On pénètre dans l’espace d’exposition comme dans un caisson sensoriel, un laboratoire d’expériences pour éprouver sa propre perception de l’art et du réel à partir des instruments imaginés par Leonne Hendriksen : pierres recouvertes de velours, miroirs comme effacés, livre ouvert sur des bribes textiles… À travers des gazes tendues, comme pour adoucir le regard, apparaissent des semblants de peau abandonnés comme une mue, un effeuillage, et une assemblée de corps décorsetés… nous entrons dans les vestiges d’un monde sous cloche, témoignages d’empêchements que l’artiste observe et conçoit depuis un an afin de nous restituer une combinaison de fragments conceptuels, et pourtant ressentis, dans cette salle qu’elle perçoit comme une grotte.
L’attention plus forte que la tension
Le lieu tient de la caverne autant que du ventre maternel, un cocon à la fois feutré et rugueux, environnement protégé où point une sourde menace. « Je travaille toujours en relation à un lieu, mes modules s’y insèrent de façon inédite. » Les matériaux détournés traduisent dans un langage sensible, symbolique, l’épreuve du confinement et de la mise à distance que nous traversons, l’abolition tactile, la fragilité corporelle… la résignation d’une mise à l’abri, hors du monde, séquestré en soi-même. Ce vertige, qui peut détruire ou aliéner, donne ici matière à créer. Leonne Hendriksen projette sur cette immense page blanche ce qu’elle aurait aimé voir advenir durant ces temps troublés, ce qui lui a manqué : le lien à l’autre, la main tendue, l’attention plus forte que la tension. L’invention d’une autre forme du vivre ensemble, même séparés. Les références physiques de cette œuvre vivante et éphémère évoquent les sentiments humains, comme le résume le titre de l’exposition.
Mouvements perpétuels
L’artiste, qui partage son temps entre Amsterdam et Brouchaud, dans le pays d’Ans, depuis 22 ans, et parcourt le monde pour ses expositions, quand la situation sanitaire le permet (Algérie, Corée du Sud, Japon, Allemagne, Italie, Islande), intègre le critère de la mobilité dans ses compositions, lesquelles sont déjà indissociables de l’espace dans lequel elles s’inscrivent. Cela donne une légèreté qui n’a d’égale que la gravité du propos qu’elle sert. Ici, une allégorie de nos corps contraints à un même danger invisible, quelles que soient notre couleur de peau ou notre origine, peau de bébé ou parcheminée. Laissez parler les petits papiers : lisses ou froissés, calque, de riz, japonais, transparent, souple, délicat, immobile… papier de soi(e).
Leonne Hendriksen s’est installée à l’espace culturel François Mitterrand comme en résidence : elle continue à créer dans l’arrière salle, la “salle noire”, qui lui tient lieu d’atelier jusqu’au 4 mars. Engagée dans une installation évolutive en quatre temps, l’artiste nous accueille et nous invite à exercer une curiosité fidèle en dévoilant les coulisses de ses réalisations et de ses réflexions, les études et les esquisses. Une fois pris au jeu de cette vision en mouvement, on a forcément envie de connaître la suite, les autres arrêts sur images de ce work in progress.
Mémoires d’éphémères
Et pour emporter avec soi quelques parcelles de ces métamorphoses, un ouvrage accompagne sa démarche depuis sa conception jusqu’à sa réalisation actuelle, appelée à évoluer autrement, ailleurs. « Mémoire d’éphémères » est en cours d’édition.
Une œuvre en quatre temps
Cette création in situ est rythmée par trois rendez-vous avec l’artiste les jeudis 3 et 17 février, et 3 mars, de 17h30 à 19h qui marqueront des étapes de transformation, après la présentation des prémices de l’installation proposée jeudi 20 janvier. L’œuvre se figera à ces moments-là, arrêt sur images avant la poursuite du cheminement conceptuel.
Une visite commentée est prévue chaque samedi à 14h (sans réservation, places limitées) et un accueil de groupes le matin en semaine (sur réservation). Une médiation spéciale jeune public (6-11 ans) se déroule pour Un mardi / une œuvre (en fin d’après-midi, sur réservation), ainsi que des ateliers en famille samedi 5 et mercredi 16 février (10h, sur réservation).
Silence fragile, Espace culturel François Mitterrand, place Hoche. Périgueux. Entrée libre à la visite du mardi au samedi, 14h-18h.
Expression symboliste
Pierre Ouzeau, directeur artistique de l’agence culturelle départementale, rappelle qu’une partie du travail de l’agence est effectuée en direction des artistes installés en Dordogne, à travers un soutien à la production et à des expositions. Des créations de Leonne Hendriksen, à la fois Périgourdine et sans frontières, il évoque la dimension conceptuelle, la matérialisation d’une pensée, les similitudes avec le travail des symbolistes comme les Nabis. « L’artiste s’intéresse au vivant. Elle utilise des matériaux, lourds ou légers, pour traduire sa réflexion, crée des analogies entre le papier et la peau, notamment, pour former une œuvre onirique et poétique. » Huit modules vont s’insérer dans cet espace, sculptures souples ou dures, trois ont déjà pris place, cinq sont à venir dans l’immense pièce aveugle, propice aux révélations…