Emma Reyes. À son nom, impossible d’ignorer ses origines latino-américaines. Pourtant, c’est bien à Périgueux que l’artiste-peintre s’est établie à partir des années 1960. Par amour, puisque son époux Jean Perromat a repris le cabinet médical de son père. Petit à petit, même si la vie artistique et culturelle parisienne pouvaient parfois lui manquer, Emma Reyes a tissé un véritable lien avec la Dordogne, jusqu’à la marquer, pour toujours.
La Mama Grande
L’artiste a gardé des liens indéfectibles avec son Amérique Latine natale. Là-bas, les jeunes artistes l’appelaient “La Mama Grande”, elle qui leur disait « d’arrêter avec le regard de colons sur leur culture, et de faire leur propre culture, qu’ils avaient tout à dire », rapporte Stéphanie Cottin, présidente de l’association Emma Reyes.
Le travail d’artiste Emma Reyes appartient « au réalisme magique », selon Stéphanie Cottin, qui est aussi une descendante de l’époux de l’artiste. Son art est empreint des tropiques qui l’ont vue naître. Dans ses couleurs d’abord, car elle est « une grande coloriste », et « il y a une présence à la fois maternante et inquiétante de la nature ». Des inspirations qui viennent tout droit des paysages latino américains, particulièrement de la forêt paragayenne dans laquelle a elle a côtoyé des peuples autochtones (notamment les guaranis), « observé leur rapport à la nature, à l’invisible”. Elle renchérit : « À leur contact, Emma a compris que l’homme n’est pas ce qu’il est parce qu’il est seul, nous évoluons avec les plantes et les animaux, il doit ce qu’il est à ce qu’il y a autour de lui ».
Ainsi, dans ses tableaux, les personnes sur les portraits prennent des allures d’animaux, les fleurs sont imaginaires, des mélanges de plusieurs espèces, et souvent géantes. « Elle donne aux fleurs des tailles de tableaux qu’on octroie d’habitude aux personnes extrêmement importantes comme les rois et les reines. » Dans ses tableaux, « seuls les fruits et les légumes sont reconnaissables », note Stéphanie Cottin.
Inspirée par Lascaux
La Dordogne aura aussi un peu influencé l’œuvre d’Emma Reyes, en particulier sa série Grottes, « une belle série influencée par la grotte de Lascaux ». L’artiste, inhumée au cimetière du Nord à Périgueux, aura laissé une trace de son passage dans la capitale du Périgord (lire ci-après), et aura fait don de près de 300 livres sur l’art à la bibliothèque de Périgueux, et également donné 200 tableaux au Maap, qui possède aujourd’hui le fond le plus important d’œuvres de l’artiste. Aujourd’hui, sa petite nièce par alliance, Stéphanie Cottin, espère « qu’on va redonner de l’importance à toutes ces œuvres qu’elle a donné, il y a un fonds incroyable, il faut que ça sorte, et je sens que la nouvelle équipe du musée et de la mairie a envie d’en faire quelque chose”, conclut-elle.
Une école, pour cette enfant qui n’y a pas eu droit
Élevée dans un couvent, Emma Reyes ne savait pas lire, et compter que jusqu’à dix, lorsqu’elle en est sortie. Pourtant, elle laisse une trace indélébile à Périgueux, dans des lieux intimement liés à l’éducation, elle qui n’y a pas eu le droit. Il y a d’abord ces trois peintures murales et ces trois panneaux mosaïque, réalisés pour l’École normale de Périgueux, en 1966. Plus tard, en 1985, elle réalise trois panneaux muraux, pour le lycée Pablo-Picasso. En 1988, c’est une fresque murale qu’elle réalise pour l’actuelle médiathèque Pierre-Fanlac.
Plus récemment, Périgueux lui a rendu un nouvel hommage, avec la dénomination de l’école primaire du Gour-de-l’Arche, Emma Reyes. Un choix des habitants, qui ont voté. Une œuvre a été exposée dans l’école. « C’est la plus belle revanche de la vie », s’enthousiasme Stéphanie Cottin. Cette dernière se réjouit d’autant plus de cette nomination dans un quartier de banlieue, plus populaire, qui correspond selon elle davantage à l’artiste.