Directrice de casting, assistante réalisatrice et scénariste, Ève Guillou décide de quitter Paris il y a dix ans pour changer de vie. Sélectionnée à deux reprises au festival de Sarlat, le projet d’installation en Périgord fait doucement son chemin, au gré des recherches de son compagnon. C’est à Sainte-Alvère qu’elle pose ses bagages, dans une maison périgourdine du XVIIIe siècle.
Elle qui a changé de maison plus souvent que d’autres de chemise, elle qui n’envisagerait pour rien au monde de rester toute une vie au même endroit ; et pourtant, elle qui bat en Périgord, un record de longévité à la même adresse…
Le goût des saveurs et des gens
Dans le village où elle a décidé de vivre, toute la rue principale ou presque est à vendre. Pas d’endroit pour se poser pour déjeuner. Qu’à cela ne tienne ! Ève va créer le restaurant qui lui manque, dans un local face à l’église.
Si elle n’a aucune expérience dans ce secteur d’activité, n’a jamais vraiment cuisiné, elle ne craint pas grand-chose et fait confiance à ses perceptions gustatives. Une prédisposition qui ne suffit pas pour exercer un métier. Elle doit apprendre, ne serait-ce que pour préserver cette volonté de n’être l’otage de personne.
Auprès d’un ami chef cuisinier, Serge Volkoff, qui revisite les cartes de restaurants étoilés, elle relève le défi de 30 jours d’une formation intensive, au terme de laquelle le professionnel lui donne son feu vert. Ce ne sont pas tant les journées de 16 heures qui sont difficiles, mais le fait de tout gérer toute seule, et de ne plus avoir la soupape des cinés, des spectacles et autres expositions. Elle pleure donc beaucoup durant cette première année.
Côté village, on observe, intrigué, cette Parisienne issue du monde du cinéma, qui se lance dans la cuisine. Un comble au pays de la gastronomie ! Mais la ténacité finit par payer.
Progressivement, les préjugés s’effacent, et on vient à la P’tite Factory, où tout est fait maison avec des produits frais. Finalement, la Parisienne, elle ne cuisine pas si mal que ça ; en apportant sa petite touche personnelle, elle invente son style.
Elle propose des concerts, des spectacles, les week-ends durant la saison. Elle a même fait venir l’orchestre philharmonique de Paris, celui de Toulouse, ainsi que des comédiens de la Comédie-Française.
Soutenue par une petite équipe, notamment Patricia sa cheffe durant la saison, Ève et sa p’tite Factory sont devenues un élément incontournable de la vie du village. Après plusieurs années à cumuler le restaurant et son activité de scénariste, elle s’est pourtant autorisée depuis 2022 à fermer de mi-octobre à mi-avril, pour se consacrer pleinement à l’écriture de ses romans et de ses scénarios.
L’étrangère est devenue une fille du village.
« Nous sommes en guerre ». Ces mots du président Macron le 16 mars 2020, vibrent particulièrement pour la scénariste. Elle pense aussitôt aux anciens, nés pendant la seconde guerre mondiale, qui ont vécu le couvre-feu ; elle se demande comment ces mots résonnent chez eux. Dès cet instant, faisant fi des horaires de sortie, elle entreprend de toquer à la porte de tous ces vieux, si proches d’elle géographiquement, qu’elle n’a pas encore eu le temps de rencontrer.
Cette parenthèse qu’elle ouvre dans la vacuité du confinement, devient une quête vitale ; connaître la vie de ces personnes qui n’ont jamais quitté leur maison, et, à travers elles raconter la vie d’un village.
Les Immobiles, ce sera le titre, questionne le rapport au temps et le cheminement d’une vie. Alors que tout va très vite aujourd’hui, que l’on peut facilement aller à l’autre bout du monde, Ève a voulu comprendre comment on voyage en restant toute sa vie au même endroit.
Comment apprivoiser ces personnes dont elle ne sait rien ? mériter leur confiance, elle, l’étrangère du village ? En étant elle-même, en acceptant de livrer aussi un peu de soi. Rentrer dans leur vie jusqu’à en faire partie, et les laisser entrer dans la sienne. Une expérience d’une profonde humanité, où la scénariste s’est confrontée à ses propres peurs, à la mort aussi.
En acceptant de se raconter, ses Immobiles lui ont offert une parole intime, pleine de pudeur, abordant tous les cycles d’une vie. Au cours de ces entretiens, véritables espaces hors du temps, les mots, les regards, les silences, les soupirs ont lié doucement sa vie à la leur.
Depuis la diffusion du documentaire et l’édition du livre en juillet dernier, les retours sont très positifs. Elle est désormais adoptée par le village de Saint-Alvère. Les habitants ont enfin perçu, sous la carapace d’un tempérament indomptable, la sensibilité, la générosité d’une femme, avant tout en quête de la part d’humanité en chacun de nous.
Toutes les vies sont importantes et intéressantes
Passionnée avant tout par les histoires, humbles, singulières, qui ne figurent pas dans les livres d’histoire, Ève aime par-dessus tout mettre dans la lumière ces invisibles, qui n’ont peut-être pas une Rolex à 50 ans, mais qui n’en ont pas pour autant raté leur vie.
Cet automne, elle reprendra la caméra pour partir à la rencontre de huit femmes comédiennes quinquagénaires, afin de comprendre et faire partager ce qu’est la vie d’une comédienne à la campagne. Elle poursuivra également l’écriture de son prochain roman à paraître courant 2024. L’histoire de la séparation d’un couple en pleine période nataliste sous le règne de Ceausescu. Un roman interrogeant le rapport au temps, et la force de la reconstruction du passé, pour mieux affronter le présent.
L’ouvrage d’Ève Guillou est disponible à la P’tite Factory et en commande dans toutes les librairies, Mars-A édition.