En lointain écho au nom d’un groupe d’action dans la sphère environnementale, ce livre établit un parallèle entre la fermentation alimentaire et la révolution élémentaire qu’on pourrait fomenter dans la société. Thien Uyen Do est une agricultrice et viticultrice engagée, et avant cela elle était une juriste spécialisée dans les réglementations liées à la biodiversité à Bruxelles. Autant dire que c’est une femme de combats, sur tous les terrains ; on oublie trop souvent ce que l’écoféminisme a apporté aux deux causes qu’il embras(s)e. On découvre ici un “ferminisme”, tout aussi passionnant.
Nourritures terrestres et spirituelles
L’autrice maîtrise un sujet qu’elle a réfléchi, expérimenté, médité. Ce premier livre est un manuel pratique autant que philosophique sur une culture ancestrale appliquée aux mutations actuelles. En dégustant un yaourt ou une bière, on oublie qu’ils sont issus d’un processus de fermentation, comme un tiers de notre alimentation : les micro-organismes sont parmi nous, invisibles et pourtant à l’œuvre pour changer le réel dans la grande mécanique du vivant.
La crise Covid a bousculé notre relation à la sécurité sanitaire, imposé des gestes barrière et des mesures d’hygiène qui mettent en péril la complexité des passerelles chimiques entre la vie et la mort, notre développement étant indissociablement lié à ce qui pourrait pourtant nous mettre en péril. Tout est question d’équilibre. À vivre javel à la main, on en vient même à dire à un enfant que c’est sale de jouer avec la terre ! Alors qu’un environnement “vivant” immunise de certains maux chroniques. On triche avec une image rêvée de la nature, laquelle est loin d’être pure. La nourriture de plus en plus standardisée reflète une société qui ne l’est pas moins. L’autrice valorise la richesse de la diversité, nous met sur des pistes de bon goût méconnues.
Métaphore et métamorphose
Cet ouvrage savant (une importante bibliographie a été digérée avant ce partage) éveille la curiosité, nourrit son lecteur de principes vertueux, de parallèles établis pour déguster le meilleur dans le respect du bien commun, la sobriété, la diversité, la circularité… Bourré d’informations essentielles et sourcées, ce livre tout à fait digeste pointe des mots qui en disent long, ces fermes devenues exploitations agricoles, et chasse le greenwashing. À hauteur de sa terre de Combrillac, près de Bergerac, Thien Uyen Do explique des processus, elle observe et agit pour une écologie au quotidien, raconte son expérience de changement de vie, de résistance.
Alors bienvenue aux yaourts, kéfir, kombucha maison (à noter que comme le vin, le fromage, le pain, la plupart des aliments fermentés sont de genre masculin, excepté la bière et la choucroute), premières bonnes notes de cet hymne révolutionnaire… avant une mise en pratique dans sa dimension politique, comme « un outil de transformation sociétal puissant, au particulier au regard du système capitaliste ». Pour rompre avec une société hors-sol.
Les chapitres courts s’enchaînent, didactiques, pour nous relier à un monde sensible et low-tech, avec quelques bonnes recettes avant de refermer cet ouvrage (pétillant de fleurs, poutargue, glands de chêne en pickels…), sans oublier les précautions d’usage pour sécuriser le fait maison. L’ouvrage, muni d’un précieux glossaire, est à lire jusqu’au bout pour les émouvantes pages de remerciement, notamment en direction de l’éditrice Jeanne Pham Tran.
• Fermentation Rébellion, petite philosophie de la fermentation. Thien Uyen Do. Éditions des Équateurs. 220 pages. 20 euros.
• Et il ne faut pas oublier de suivre Thien Uyen Do sur Borntobewild et combrillac.
Thien Uyen Do. Vietnamienne d’origine, Belge de naissance, Française par alliance et Européenne de formation, elle a quitté sa carrière de conseillère juridique en droit de l’environnement à Bruxelles pour devenir “paysanne-cueilleuse et vigneronne”, avec son compagnon, sur l’appellation Rosette, dans le vignoble de Bergerac. Ils ont réintroduit la biodiversité en conjuguant vigne et permaculture sur le domaine de Combrillac. Fin 2020, elle a été à l’initiative du Collectif Agricultrices 24.