À l’orée du bourg de Saint-Front-la-Rivière, sur le site du PNR Périgord Limousin, non loin du cours de la Dronne, le site a poussé et s’est développé à partir de 1960, en témoigne l’architecture à dôme béton du premier bâtiment. Et si l’on parle plus souvent de vestiges préhistoriques en Périgord que d’archéologie industrielle, il y a matière à tirer le fil du temps ici aussi, pour renouer avec un savoir-faire (lire ci-dessous). Après la fin de l’activité, en 2003, et des années de sommeil forcé durant lesquelles il devient objet de curiosité pour des visites parfois indélicates, mais souvent artistiques ou pour un parcours skate improvisé, le site compte depuis un arrêté préfectoral de 2015 parmi les installations classées pour la protection de l’environnement. Le combat de la commune pour l’acquérir afin d’empêcher qu’il ne périclite davantage a alors abouti, avec un objectif de remise en état pour que ces bâtiments revivent.
À ce stade d’une partie remportée pour 40 000 euros auprès d’un mandataire qui plaçait la barre financière à 210 000, sur fond de mise en sécurité nécessaire, Francis Guinot, maire de Saint-Front-la-Rivière, passe le relais à la Communauté de communes Périgord-Nontronnais, qui vient de prendre la compétence économique : la mairie transfère le site pour l’euro symbolique. Le temps qu’elle a eu à s’en occuper, la municipalité a prêté le site à Erdf qui y a effectué des exercices — ce qui a permis d’obtenir l’électricité assez vite — puis au Service départemental d’incendie et de secours pour l’entraînement des pompiers à des manœuvres en milieu industriel.
Déjà quatre artisans installés
Des professionnels susceptibles de s’y installer mettent les élus sur la voie d’un village d’artisans, organisation qui peut recevoir le soutien du Département, et la reconversion de la friche s’organise alors, avec aussi l’aide de l’État. La Communauté se chargé d’aller chercher des subventions pour céder la portion de bâtiment, rénovée à la mesure des besoins de son futur occupant, dans l’esprit d’une vente à terme : l’avantage pour l’artisan est d’être aussitôt propriétaire, tout en versant un loyer équivalent au remboursement d’emprunt de la collectivité, qui s’allège dans de bonnes conditions d’une partie du foncier. Le dossier suivi par Delphine Bernard, responsable de l’économie, représente un investissement de 400 000 euros, qui a bénéficié de près de 60 % de subventions, sur deux ans. « L’emprunt réalisé par la collectivité sur la partie autofinancement, c’est ce nous paie l’acquéreur en loyer : une opération blanche pour nous », souligne-t-elle.
Un atelier de découpe laser a pris place, créé par un enfant du pays qui avait à cœur, en quittant son poste de cadre, de lier son entreprise à ce site historique. « Je voulais trouver le bon endroit, avec une possibilité d’extension, pour ne pas avoir à me déplacer ensuite, explique Thomas Dupont. Ce local bien réaménagé, accessible entre Périgueux, Limoges et Angoulême, est pourtant perdu dans la campagne. » Son voisin carrossier s’est délocalisé pour se développer sur cet axe de circulation, dans des locaux assez spacieux pour organiser ses étapes de préparation. « Difficile de trouver l’équivalent, et on a été bien accompagnés pour l’acquisition et les travaux. » Une aile extérieure couverte permet de ranger les véhicules à l’abri de la vue, dans le respect de l’environnement.
Un maçon a créé ici son activité et un atelier d’affutage est né de l’association de deux porteurs de projet : 700 m2 viennent d’être rénovés par la Comcom, partie bureau et atelier, en gardant quelques fresques de graff intactes, par choix des occupants. « L’idée est aussi de former une communauté et que ces professionnels s’apportent mutuellement, y compris des marchés », poursuit Gérard Savoye, président de la Comcom.
Cercle vertueux
Tous ont été trouvés et installés sur la base d’un réseau local de connaissances, “en circuit court” en quelque sorte. Les opérations vont se poursuivre en s’ouvrant plus largement. Il reste 100 m2 dans cette partie et il est confiant dans l’arrivée prochaine d’un entrepreneur de Carcassonne qui réalise des roulottes habitables fixes et des meubles médiévaux. Il occuperait le bâtiment au dôme béton, qui nécessite d’importants travaux mais offrirait un espace d’exposition idéal. « Nous ne sommes pas inquiets quant à la pérennité du site, mais nous devons étirer sa valorisation dans le temps pour assurer les emprunts. » La Communauté a pour objectif de renouveler ce type d’opération près de Nontron, sur l’ancien bâtiment Chausson, pour aider les artisans à rester sur le territoire. « Le pire est de laisser un site à l’abandon, cela laisse penser qu’il ne vaut rien alors qu’un potentiel existe. Les premiers résultats sont encourageants, l’entreprise de découpe laser a beaucoup de travail et a même prévu une capacité d’agrandissement. » Et pour la partie à étages qui accueillait les bureaux de La Baguette de Bois, pourquoi ne pas imaginer un espace de coworking et salles de réunion pour les néo télétravailleurs ruraux ? « La collectivité pourrait l’envisager, mais il faut vraiment une demande portée par des intéressés. »
En attendant, elle a prévu d’aménager les abords et la voirie sur le périmètre. Elle reste en relation avec quelques grapheurs qui avaient investi les lieux pour envisager une valorisation du cyclone de traitement des poussières qui domine cet ensemble et marque son histoire industrielle. « La fermeture de l’entreprise avait créé un traumatisme, les habitants apprécient la dynamique actuelle de transformation », conclut Gérard Savoye.
De l’usine à la friche…
Le savoir-faire rattaché à ce lieu est évoqué par Florian Grollimund, chargé de mission Inventaire du patrimoine au Parc Naturel Régional Périgord-Limousin dans l’ouvrage coécrit avec Jean-François Vignaud, membre de l’Institut d’études occitanes en Limousin et Jérôme Decoux, chargé d’études du patrimoine industriel (service du patrimoine et de l’Inventaire) à la Région Nouvelle-Aquitaine, publié aux éditions Le festin, “PNR Périgord-Limousin : patrimoine industriel et artisanal”. Le site était une annexe de La Baguette de Bois, une institution parisienne centenaire, connue du milieu artistique, notamment la salle des ventes Drouot, et des musées, dont Le Louvre, pour sa production de cadres. Son dirigeant avait eu un coup de cœur pour le château, situé un peu plus haut, et avait choisi d’établir une unité de fabrication à côté. Durant 40 ans, l’usine périgourdine a fabriqué toutes les formes et couleurs de baguettes qui soulignent les œuvres. Avant de péricliter et devenir elle-même un chef-d’œuvre en péril, puis une friche ouverte aux intrusions parfois artistiques après la liquidation judiciaire de 2003. Elle a même servi de cadre à un défilé de mode en 2018. « Le site est depuis peu en cours de réhabilitation pour accueillir des artisans. Ce nouveau destin répond en partie aux questions que soulève le patrimoine industriel sans activité et l’intérêt d’en préserver l’enveloppe architecturale. Ici, une vaste halle en béton armé de 1100 m2 est à découvrir » : c’était l’invitation lancée pour les Journées du Patrimoine 2020 par Florian Grollimund et le PNR.