même. La peur d’une rechute l’incite plus que jamais à respecter ses objectifs. Après avoir repris son travail en mi-temps thérapeutique au début de l’été 2023, elle a décidé de revenir à 80 % à l’automne, encouragée par sa directrice qui a sécurisé sa reprise en allégeant sa tâche, et en lui laissant prendre le temps dont elle a besoin ;
une compréhension et une bienveillance qui ont effacé les doutes qu’elle éprouvait quant à sa capacité à faire. Elle organise désormais son temps de travail en se ménageant des moments où elle met son cerveau au repos et réapprend doucement à vivre, à travailler, en levant le pied si elle se sent fatiguée.
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Devenir soi en marchant
La marche a été tout particulièrement bénéfique durant la convalescence d’Émily. Au printemps 2023, alors qu’elle revient doucement à la vie, elle commence par de courtes balades. Cette reconnexion à l’essentiel lui procure un bien immense. En marchant, elle fait le tri en lâchant des choses désormais inutiles, désencombre sa vie et vibre au rythme de la nature.
À l’été 2023, elle décide de boucler la boucle en réalisant quelque chose pour elle. Elle emprunte le sentier mythique de Saint-Jacques de Compostelle pour parcourir en solo les 125 kilomètres de l’étape Figeac-Cahors. La plus belle aventure de sa vie. Bouleversée par les rencontres enrichissantes qui ponctuent son chemin, elle retrouve foi en l’humanité. Remplie d’amour et à tout jamais changée, elle reprend le travail à l’automne.
Face aux moments de doute qui réapparaissent parfois ou aux crises d’angoisse qui peuvent la submerger, Émily ne lutte plus et accepte simplement cette fragilité qui lui appartient et avec laquelle elle apprend à vivre. Le chemin vers soi est long et nécessite d’être dans le moment présent, à son écoute. Elle sait qu’elle revient de loin et veut désormais aider les femmes et les hommes qui traversent cette épreuve, en créant une association.
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