Accueil BIEN entreprendre La conserverie Teyssier à Montignac-Lascaux : une longue histoire familiale

La conserverie Teyssier à Montignac-Lascaux : une longue histoire familiale

La préparation du foie gras © NRPhoto
PATRIMOINE GASTRONOMIQUE. Avec sa boutique à deux pas de Lascaux IV, l’entreprise de conserverie de Christophe et Françoise Teyssier est vivante depuis bientôt un siècle. Christophe représente la quatrième génération de Teyssier à Montignac. Mais avant de suivre cette belle histoire familiale, faisons un petit saut dans le temps.

Conserver les aliments a toujours été une nécessité pour pallier le manque de vivres à divers moments de l’année, une mauvaise récolte, la raréfaction des animaux pour les chasseurs, etc. À une époque lointaine et pendant des siècles, si le lieu le permettait, la glace a longtemps été utilisée pour garder les viandes, les poissons. Le sel l’a remplacée et il est toujours en usage pour la fabrication du jambon. D’autres techniques, qui n’ont pas disparu, sont nées, notamment le séchage, le fumage, la mise de l’aliment dans la graisse, l’huile ou le miel. À la ferme, on mettait au sel le porc, l’oie et le canard, la graisse, et cette pratique n’a progressivement disparu qu’après les années 1980 en Périgord.

De l’usage de la glace et du sel à l’appertisation

On connaissait la stérilisation et la conserve en boîte mais on en limitait l’emploi pour la conservation des pâtés et des champignons — c’est-à-dire des cèpes. Aujourd’hui, la stérilisation s’est imposée partout à côté de la surgélation ; elle a représenté un progrès considérable avec l’invention de Nicolas Appert, à la fin du XVIIIe siècle : il fut le premier à sceller des bocaux de verre et, ainsi, à détruire les micro-organismes par la chaleur. C’est Charles Chamberland, élève puis collaborateur de Pasteur, qui mit au point un autoclave destiné d’abord à stériliser les instruments médicaux. L’appareil a permis la création des fabriques de conserves dès la fin du XIXe siècle, et ensuite leur développement.

Naissance d’une entreprise familiale

C’est l’arrière-grand-père de Christophe, Fernand Teyssier, qui s’est lancé dans l’aventure. La ferme familiale où il est né, au bout de la rue du Barry à Montignac, vivait en partie de quelques vaches ; elle lui a sans doute servi de tremplin pour embrasser le métier de boucher et charcutier. Il installe son commerce à quelques pas de là, toujours sur la rive gauche de la Vézère, rue du Quatre-Septembre, en face de la maison Duchêne. On le voit sur un cliché d’avant-guerre devant son établissement avec son épouse Lucie. On remarque qu’à cette époque on expose encore sans état d’âme les quartiers de viande suspendus à des crocs à l’extérieur d’une boutique certainement sommaire. Il est vrai que la pollution ou le vol n’étaient pas au premier rang des préoccupations.

Fernand et Lucie Teyssier

Le fils de Fernand, Pierre Teyssier, reprend le flambeau de boucher-charcutier et s’installe en face du local de son père, à côté de l’hôtel du Soleil d’Or. C’est lui qui crée l’entreprise de conserverie en 1946. À l’époque, un artisan de ce type, entreprenant et inventif, fabriquait les conserves dans l’arrière-boutique, avec une petite sertisseuse, pour éviter de perdre les viandes. On a compris aussi qu’avec les boîtes de conserve on pouvait faire voyager les aliments, et donc élargir sa clientèle.

Pierre Teyssier s’est équipé dès l’entre-deux-guerres d’une sertisseuse qui provenait de Nantes, région en avance sur son temps en raison de la conserverie de poissons. Aujourd’hui encore, Christophe Teyssier a conservé le matériel de son grand-père, et s’en sert encore ! Pierre Teyssier préparait déjà avec son épouse des terrines de foie gras d’oie, de porc, puis des enchauds, des grillons, des confits. Mais la maladie l’emporte jeune : il a 32 ans. Son épouse Yvette poursuit l’activité avec un commis, M. Cheyroux, qui sera bien connu plus tard des Montignacois comme boucher.

L’artisan conserveur

Le fils de Pierre, Jean-Pierre Teyssier, a pris la suite au début des années 1970 avec une employée en se spécialisant dans la conserverie. Il s’est installé au bout de la rue du Barry, dans l’ancienne grange de la ferme familiale, jusqu’au début des années 1980. C’est alors que l’ouverture de Lascaux II, premier fac-simile de la grotte, ouvre des perspectives inespérées pour la vie commerciale montignacoise, après une vingtaine d’années de relatif étiolement suite à la fermeture du site.

Jean-Pierre construit donc son atelier de fabrication avenue de Lascaux, et la boutique qui l’accompagne, sur les terrains de la famille. Un incendie détruit son stock de conserves en 2001 : il reçoit l’aide de quelques confrères et peut tenir la saison touristique et, ensuite, reprendre le chemin de l’atelier.

La sertisseuse de Jean-Pierre Teyssier

Changer dans la continuité

En septembre 2004, après une expérience professionnelle dans le secteur de l’assurance et de la finance, Christophe rejoint son père, qui prend sa retraite en 2009. C’est un choix personnel, mûrement réfléchi, malgré les amicales mises en garde de Jean-Pierre. Les recettes traditionnelles ont été écrites et il faut se garder de les modifier, ce qui n’empêche pas d’augmenter le nombre de préparations. Avec le projet de Lascaux IV, et donc avec l’accroissement du tourisme, l’agrandissement de l’atelier et celui du local de commercialisation s’imposent. En plus de Françoise et Christophe, deux salariés travaillent à la fabrication et l’étiquetage des conserves, tous dans un bel esprit d’équipe.

Françoise et Christophe Teyssier

Les produits proposés à la vente se sont diversifiés. Les préparations traditionnelles, nombreuses, sont à l’honneur : notamment les foies gras de canard et d’oie, entiers ou non, toute la variété des pâtés, truffés ou non, les confits (oie et canard), les rillettes, le cou de canard farci au foie gras, l’enchaud (longe de porc confite dans la graisse de canard), gésiers de canard, cèpes, haricots blancs — sans oublier les truffes ! Toutes ces préparations appartiennent à la tradition gastronomique du Périgord et Christophe Teyssier a introduit dans ses conserves le pâté de chevreuil, celui de sanglier à l’ail, le coq au vin, le ris de veau, et d’autres gourmandises.

Alliance mets vins

Confit de canard pommes à la sarladaise © NRPhoto

On ne déguste pas ces produits sans boire un bon vin et quelques crus choisis du Bergeracois sont aussi présents dans la boutique. La gastronomie est un tout et chaque été le grand parking est occupé par des vignerons, pas seulement du Périgord, qui présentent et vendent leur production. Cette alliance de la conserve et du vignoble est heureuse, elle marque le souci d’associer des pratiques de table variées et complémentaires. Christophe Teyssier manifeste toujours du plaisir à rappeler les savoir-faire de ses aïeux, expliquer ses choix de fabrication, bref à former ou affiner le goût de ses visiteurs.

Chantal TANET et Tristan HORDÉ