On suit ses personnages attachés à l’open space comme un chien à une laisse. La moindre anecdote prend des allures d’aventure intérieure dans des méandres que l’on se surprend à (re)connaître. Les réunions à rallonge, la fausse bonne idée, le projet patate chaude, les collègues inspirés, les réflexions sexistes, les pénuries d’embauche, la force d’inertie, le style de management, les usines à gaz, la hiérarchie mal assumée, l’incarnation du WHY, la menace de l’IA, le coaching, les arcanes du « sévice » juridique, burn-out versus ennui, tout y est ou presque… Ce tour de piste serait un cauchemar si tous les ingrédients étaient concentrés dans une même boîte (forcément en faillite !), il devient un répertoire inventif de la somme des bêtises crasses du monde professionnel, une compilation de réflexions sorties de leur contexte, mots valise à savourer sans modération.
Toute ressemblance etc.
Le bullshit (baratin) présenté comme paix sociale tacitement négociée cristallise l’indifférence de tous… pour le bien commun, pour que le fragile équilibre du vivre ensemble au boulot ne se fissure pas. L’auteur ouvre les vannes pour le meilleur et pour le rire et plonge le lecteur dans les coulisses du recrutement et du greenwashing, zappe du stagiaire de troisième à occuper aux failles de sécurité informatique ; les gags tombent en cascade comme des em… une veille de vacances et ce passage en revue permet de se moquer de soi avant tout, sous couvert des manies des autres.
La version 2.0 de ce Chief bullshit officer fait exploser l’organigramme où s’incruste Léonce, surligne le non-sens avec brio, aborde façon tragicomique la consommation de masse et l’irruption de la question écologique dans la course aux achats. L’auteur clame — au dixième degré — qu’il est temps de redonner toute sa place au bullshit, concepts fumeux à cultiver dans tous les cercles — famille, travail, patrie — pour lever les angoisses et détendre les réseaux sociaux.
Mieux vaut en rire !
Toute ressemblance avec des situations etc. ne peut que faire sourire, les paroles d’évangile du « dieu » Elon Musk, le poids des mots (enrobage franglais de notions élémentaires et politiquement correct) et le choc des dessins (un fameux bullshitor à l’affiche, le management visuel pour un bilan de vie version grande faucheuse, une carte hyperréaliste du bullshitland, vie et mort d’une idée, outil d’aide à la décision…) dans une redoutable lucidité, ultra référencée et teintée de poésie. Une centaine de pages à haut niveau d’humour : du bon boulot !
- Chief Bullshit officer, Fix, Ed. Diateino, 16,90 euros. Et aussi la collection La Boîte à Fix.