Romain Bondonneau raconte qu’après une adolescence un peu dissipée le livre est devenu pour lui un compagnon indispensable, il lui a permis de voyager sur place et de goûter le plaisir de l’isolement. Plus tard, sa découverte de l’écrivain Henri Bauchau (1913-2012) l’a enthousiasmé et confirmé son goût pour l’écriture : il s’est essayé à de courtes pièces, à des débuts de romans. Parallèlement, il a pratiqué la photographie, puis la vidéo, et s’est intéressé aux mythologies et à leur symbolique. Cette soif de connaissances et, tout autant, le désir de les partager que ne satisfaisait pas entièrement l’enseignement de l’histoire, l’ont progressivement amené à l’édition.
Ancré en Périgord, attentif à la vie de ses contemporains, aux monuments et aux paysages, il a considéré nécessaire de ne pas garder pour lui ses observations et ses recherches. Héléna Lebret a rejoint Romain et tous deux discutent des thèmes qui peuvent aboutir à un livre, à des auteurs pour l’écrire. Sa formation lui permet de prendre en charge le graphisme, le choix de la couverture et, ce qui est essentiel pour les éditions, elle suit la gestion et consacre du temps à la communication sous divers aspects : prévoir des conférences, préparer des affiches, diffuser des informations via notamment les réseaux sociaux.
Sédiments, des cahiers pour le patrimoine
Les éditions du Ruisseau sont nées d’une passion pour le patrimoine et d’une volonté de le transmettre, dans la continuité d’un engagement associatif. Tout a commencé, dans l’association Périgord Patrimoines, par de petits guides à propos de villages, également par des affiches à vocation pédagogique sur le patrimoine à destination des écoles. Ces présentations ont été bien accueillies, notamment celle autour de La Boétie et Sarlat. C’est ce qui a tout changé : les matériaux étaient en effet trop importants pour limiter le texte à une grosse brochure et c’est comme cela qu’est né, en 2014, le premier numéro de Sédiments.
Ce premier numéro a été bien vendu ce qui a encouragé son concepteur à entreprendre un deuxième, un troisième, toujours avec l’idée d’explorer la richesse patrimoniale de la région et de la transmettre le plus largement possible, dans des cahiers de grands formats, abondamment illustrés. Parmi d’autres, encore disponibles, Doisneau et la Dordogne (n° 4), L’Expérience de la forêt (n° 9), Femmes en Périgord (n° 14), Rivière Dordogne trésor écologique (n° 15) en 2023. En 2024, deux numéros sortent, Le Périgord des écrivains (n° 16) et, en liaison avec l’association des Amis de Saint-Amand-de-Coly, un ensemble consacré à l’abbaye dont on fêtait les 900 ans (n° 17), avec un long texte d’un poète contemporain, Bernard Chambaz, accompagnant les photographies d’Andrea Polato du monument de pierre.
Naissance des éditions
L’accueil fait à Sédiments, la multiplication des contacts pour construire ces gros cahiers — 200 contributeurs en dix ans ! — le désir de publier ce qui n’avait pas de place dans une revue, ont conduit assez naturellement à fonder, en 2018, une maison d’édition. Si le nom Sédiments s’était presque immédiatement imposé, tant le mot évoque l’accumulation avec le temps d’éléments naturels, donc un passé à explorer, trouver un nom pour les éditions a été un peu plus long. « Ruisseau », a été retenu parce que le mot évoque la multitude de minuscules cours d’eau qui sillonnent le Périgord et, finalement, nourrissent la Dordogne, la Vézère, l’Isle… Comme de petits éléments de connaissance aussi qu’il est bon de rassembler, de diffuser.
