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La force d’un patrimoine mis en réseau

Agnès Rebuffel, Marc Olivier Agnès, Isabelle Castanet, Cécile Lepoutre © SBT
DES ORDRES. Les sites patrimoniaux des chevaliers templiers et hospitaliers de la vallée de la Vézère, en Dordogne et Corrèze, s'organisent en réseau pour être plus visibles, autour d'un chargé de mission passionné par cette part de notre histoire.

Accueilli par Agnès Rebuffel, présidente de l’association Patrimoine & Templiers et la maire de Sergeac, Isabelle Castanet, Marc Olivier Agnès, chargé de mission sur le patrimoine templier et hospitalier dans la vallée de la Vézère était de passage cet été à l’église Saint-Pantaléon de Sergeac pour une exposition photo et la présentation de sites qu’il s’emploie à mieux faire connaître.

Alimenter financièrement l’effort en Orient

L’ordre du Temple et celui des Hospitaliers sont des ordres chevaliers militaires très populaires au Moyen Âge. Lorsqu’on parle de chevaliers, on imagine des châteaux forts : eux étaient plutôt à la tête de fermes de rapport, commanderies qu’ils exploitaient et dont ils tiraient des revenus pour organiser et sécuriser les voyages en Terre Sainte. Ces commanderies étaient protégées par des murs d’enceinte même si peu de brigands osaient s’y attaquer, sachant trouver des hommes d’armes à l’intérieur. « Templiers et Hospitaliers sont des ordres différents, mais le “et” a son importance car ils sont frères d’armes en Orient, leur histoire est indissociable », rappelle Marc Olivier Agnès.

Commarque©SBT

Les Templiers ont sécurisé les voyages des seigneurs en Orient, s’attachant à protéger le lieu originel du temple de Jérusalem. D’où les appellations successives de ”pauvres chevaliers du Christ et du temple du roi Salomon”, puis “chevaliers du Temple” – pour faire plus court. Lors de sa dissolution au début du XIVe siècle, l’importante quantité de commanderies que l’ordre possédait en Europe a été transférée aux Hospitaliers, qui ont alors doublé leur patrimoine.

Les Hospitaliers, qui se sont maintenus en France jusqu’à la Révolution, connaissent une survivance sous le nom d’Ordre de Malte pour des actions associatives humanitaires.

Puissantes seigneuries locales

 » Nous avons la chance d’avoir un patrimoine templier et hospitalier conséquent, qui a traversé le temps malgré les destructions des guerres de Cent ans et de Religions, des démantèlements de la Révolution. » De puissantes seigneuries, participant aux Croisades, ont généré la création de commanderies dans la vallée de la Vézère : Ventadour, Comborn et Turenne en Corrèze ; Hautefort et Commarque en Périgord. « Tous ces seigneurs, en rentrant de Croisades, ont donné des terres aux chevaliers qui ont combattu là-bas. » Et les seigneurs qui ne partaient pas contribuaient aussi, pour se racheter de leur absence en quelque sorte.

Réseau d’aujourd’hui

Commarque©SBT

« On n’a rien inventé : ces sites fonctionnaient déjà en réseau, chacun avait sa particularité d’exploitation agricole selon les richesses locales, bois, vigne, chanvre… Ils se complétaient en fonction des aléas de récoltes. La Révolution a brisé ce fonctionnement en réseau et certains sites ont été vendus à la découpe. » Ces lieux chargés d’histoire encore visibles dans la vallée de la Vézère, très variés, sont difficiles à mettre en lumière séparément : en soulignant leurs liens, leur lecture devient plus limpide.

Tout un écosystème organisé autour de ce patrimoine a vocation à valoriser l’héritage pour mieux le transmettre. La mission de Marc Olivier Agnès s’inscrit dans cet esprit de réseau, pour permettre au public de se réapproprier ces vestiges. Certains ont conservé de faibles traces, « d’autres comme Condat sont intacts à 95 % et méritent restauration et entretien ».

Sortir de l’ombre

Après une reconquête des visiteurs locaux, qui deviennent ambassadeurs de ces richesses auprès de leurs amis et familles, il s’agira d’inviter les touristes de passage à faire le détour en jouant sur les opportunités géographiques et complémentarités, « à sortir de l’autoroute ou de leur trajectoire : mon travail de médiation consiste à repérer les visites possibles sur les mêmes centres d’intérêt, en proximité ».

L’église de Sergeac © SBT

Cela va donc au-delà du rôle d’un office de tourisme : cette approche thématique en fédère plusieurs. Au bout d’un an de fonctionnement, des propriétaires publics et privés ont rejoint le mouvement, pour une coopération et une mise en commun de moyens déjà bien repérée dans le champ de la préhistoire et qui doit pouvoir fonctionner pour attirer des visiteurs vers des sites plus confidentiels, et susciter l’intérêt sur des activités voisines.

