Autrice prolifique d’ouvrages historiques, Sandrine Biyi entrecroise avec passion les fils de la grande et de la petite histoire, soulignant dans chaque opus, le rôle majeur des femmes.
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« Comme un grain de blé qui germe », l’histoire de Violette Pinkerton a mûri depuis des années dans l’esprit de Sandrine Biyi. Interpellée par le récit d’une institutrice qui n’avait pu enseigner car elle n’était pas mariée avec l’instituteur, l’autrice entame des recherches sur la situation des institutrices publiques dont l’existence a été entérinée par la loi du 10 avril 1867 dite loi Duruy.
Des conditions d’exercice difficiles
Un texte fondateur qui a permis de développer l’enseignement primaire féminin, la fréquentation des écoles et la gratuité. L’un de ses articles prévoit que les communes de plus de 500 habitants doivent créer et entretenir une école de filles. Mais entre la loi et la pratique s’est creusé un énorme fossé.
Au début du XXe siècle, les institutrices publiques rencontrent d’énormes difficultés pour exercer leur mission, particulièrement en milieu rural. À commencer par l’hostilité des prêtres, n’acceptant pas de voir leur influence affaiblie, notamment par la loi de séparation des églises et de l’État en 1905, qui les renvoie dans leur presbytère, mettant fin à l’enseignement clérical.
Elles doivent également lutter contre le ressentiment des hommes majoritairement illettrés à la campagne, qui voient d’un très mauvais œil l’évolution du statut des femmes, selon eux plus utiles dans les champs et aux travaux ménagers. En outre, les règles encadrant leur profession naissante sont particulièrement humiliantes. Enfin, leur rémunération et leur logement étant assurés par la commune, elles doivent cultiver de bonnes relations avec le maire et le conseil municipal pour préserver leur fonction. Si l’histoire de Violette Pinkerton relève de la fiction, l’autrice s’est inspirée de nombreuses recherches, de témoignages, notamment celui d’une institutrice âgée du village dans lequel se déroule le roman.
Rivalité entre enseignement clérical et laïque
Stupéfaite par ce qu’elle découvre, Sandrine Biyi montre au fil des pages à quel point tout était à construire et à prouver pour ces institutrices. Fidèles serviteurs de l’État, elles éduquent avec courage et détermination des jeunes filles jusque-là « élevées sur les genoux de l’église » (Mgr Dupanloup). Elles doivent en faire des épouses et des mères de citoyens, en luttant contre l’influence sociale, culturelle et politique de l’église catholique.
À travers le personnage de Violette, une jeune femme au caractère bien trempé, nous découvrons la vie de l’institutrice du village. Sortie de l’école Normale à seulement 20 ans, elle est envoyée loin de chez elle dans un village de l’Entre-Deux-Mers.
Confrontée aux peurs de l’abbé Brissac, inquiet de la voir « transformer les enfants du bon dieu en soldats du diable », elle doit également se concilier les bonnes grâces des dames du village qui font la pluie et le beau temps, dont Madame de Pontillac la châtelaine, et Louise l’épouse de l’instituteur.
Cultivant habilement diplomatie et fermeté, Violette avance et s’impose progressivement dans son rôle, provoquant quelques révolutions. Elle présente une jeune fille au certificat d’études, une démarche jusque-là réservée aux garçons. En outre, elle parvient à faire intégrer à la classe de son confrère un jeune garçon enfant de l’assistance. Si l’abbé Brissac a déclaré la guerre à Violette en sonnant le glas pour son premier jour d’école, la jeune femme saura avec dignité et courage aller à son encontre, osant même jouer de l’harmonium à l’église.
L’héritage de Violette Pinkerton, un roman qui se lit avec plaisir et intérêt, pour se souvenir que l’école publique laïque n’a pas toujours été celle que nous connaissons, et qu’il convient de rester vigilant.
L’Héritage de Violette Pinkerton, Sandrine Biyi, Éditions Savine Dewilde, 20 euros