« Je suis franco-australien, mon enfance était partagée entre ces deux pays, raconte Jerry, qui vit entre deux mondes. Fasciné par la culture asiatique, j’ai remarqué l’utilisation du bambou pour ses multiples avantages dans l’hémisphère sud alors qu’en Europe, il était absent. C’est au début des années 1980 que je me suis pris de passion pour cette graminée géante aux vertus peu connues ici avant d’en faire un métier, suite à un stage de formation à l’Écocentre du Périgord en 2014. »
La “civilisation du bambou” se rattache à l’Asie, mais on le trouve également en Afrique et en Amérique, plus particulièrement en Colombie avec ses fabuleux “guadua ”, la plus grande et plus robuste variété utilisée pour la construction. Bien que le bambou ait plus de 100 millions d’années d’existence sur Terre, il a longtemps été absent dans l’hémisphère nord. Il est de retour en France depuis le XIXe siècle, de manière ornementale dans un premier temps, avec la création de la bambouseraie d’Anduze, en 1850. Il a été utilisé pour la construction des premiers avions et, en 1882, Thomas Edison s’en servit comme matériau pour le filament de ses ampoules !
Les artisans passionnés comme Jerry souhaitent maintenant que sa culture se répande davantage en Europe pour développer son usage.
Une plante magique
À l’instar du bison pour les Amérindiens et du cochon pour les Périgourdins, tout y est bon : ses jeunes pousses sont comestibles, ses feuilles convertibles en fourrage, ses cannes utilisables dans l’artisanat et l’industrie (vélos, mobilier, textile, pâte à papier, vannerie…) et la construction. Près d’un milliard de personnes vivent encore dans des maisons en bambou dont certaines ont plus de 100 ans — il est quatre fois plus résistant que l’acier à l’étirement. Et pourtant, le bambou est une herbacée comme le blé ou la canne à sucre : du gazon en plus grand, pourrait-on dire.
Ses propriétés écologiques sont merveilleuses puisqu’il capte 30 % de plus de CO2 que nos arbres feuillus et rejette donc 30 % d’oxygène en plus dans l’atmosphère. C’est un puissant dépolluant du sol, sols qu’il aide à maintenir en place avec son réseau très dense de rhizomes (200 km à l’hectare !) : c’est utile sur les berges de cours d’eau, mais à considérer aussi dans la constitution de barrières naturelles pour lutter contre les inondations. Son cycle de renouvellement extrêmement court, de 3 à 7 ans contre 40 pour le pin, en fait une solution d’avenir pour limiter les méfaits mondiaux de la déforestation.
« C’est une plante avec un patrimoine génétique extrêmement complexe qui force le respect. Et on est loin d’en avoir fait le tour, notamment pour ses vertus médicinales à l’étude dans le traitement de certains cancers, ajoute Jerry. Elle est spirituellement très importante en Asie où elle illustre à merveille le yin yang dans son mélange de souplesse et de rigidité. »
Le problème de l’entretien
Le hic pour le commun des mortels, c’est le caractère invasif du bambou. Il existe bien des variétés non traçantes (cespiteuses), mais du fait de leur faible diamètre (maximum 2 cm), on les cantonne plutôt dans le potager ou encore en brise-vent ou brise-vue. Il faut donc se tourner vers des variétés traçantes pour tout autre usage, y compris poétique : se balader parmi les chaumes tamisant la lumière génère une incroyable impression de bien-être.