Animer ce patrimoine

L’exposition qui circule présente une photographie de chacun des 18 sites adhérents sur les 200 km de la vallée de la Vézère. « En plus de l’intérêt archéologique, des découvertes écologiques et naturelles viennent en cohérence au fil de l’eau, du plateau des Millevaches, c’est-à-dire des mille sources, jusqu’à la confluence. » La Haute Corrèze conserve plutôt des églises, l’ensemble des bâtiments conventuels ayant été détruit.

© D.R.
Dans les ruelles de Sergeac © SBT

À tous ceux qui pensent qu’il existe bien un trésor des Templiers (celui que l’adaptation récente du Comte de Monte-Cristo a mis en avant), Marc Olivier Agnès entend bien faire savoir qu’Edmond Dantès en avait oublié quelque part dans la vallée de la Vézère… Et orienter la boussole des aventuriers vers la région.

Transformer l’essai

En reprenant ses études, il y a près de trois ans, Marc Olivier Agnès n’imaginait pas le tour que prendrait son sujet de mémoire.

© SBT

À l’université de Limoges, pour son master de valorisation du patrimoine, il a choisi pour sujet de fin d’études « la valorisation du patrimoine templier et hospitalier autour du bassin de Brive ». « Les OT de Brive et de Terrasson se sont associés pour m’accueillir et ce mémoire s’est transformé en étude de faisabilité. Les échos sur le territoire, auprès des élus et des propriétaires de sites, a permis de transformer l’étude en mission, grâce à des financements pour deux ans. » Une belle opportunité et un enthousiasme partagé par tous.

La première année, la structure administrative a été mise en place pour porter le réseau et le réseau s’étend en 2024. « D’autres territoires nous ont rejoint pour passer de huit membres à l’origine, à 20 aujourd’hui. » Cinq sites privés, qui ouvrent au moins une fois par an, et quinze publics. Six OT coopèrent conjointement : Terres de Corrèze, Brive tourisme, Vézère Périgord noir, Lascaux-Dordogne Vallée Vézère ; et pour la partie Isle Loue Auvézère – Source de la Vézère, Tourisme Haute-Corrèze et Naturellement Périgord. Les moyens sont mis en commun pour porter cette nouvelle offre et lui donner davantage d’ampleur.

Seulement deux autres initiatives de ce type existent en France. Dans le département de l’Aube, la Champagne ayant vu la naissance de l’ordre du Temple (Hugues II de Payns est chevalier fondateur), une route des Templiers (et uniquement eux) émerge à l’échelle européenne. Une autre existe sur le plateau du Larzac, « une communauté de communes a même vu le jour sous le nom Le Larzac-Templier », avec seulement cinq sites pour La Couvertoirade alors que le réseau Vézère en compte déjà une vingtaine.

« L’OT de la Vallée de l’Homme est tourné vers des thématiques préhistoire, châteaux, activités de pleine nature et gastronomie. C’est intéressant d’avoir une nouvelle offre à proposer, une autre approche du territoire. Cet éclairage va permettre de fidéliser les visiteurs, avec un aspect inédit à mettre en valeur, surtout auprès des anglo-saxons qui sont friands de cette histoire et de parcours hors des sentiers battus. La mise en réseau nous permet une promotion collective sur un territoire étendu, pour drainer les flux de l’un à l’autre. Ensemble, à six offices, nous représentons une énorme force, pour un impact majeur. Le chargé de mission est un spécialiste, il attire notre attention sur des angles précis pour imaginer des animations et des projets. Il a un rôle pédagogique, fédère les partenaires et porte des actions que nous n’aurions pas le temps de mener. »

Cécile Lepoutre, directrice de l’Office de Tourisme Lascaux Vallée Vézère

Un loto pour Condat

La commanderie de Condat-sur-Vézère compte cette année parmi les cinq sites régionaux retenus pour la Mission Patrimoine portée par Stéphane Bern pour la Fondation du patrimoine. Elle bénéficiera du soutien financier de la septième édition du loto du patrimoine.

© Fondation du patrimoine – MyPhotoAgency – Norman Lewis

Cette commanderies n’a connu que des Hospitaliers. Ce joyau historique, en cours de restauration pour devenir un centre culturel et artisanal dynamique, préservera ainsi l’héritage médiéval tout en revitalisant le village.
Propriété de la commune (904 habitants), l’édifice était la commanderie principale des Chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Périgord, attestée depuis 1239, « qui s’y est probablement établi dès le XIIe siècle en bénéficiant du soutien de donateurs tels que le Vicomte de Turenne. La commanderie jouissait alors d’une seigneurie étendue avec des pouvoirs spirituels, judiciaires, fonciers et offrait des infrastructures aux habitants en échange de droits spécifiques. Principalement dédiée à l’agriculture, elle avait développé un ensemble d’installations comprenant tours, logis, moulins et autres ». La municipalité envisage un projet global évalué à plus de 5 M€, la restauration prioritaire concerne la mise hors d’eau et hors d’air du bâtiment de la commanderie et ses annexes.