C’est Charlotte Costa la première installée. Lors de son parcours de formation, elle rencontre son mari et suit sa destinée professionnelle dans l’industrie papetière en changeant régulièrement d’université au fil de mutations dans le nord et dans l’est de la France. L’arrivée en Périgord, l’été 2011, rompt avec cette succession, le couple s’y sent bien. Leurs filles entrent alors en 6e et CE2. Quand l’évolution professionnelle de son mari appelle de nouveaux changements, la décision de rester s’impose à eux. Pendant un an, elle remplace puis collabore avec une praticienne de Périgueux, avant de s’associer avec elle jusqu’en 2019. « Entre temps, une remplaçante devenue collaboratrice, Noémie Daoulas, a rejoint notre association. Quand notre consœur a eu son troisième enfant, Floriane Tridat est venue la remplacer puis est restée comme collaboratrice. Les locaux étant trop petits, on avait prévu de bouger toutes les quatre, mais mon associée d’origine est finalement restée dans son cabinet à Périgueux. »
De Périgueux à Atur
C’est donc finalement un trio professionnel qui se laisse séduire par un local vacant, au prix plus raisonnable que l’immobilier de la ville centre. « Noémie habite Atur, ses deux enfants y sont scolarisés et, au hasard d’une conversation, elle a eu connaissance de cette opportunité. » Une partie était encore occupée par le kiné qui a bien voulu se décaler d’un cran dans cet alignement d’espaces de plain-pied, si bien que la superficie idéale était disponible. « On a eu le coup de cœur, il n’y a pas de vis-à-vis, l’ensemble est très lumineux, calme, tout favorise la concentration. » Le cabinet est ouvert depuis septembre 2019, après près de cinq mois de travaux réalisés sur mesure, l’installation de cabinets dentaires nécessitant un important passage de réseaux au sol. Chacune a choisi la couleur dominante de son environnement, des tons acidulés turquoise ou framboise bons pour le moral des patients et le cadre de vie de tous, trois assistantes et une femme de ménage y travaillant aussi. « Nous y passons beaucoup de temps et on a bien l’intention de rester. »
Contre les réticences et idées reçues en milieu rural
Alors que les professions médicales, particulièrement les médecins recherchés par des communes de Dordogne, semblent réticents à s’installer à la campagne, Charlotte Costa met en avant de nombreux avantages. « Même si j’ai dû abandonner mes déplacements en bus, à vélo ou à pied, pour reprendre la voiture – mais je reprends le vélo dès que le temps le permet – , et revoir l’organisation familiale, j’ai réalisé dès la première journée ici tous les avantages, sans problème pour se garer, dans un village où les patients poussent la porte pour dire bonjour – prudent en période covid ! – et déposer une production du jardin ou un gâteau. Et les patients hors Périgueux sont ravis de ne plus avoir à entrer en ville. »
La dentiste, qui a eu ses enfants jeune, n’est pas en manque de fête, de cinéma ou de théâtre, « et tout cela n’est ni loin ni compliqué pour ceux qui le souhaitent, c’est un faux problème de dire qu’il n’y a rien à faire à la campagne ». Sa famille apprécie les balades et la nature, de ralentir le rythme, et elle ne reviendrait pas dans sa logistique précédente. « La pause du midi permet de faire un tour au grand air. Tout concourt à une sérénité qu’on n’avait pas avant, même quand on est toutes les trois très occupées. » Et qui a même réussi à rallier la plus réfractaire des trois aux bienfaits de la ruralité : Floriane Tridat, Périgourdine, ne voulait absolument pas revenir. « Après des études à Clermont-Ferrand, je m’étais dit que j’irais vers le sud-ouest, vers l’océan. En essayant de travailler à Bordeaux, j’ai réalisé qu’il y avait peu de possibilités, deux à trois jours par semaine d’activité. Je suis arrivée à Périgueux pour remplacer Sophie Goudal lors de son troisième congé maternité, comme Charlotte et Noémie, qui avaient effectué les deux autres remplacements. J’avais bien prévenu que je ne voulais pas rester en Dordogne… et je suis toujours là sept ans après. »
La célibataire qui ne voulait pas vivre dans une petite ville habite Périgueux et travaille à Atur, elle est ravie de pouvoir monter des projets privés personnels : « c’est plus accessible, plus agréable, plus simple ». Facilité de travail et de vie en harmonie. « On s’entend bien, on s’entraide, on se connaît, on échange avec nos confrères. » Noémie Daoulas apporte un même témoignage enthousiaste : Périgourdine d’origine, elle est partie à Pau après ses études, « et je suis revenue en suivant mon conjoint pour son internat à Périgueux. »
Un espace libre pour un quatrième dentiste
Contrairement à ce que l’une ou l’autre a pu vivre dans de grandes villes où une concurrence s’exerce entre praticiens, la pression est ici inverse du fait de patients en recherche de dentiste comme de généraliste. Cette tension peut être un frein à l’installation de professionnels en milieu rural, inquiets d’être submergés par les demandes. « Nous sommes nous-mêmes patientes et mesurons les délais chez des spécialistes. Nous essayons de trouver des solutions, de gérer avec humanité le flux des urgences et des nouveaux patients. Nous avons pris le parti de rester ouvertes à de nouveaux venus, nous sommes d’accord là-dessus et le gérons ensemble. Ce n’est jamais un non définitif, nous fixons des rendez-vous lointains et rappelons selon les possibilités et les urgences. »
Elles n’excluent d’ailleurs pas de renforcer leur association puisqu’un cabinet est disponible dans cette perspective. Un confrère venu en remplacement cet été s’est installé à Vergt, il n’était pas de la région et a choisi le Périgord, où il a terminé ses études à l’hôpital de Périgueux. Les remplacements constituent donc une porte d’entrée essentielle. Celle qui conduira peut-être jusqu’à Atur le ou la future associée, qui devra cultiver la même philosophie de travail et de vie : des valeurs humaines, d’écoute et de communication, qui relient déjà ces trois personnalités très différentes, unies dans une même vision de leur métier.
* Le Syndicat Femmes Chirurgiens-Dentistes ne féminise pas le terme
La solution du collectif
Pour attirer de nouveaux professionnels en Dordogne, et en milieu rural en particulier, les trois chirurgiens dentistes mettent en avant l’importance d’une approche solidaire et groupée, pour ne pas être submergés par une patientèle en demande. « De jeunes confrères se sont installés de manière isolée, au risque de craquer, constate Charlotte Costa. Ici, nous cultivons notre indépendance dans notre salle de soins, très personnalisée, mais nous œuvrons dans un esprit commun de travail. On exerce une profession où l’on a appris à fonctionner en autonomie, c’est vraiment important de se grouper, même si ce n’est pas dans une maison médicale, juste pour parler 5 mn en cas de passage à vide. » Les dentistes ont souvent du mal à intégrer une maison médicale, car il faut concevoir très en amont d’importants travaux, très techniques, avec des labyrinthes de tuyaux. « Nous avons beaucoup plus de charges et besoin de place. »