La vie rurale contemporaine, loin de la vision misérabiliste du XIXe — “victime” des romans d’Eugène Le Roy — a bénéficié d’un retour en grâce à la faveur de la crise sanitaire, avec des installations familiales, des prises de postes jusque-là vacants ou pour des créations d’activités… Certaines fugaces, d’autres durables. Une construction sociale déjà marquée par l’arrivée de ressortissants britanniques continue de mêler populations d’origine et fraîchement installée, attachement à la langue occitane et anglais courant… Périgord je reste et Paris je te quitte arrivent à nouer une histoire commune.
Terre nourricière
Corinne Marache commence par se pencher sur l’activité agricole, qui a glissé de 27 000 exploitations en 1970 à 6 000 aujourd’hui, et nombreuses sont aux mains de chefs d’entreprise qui devront passer la main dans une poignée d’années. « C’est un bouleversement civilisationnel du monde rural : ce secteur ne concerne plus que 10 % à peine de la population active. » Les récentes manifestations ont souligné le désespoir paysan et redit combien le prix que nous leur accordons, celui du marché, ne correspond pas à leurs efforts.
« Par rapport à d’autres départements aquitains, le Périgord a repensé son modèle agricole avec l’agrotourisme et la culture biologique. » Ces 10 % d’actifs, mis en perspective en ouvrant au secteur de l’agroalimentaire et de l’accueil, rayonnent tout autrement : il s’agit alors d’un actif sur quatre. De quoi devenir un élément-moteur et un atout du Périgord, une belle part de son image magique. « Plus que d’autres départements, cette agriculture a vu des choix s’opérer en lien avec l’histoire et notre héritage. Plus de 50 % des produits élaborés localement sont concernés par des labels, des signes de qualité et d’origine. Cette orientation distinctive, ce repérage qualitatif apporte une valeur ajoutée à l’économie et à l’image du Périgord. » Aux siècles précédents, « c’était l’image du Périgord qui apportait de la valeur à un produit, perçue partout dans le monde où il voyageait, et c’est aujourd’hui le phénomène inverse : ces produits labellisés donnent de la valeur au territoire ». La marque Saveurs du Périgord est née sur cette image vendeuse.
L’orientation du vignoble Bergeracois vers l’œnotourisme et la transition engagée sur des critères de développement durable, avec plus de la moitié des exploitations sous label, ajoutent à la quête de (bon) sens.
Tourisme et savoir-faire d’excellence
Deuxième en Nouvelle-Aquitaine pour le nombre d’exploitations passées en bio, quatrième en surface agricole utile (et il faut ajouter l’agriculture raisonnée), le département a opéré des choix qui vont de pair avec des secteurs d’excellence, élevage bovin viande, filière gras… « La cuisine paysanne, l’art de vivre, les manières de table concourent à la définition actuelle du Périgord, beaucoup plus complexe » : le savoir-faire gastronomique contribue au moins autant à sa réputation que Lascaux, les châteaux et les paysages. L’une des plus éclatantes réussites revient au secteur touristique, la plus belle vitrine du Périgord en France et dans le monde. Il compte pour 20 % dans la richesse économique du département (3 millions de visiteurs par an) et plus encore dans l’imaginaire collectif. « Les villages où l’on se promène sont, eux aussi, labellisés. Des festivités, des salons, mettent en avant la culture locale. Le patrimoine est vivant car le Périgord recèle de savoir-faire artisanaux autour de la pierre, de la laine… avec une volonté assumée de sauvegarde et de transmission pour en faire, loin de passéisme, une force d’innovation et de développement. » Autant de secteurs économiques qui ont eu la capacité de se réinventer.
• Cet article est à retrouver avec tous ceux produits par l’équipe de BIEN en Périgord aux côtés de la rédaction de l’Édition Périgord, dans le numéro hors-série réalisé en collaboration, toujours disponible en kiosque et en ligne.
• Ce projet éditorial de mise en valeur des dynamiques économiques en Périgord, pour montrer d’autres contours des richesses du département (l’autre économie, ESS et circuits courts, tech) et des valeurs sûres revisitées (tourisme, agroalimentaire…), s’est doublé d’une soirée de présentation et de remise de prix.
Un écosystème complexe
Le tracé de l’autoroute a irrigué le territoire et ouvert l’économie d’un département longtemps qualifié d’enclavé. Le maillage par la fibre, qui s’achèvera en 2025, finira
d’interconnecter particuliers et entreprises, le télétravail en Périgord et le marché mondial.
La fin de certaines industries — la chaussure à la fin des années 1980, la secousse actuelle autour de Condat — cache l’essor d’autres pans d’activités, de PME florissantes et de réussites de niche. Le président de ce département disait récemment, dans le Terrassonnais, combien “il est avant tout industriel, avec des mutations, le secteur médical remplaçant l’agroalimentaire à Sarlat, et des spécialités, par exemple les vannes industrielles KSB à La Roche-Chalais…”, autant d’emplois à l’année pour l’industrie qui cohabite avec celle du tourisme, plus saisonnière et plus connue sur cette terre de réputation culturelle, cadre de nombreux tournages… qui permettront bientôt de transformer la friche de France tabac, à Sarlat, en studio de formation aux métiers du cinéma.
Des valeurs sûres Le Périgord d’aujourd’hui se distingue avec d’authentiques productions artisanales autant que par des conceptions innovantes. La liste est longue de ceux qui ont choisi de s’installer en Périgord, prestigieux Repetto, Hermès et CWD, aux côtés de groupes familiaux locaux qui ont pris une ampleur nationale et internationale,
comme Hammel (Ayor) et Novi (Beauty Success) dans les activités de service et de distribution ; de spécialités pour l’aéronautique (Delmon Group) et prestataires dans des secteurs de pointe (Fedd, Cofidur, Inovelec, Kimo) ; bien sûr des poids lourds de l’agroalimentaire que sont Savencia (Fromarsac), Mademoiselle desserts ou Sobeval ; et des traditions bois-papier (Polyrey, Guyenne Papier, Munksjö Rottersac).
Sur ce solide socle de l’économie “historique” du Périgord se combinent des savoir-faire patrimoniaux (Socra, Ateliers Férignac, Chaux de Saint-Astier, cluster ResoCuir, Pôle expérimental des métiers d’art), des créations et reprises d’activités sur des niches
florissantes (La Chantéracoise, le Moulin de la Veyssière, les producteurs de caviar…), d’audacieuses startups gravitant autour de la French Tech Périgord, sans oublier un retour à la consommation en circuits courts. Un écosystème qui se diversifie, et donc se complexifie.