L’étude publiée ce mois de mai, réalisée par Félix Assouly, Salomé Berlioux et Victor Delage, interroge d’abord les jeunes ruraux sur le lieu où ils souhaitent mener leur vie : une division équitable apparaît entre ceux qui désirent rester (48 %) et ceux qui veulent quitter (52 %) leur territoire (les jeunes urbains étant moins nombreux à vouloir rester, 41 %). On apprend que « plus le niveau de vie des jeunes ruraux est élevé, plus forte est la volonté de rester : 55 % des jeunes ruraux aisés expriment leur intention de demeurer dans leur territoire, contre seulement 43 % pour ceux issus de milieux populaires ».
Les freins du manque de mobilité
Le quotidien des jeunes ruraux doit abolir les distance, un éloignement kilométrique qui entrave des opportunités et des services : « les jeunes ruraux de 18 ans et plus issus de communes très peu denses passent en moyenne 2 h 37 dans les transports chaque jour. C’est 42 minutes de plus que pour les jeunes urbains majeurs (1 h 55) ». Et autant de moins pour les loisirs culturels et sportifs, les temps amicaux et familiaux.
De plus, l’offre de transports en commun ne permet pas de compenser l’éloignement : 53 % des jeunes ruraux pointent une piètre desserte du réseau de bus (14 % chez les jeunes urbains), 62 % s’estiment mal desservis par le train (contre 24 % des jeunes urbains).
« Cette insuffisance des transports en commun provoque mécaniquement une dépendance à la voiture » : 69 % des jeunes ruraux doivent y recourir au quotidien (31 % des urbains), une fragilité pour 67 % des plus de 25 ans qui disent risquer une perte d’emploi en cas de souci de transport.
Fragilités en série
La contrainte de la distance pèse « pour se rendre en cours, s’engager dans une association, faire les courses, effectuer une démarche administrative, recevoir des soins… » Ce qui engendre des privations : 49 % des jeunes ruraux disent avoir de ce fait déjà renoncé à des activités culturelles (57 % pour les jeunes des territoires très peu denses).
Au tournant de l’orientation, 70 % des formations post-bac se situant dans les métropoles, il faut donc bouger pour poursuivre ses études… « Quand on sait que 79 % des jeunes ruraux ont passé les dix premières années de leur vie à la campagne ou dans une petite ville, on comprend qu’ils hésitent à franchir le pas vers une grande ville coûteuse sur les plans financier et matériel. »
L’épreuve de la réalité
63 % disent souhaiter vivre leur vie d’adulte en milieu rural, davantage à la campagne (43 %) que dans une petite ville (20 %). Les jeunes urbains semblent beaucoup plus libres dans leur façon d’envisager leur territoire futur : 29 % dans une ville moyenne, 22 % dans une grande ville, 18 % à la campagne, 17 % dans une petite ville et 14 % à l’étranger.
Le budget moyen pour les transports d’un jeune rural s’élève à 528 euros par mois (307 euros pour un urbain du même âge).
« 38 % des jeunes ruraux en recherche d’emploi disent avoir déjà renoncé à passer un entretien en raison de difficultés de déplacement. » Le double de leurs homologues urbains (19 %). Une fois en poste, 45 % des jeunes ruraux ont rencontré des difficultés de transport. Quant aux frais, le budget moyen pour les transports d’un jeune rural s’élève à 528 euros par mois (307 euros pour un urbain du même âge)… de quoi renoncer à certaines opportunités professionnelles.
Le fossé de l’international… et du vote
Le décalage entre les aspirations des jeunes ruraux et leur réalisation s’amplifie à l’international : 77 % affirment qu’ils aimeraient un jour vivre à l’étranger mais seuls 13 % ont pu le faire plus de 3 mois.
Au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté pour Marine Le Pen, soit plus du double des jeunes urbains (18,1 %). « Il est frappant de constater que ce sont les jeunes ruraux dont la mobilité est quotidiennement difficile qui sont les plus nombreux à porter leur dévolu sur la droite radicale. » De même, l’isolement géographique perçu joue un rôle déterminant. « Enfin, les critères socio-économiques renforcent l’effet de lieu avec un vote RN majoritaire chez les classes défavorisées (57 %), chez les diplômés d’un CAP ou d’un BEP (60 %) et chez les salariés du privé (51 %).»
Santé mentale affectée
Enfin, les ruraux sont plus affectés par la détérioration de la santé mentale qui préoccupe l’ensemble des jeunes au niveau national : 76 % disent avoir connu des périodes intenses de stress, de nervosité ou d’anxiété. 49 % parlent d’épisodes de dépression. Plus inquiétant encore, 35 % de ces jeunes affirment avoir déjà eu des pensées suicidaires.
• Lire un autre de nos articles sur la mobilité en milieu rural.
Sortie de l’ombre
« Vouloir comprendre les jeunes ruraux, c’est nécessairement s’intéresser aux liens qu’ils entretiennent avec leurs territoires. L’enjeu ne se résume pas à une dialectique entre rester pour toujours et partir sans se retourner.» Il s’agit surtout de pouvoir bouger, de rompre avec un sentiment d’assignation à résidence.
Les jeunes des “territoires” sortent enfin d’un angle mort qui masquait pas moins de 5,3 millions des 3-24 ans (30 %). « Pendant des décennies, les jeunes ruraux sont demeurés un impensé. Impensé politique, impensé médiatique, impensé des secteurs publics et privés : on ne parlait jamais d’eux. Et lorsqu’on en parlait, c’était pour les associer aux fils d’agriculteurs, alors même que ces derniers ne représentent que 5,7 % de la population active rurale. »
Ces travaux confirment que « grandir dans un territoire rural, c’est être loin d’un grand nombre d’opportunités ».