Après l’instauration de la loi en 2014, les professionnels du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) et de France Victimes ont pu, pour ceux qui le souhaitaient, être formés à la justice restaurative. Alexandre travaille ainsi en binôme d’animateur avec Mélanie PRESAT, juriste à France Victimes. De par leurs spécialités, l’idée de faire de la justice restaurative s’est naturellement dessinée, même si « des avocats, des magistrats, peuvent également se former ».
Un parcours au plus proche des condamnés
Alexandre travaille depuis 2005 à la prison de Mauzac (qui accueille des auteurs de violences sexuelles). Presque vingt ans en tant que conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, pour accompagner les détenus condamnés, et préparer leur sortie. En septembre 2022, il décide de quitter le monde de la prison pour aller en milieu ouvert, animé par l’envie de découvrir des profils plus variés (hommes/femmes, violences physiques, intra familiales…).
Nous sommes fiers de vous offrir un accès libre à nos articles en ligne et pourtant …
Chaque reportage représente un investissement en temps et en ressources. Grâce à nos partenaires et aux dons, nous maintenons notre indépendance éditoriale. Les dons que vous faites à notre média, porté par une association d'intérêt général vous permettent de bénéficier d'une réduction fiscale de 66%.
Soutenez-nous pour un journalisme de qualité et de proximité accessible à tous. Ayez le réflexe.
Je lis, j’apprécie, je m’abonne et je donne 😉
Une découverte sur sa route, la justice restaurative
En arrivant à la prison de Mauzac, il découvre l’existence de la justice restaurative (JR), un dispositif pour lequel il choisit de se former. « L’idée c’est qu’à côté d’une justice pénale classique avec une philosophie punitive vienne s’ajouter une justice plus humaniste. Une justice qui cherche à relier deux mondes qui n’ont plus vocation à se parler : celui d’un auteur et d’une victime ».
Au début de sa carrière, il était bien loin de penser que le lien entre victime et auteur pouvait continuer au-delà de l’infraction. « A priori, on se dit qu’il n’y aura plus jamais aucun contact entre eux. La réalité c’est que le lien n’est jamais vraiment rompu. Les gens incarcérés vont revenir dans la société, et la victime peut vouloir renouer des liens, ou avoir des explications ». L’idée est donc d’accompagner cette rencontre post-infraction, pour que celle-ci se fasse le plus sereinement possible, dans un cadre sécurisé.
Du temps, et de la patience…
Pour arriver à une rencontre entre un auteur et sa victime (directe ou indirecte), cela demande du temps. Au moment du procès, l’auteur n’est souvent pas prêt à se remettre en question. La JR peut donc permettre après coup d’exprimer ce qui n’a pas pu être dit. Mais pour aboutir à ce résultat, il faut accepter que ça prenne du temps.
« La justice restaurative peut concerner n’importe quelle infraction, mais pas n’importe comment. »
C’est un long processus. Durant la première rencontre avec chacun (auteur / victime), il faut jauger le pourquoi de la demande. Il y aura ensuite autant d’entretiens que nécessaire ; cela peut durer des mois. Le but étant que si rencontre il y a, il faille être préparé à toutes les éventualités.
« Si la victime a de la colère, on va essayer de faire en sorte qu’elle puisse exprimer cette colère mais sereinement, tout en étant sûr que l’autre est capable de l’entendre. Le but est vraiment d’arriver à anticiper, scénariser chaque potentialité, en terme de ce qui peut être dit ou d’émotion. »
… pour des gens qui ont suffisamment cheminés
Généralement, la demande se fait du côté de l’auteur. « Souvent, les gens en prison ont plus de temps pour réfléchir, vouloir avancer, se remettre en question… Mais ça ne donne lieu à aucune remise de peine ».
Il faut donc qu’il y ait cette volonté des deux côtés de se parler, que l’auteur reconnaisse les faits, et qu’il ait l’empathie nécessaire pour les victimes. « Si on considère que la personne n’est pas prête, il vaut mieux ne pas le faire ».
Finalement, la JR s’adresse à peu de monde. À des gens qui ont suffisamment avancé dans leur réflexion, qu’il s’agisse de la victime ou de l’auteur. Il faut que chacun soit prêt, que les temporalités soient compatibles. Il faut aussi que les animateurs estiment que la rencontre apporterait un plus, que ça n’atteindrait pas l’équilibre psychique de chacun. L’équation se fait donc à plusieurs. C’est ce qui fait qu’au bout du compte, peu de rencontres sont possibles.
Depuis 2018, seulement une quarantaine de demandes ont été entreprises sur le département. Et un tiers d’entre elles sont allées au-delà de l’entretien d’information.
« Beaucoup de processus sont en stand by, mais on reste joignable, on sait que le travail n’a pas été fait pour rien. Ca peut reprendre à tout moment, et qui sait, aboutir peut-être à une rencontre un jour ».
Une mesure de justice restaurative aboutie en Dordogne
A ce jour, une seule rencontre a pu aboutir. Elle s’est déroulée au centre de détention de Mauzac (pour des faits de nature sexuelle). « La victime voulait que ça se déroule en prison, entre quatres murs ». Elle voulait refermer une page, alors que l’auteur voulait plutôt entamer une réconciliation. Il a donc fallu les préparer au fait que les attentes étaient différentes, et préparer l’auteur au fait qu’il n’y aurait qu’une seule rencontre.
« La rencontre a duré 2h30. Ca s’est interrompu dans un moment d’émotion forte. Monsieur avait beaucoup de dignité en face, ne se dérobait pas. Ils se sont parlés pendant 1h après la pause, avec Pauline on n’a pas eu besoin d’intervenir. »
Quel futur pour la justice restaurative ?
Pour le moment, la mesure n’est pas du tout généralisée en France. Animer ces rencontres, ce n’est d’ailleurs pas un métier, ni même rémunéré. Certains acteurs du système pénal sont sensibles à cet aspect de la justice. Ils vont donc prendre de leur temps par conviction personnelle pour se former, et sur leurs heures de travail pour aller rencontrer les gens…
Un futur encourageant tout de même, puisque la justice restaurative se développe de plus en plus, et montre son pontentiel. « Lors d’un ciné débat sur le sujet (sur le film « Je Verrai Toujours vos Visages ») avec de nombreux professionnels du droit, le cas du harcèlement scolaire a été posé sur la table. La conclusion c’est que ces rencontres pourraient avoir de grand bénéfices dans ce domaine. Réaliser l’ampleur de ses actes sur l’autre, et oser parler de choses difficiles à exprimer, c’est là tout l’intérêt de cette nouvelle approche de la justice ».