Éditer des livres, c’était aussi voir et revoir des auteurs, en solliciter d’autres, et ce sont toujours des rencontres enrichissantes. Suggérer le thème d’un livre que l’on aimerait lire, ou avoir écrit, c’est aussi un pari. Cela aboutit d’ailleurs à sortir du patrimoine du seul Périgord, même s’il reste toujours présent, et se préoccuper d’autres témoins du passé. Ce qui demeure constant, c’est l’idée initiale de faire connaître ce qui est lié à la nature, à l’histoire, aux monuments, et cela a conduit à ouvrir plusieurs collections.
La passion de l’image
On sait bien que les ruisseaux finissent par devenir rivières et creuser dans les sédiments fait donc inventer de nouvelles directions de recherche. En 2021, la collection Paesina (= petit village) propose un Doisneau et le Sud-Ouest : la publication s’accordait avec la passion de Romain Bondonneau pour la photographie, celle de Robert Doisneau lui était familière : en 2018, il avait organisé l’exposition Doisneau de la gare de Carlux. La suite, ce sont notamment en 2023 des livres de photographies anciennes toutes venues du fonds réuni par le grand collectionneur Albert Kahn (1860-1940), Les couleurs du Pays basque et du Béarn en 1920-1924, Les couleurs de la Gironde en 1920, et Les couleurs de la Charente en 1916, puis en 2024 Les couleurs du Périgord en 1916. Ajoutons dans cette collection vouée à l’image un ensemble de J. Bernard-Maugiron, L’île Madame, — photos et texte — consacré à cette petite île située dans l’estuaire de la Charente. Les lecteurs attendent d’autres ouvrages analogues de photographies à propos d’autres régions proches, ouvrages souvent plus éloquents que des textes et qui, de toute manière, les complètent heureusement. Parmi d’autres livres, ont également paru dans la même collection, en 2021, un ouvrage du peintre Pierre Loeb et, un an plus tard, un entretien, réalisé par le galeriste Bruno-Pascal Lajoinie en 1996, avec le peintre Marcel Mouly (1918-2008).
Vous avez dit littérature ?
Le livre a un caractère sacré pour Romain Bondonneau et son ambition a été, dès le début, de publier des écrivains reconnus en Périgord et au-delà des limites régionales. Deux collections différentes répondent dès 2021 à ce vœu. Dans la collection « Silex » ont paru deux choix de textes d’auteurs pour qui la nature était essentielle, Henri David Thoreau (1817-1862) — dont le livre le plus connu, Walden ou la vie dans les bois, est toujours une référence — et Jean Giono (1895-1970), amoureux de la nature. Ces anthologies sont illustrées, respectivement par Daniel Maja et Selçut Demirel.
Dans une autre collection, « Pagus », également née en 2021, le lecteur trouvera chez tous les écrivains choisis un souci du patrimoine, du Périgord (Pierre Bergounioux, Humanités périgourdines, Armand Farrachi, Périgord vert (traversé à pied), Christian Signol, Dordogne ma rivière, Bernard Chambaz, Italie — L’automne selon Montaigne) ou de ses environs (Michel Testut, Corrélations corréziennes, Denis Montebello, Ma Rochelle et autres îles , Jean-Claude Guillebaud, Charente(s) – Mes patries minuscules). Un peu à part, dans la collection « Lapis Lazuli » ouverte en 2024, un livre sur un oiseau du crépuscule et de la nuit : Éloge de l’engoulevent, par Jean Mottet.
Il faut insister sur la volonté de transmettre largement des connaissances toujours dispersées, pas toujours disponibles. Prenons l’exemple d’une gloire de la région, Montaigne : qui lit encore les Essais en dehors de l’école ? Romain Bondonneau s’est posé la question et y a répondu en consacrant à l’écrivain en 2019 une livraison de Sédiments qui montre que les réflexions faites à la fin du XVIe siècle sont encore largement d’actualité. Tous les livres des éditions du Ruisseau ont cette caractéristique : partager des savoirs qui se rapportent surtout au patrimoine, écrits dans une prose châtiée toujours très accessible — la langue étant aussi partie du patrimoine.
Tristan HORDÉ