La 14e livraison de la revue Sédiments, orchestrée par Romain Bondonneau pour les éditions du Ruisseau, qu’il a créées, s’est adjoint la codirection d’Anne-Marie Cocula-Vaillières et d’une vingtaine de contributeurs pour remonter le cours du temps, de la Vénus impudique de Laugerie-Basse du Magdalénien moyen jusqu’à Manon Hostens, championne du monde de kayak née en 1994.
Rares et chères à notre mémoire
Cette mise en perspective souligne que l’empreinte laissée par ces femmes dans l’histoire, en dépit et peut-être même du fait de leur rareté, est indélébile, indispensable, déterminante. Et, petit miracle, celles qui nous sont le plus éloigné dans le temps ne nous sont pas les plus étrangères : la plume des auteurs et autrices qui nous les décrivent y est pour beaucoup. Comme celle de Joëlle Chevé, historienne attachée au sort des femmes d’hier et aujourd’hui, qui éclaire la fausse ingénuité de Marie de Hautefort (1616-91) ou l’aventure anglo-saxonne de la styliste Jenny Sacerdote (1868-1962), mystérieusement oubliée au détour du XXe siècle.
Destins individuels et œuvre collective
Un regard collectif et documenté fouille la place des “Femmes en Révolutions” ; un autre, à la fois poétique et amusé, celui de Michel Chadeuil, se penche sur la figure tutélaire de la Mémé dans une diversité de souvenirs ; et Jean-François Gareyte évoque les Trobairitz, dans l’ombre des troubadours médiévaux. Mais c’est avant tout sur des destins individuels que se concentre l’ouvrage, avec l’aventurière Jeanne Barret (1740-1807), audacieuse “passagère clandestine” de Bougainville ou l’aviatrice pionnière Marie Marvingt (1875-1963)… et, dans une tout autre acception du mot aventurière, Isabeau de Limeuil (1535-1609), joyau de l’escadron volant de Catherine de Médicis. On rencontre aussi des figures de proue du féminisme et de l’émancipation sociale comme l’autrice Rachilde (1860-1953) ou Louise Martial (1881-1971), institutrice romancière et journaliste conférencière engagée pour la laïcité et les droits des femmes. Les femmes de lettres sont ici bien représentées, avec aussi George de Peyrebrune (1841-1917) et Catherine Pozzi (1882-1934).
Résistantes
Des combattantes de la Résistance comme Laure Gatet (1913-1943), qui l’a payé de sa vie ; Joséphine Baker (1906-1975), enfin panthéonisée, et Hélène Duc (1917-2014) qui ont ensuite brillé en tant qu’artistes et humanistes. D’autres sont moins repérées comme Jeanne de Lestonnac (1556-1640), nièce de Montaigne, entrée dans les ordres lors de son veuvage et pédagogue innovante ; Youki (1903-1966), muse du Montparnasse des années 1930 ; ou encore Nhu May (1905-1999), princesse d’Annam devenue ingénieure agronome et agricultrice sur le domaine de son château de Losse.
De leur temps et éternelles
Toutes sont en leur époque et pour l’éternité exemplaires, universelles, inoubliables. Originaires du Périgord ou expatriées, elles ont traversé ce territoire en laissant une trace profonde, peut-être pas immédiate, mais vive au cœur de celles et ceux qui, aujourd’hui, ont envie de marcher dans leurs pas. C’est déjà le cas des contemporaines figurant dans les dernières pages de l’ouvrage, sportives de haut niveau — Nicole Duclos—, cuisinière de caractère — Danièle Mazet-Delpeuch—, haut-fonctionnaire engagée pour l’Europe comme Agnès Rebuffel ou auprès de l’ONU comme Ginette de Matha, architecte décorée du prix Pritzker — Anne Lacaton — ou œuvrant pour ceux que l’on a tendance à oublier parce que leur propre mémoire s’efface — Geneviève Demoures, vice-présidente nationale de France Alzheimer.
Reconnaissance
Artistes, préhistoriennes, femmes politiques… une cinquantaine de portraits composent cet hommage au féminin périgourdin. Elles font le Périgord d’hier et d’aujourd’hui, et cet opus témoigne de l’émergence et de la reconnaissance (enfin !) des dignes représentantes (illustres ou oubliées) d’une moitié de l’Humanité attachées à cette terre connue pour en être le berceau.
• Femmes en Périgord. Sous la direction d’Anne-Marie Cocula-Vaillières et Romain Bondonneau. Éditions du Ruisseau, 22 euros.