C’est là qu’intervient le bamboutier-conseil, comme l’illustre Jerry : « toute plante ou plantation nécessite un entretien suivi. Je suis souvent sollicité pour réhabiliter des massifs de bambous peu ou pas du tout entretenus, cela prend énormément de temps de rééquilibrer l’ensemble. C’est pourquoi si l’on souhaite implanter du bambou chez soi et vu le nombre de variétés différentes, je recommande de me contacter avant la plantation. » L’association Mumbu qu’il a cofondée propose également des prestations d’accompagnement « sur 3 ans, en moyenne. C’est le temps nécessaire pour bien assimiler le cycle de vie du bambou et acquérir les connaissances nécessaires à son entretien, en toute confiance et sérénité. » Jerry collabore actuellement avec Epidor et le Syndicat Mixte du Bassin de l‘Isle pour coordonner le suivi des espaces verts autour de l’écluse et de la base de loisirs de Montpon où, là aussi, le bambou s’est ensauvagé faute d’entretien. « Si l’on respecte certaines règles, on ne voit plus que les bienfaits multiples et extraordinaires de cette plante », conclut Jerry. Avec les yeux de l’amour en ce qui le concerne.
Myriam POUPARD
Et si vous visitiez une bambousaie en Périgord ? C’est au Buisson-de-Cadouin, le Jardin de Planbuisson.
Quelques splendeurs architecturales en bambou :
https://www.consoglobe.com/simon-velez-architecture-vegetarienne-bambou-cg?comingFromDekstop=fwd
https://arles2018.contemplation.art/pavillon-simon-velez/
https://vivredemain.fr/2015/05/25/spectaculaire-architecture-bambou-bali/
https://espacescontemporains.ch/larchitecture-tropicale-de-vo-trong-nghia/
Apprendre à utiliser le bambou
Si Jerry propose encore quelques formations de temps à autre, l’un de ses collègues du Cercle des Bamboutiers, Bertrand Chéreau, en a fait son activité principale dans le Tarn sous le nom de Bambou Créations.
Formé dans le B.T.P. à l’origine, Bertrand a fini par être écœuré de couler des milliers de mètres cubes de béton. En 2014, il part plusieurs mois à vélo sur les routes asiatiques avec sa femme et leur jeune fils. Il découvre alors le bambou, plus particulièrement en Indonésie, « à Bali. Vous avez là-bas des villages avec une spécialité artisanale unique : l’un se consacre à la poterie, un autre au travail du bambou, etc. C’est là que ma passion est née et que je me suis formé. »
Installé depuis 2017 à Lautrec, où il a cofondé un éco-hameau, il propose plusieurs stages de formation durant l’année : sur 2 jours pour “créer des objets en bambou”, 3 jours pour ”créer des objets et structures en bambou” et la dernière-née en 2021, une formule sur 5 jours afin d’apprendre à ”construire un four en terre-paille et son abri en bambou”. Une dizaine de stagiaires sont accueillis à chaque fois, en provenance de toute la France, avec des parcours très différents mais une envie commune : découvrir ou approfondir l’utilisation d’un matériau naturel et écologique. « Il se crée une merveilleuse alchimie entre ces personnes dans une ambiance studieuse et très collaborative. C’est ainsi que je conçois les formations qui doivent être un espace de découverte, d’entraide et de partage dans la bonne humeur et la simplicité », glisse Bertrand avec douceur.
Mais ceux qui en parlent le mieux sont les stagiaires comme Frédéric, venu en 2020 : « nous avons passé un super week-end avec ma femme : plus qu’une formation, c’est un état d’esprit. On apprend ce qu’est le bambou, comment le travailler, avec quels outils, dans un environnement bucolique et une ambiance extra. Il y a la théorie, puis la pratique en atelier quasiment libre où l’on a accès à tous les outils, la construction en groupe, et enfin le temps libre pour fabriquer son propre objet et repartir avec. C’est très convivial, chaleureux, c’est un moment de grand partage et de vivre ensemble où tout se passe chez Bertrand, au milieu de sa famille. Je recommande cette formation, vraiment ouverte à tout public. »
Et à tous les budgets avec un coût très abordable, dans cette volonté de partage si chère au cœur de Bertrand : à chaque fin de session, il envoie à tous les participants un document théorique récapitulatif et les fiches techniques des structures et objets en bambou créés durant le stage. La passion n’a décidément pas de prix.
Myriam POUPARD
• Ressources supplémentaires sur AEB (Association Européenne du Bambou)