Le village des Eyzies, en bordure de la rivière Vézère, surplombé de falaises biscornues, est souvent désigné comme capitale mondiale de la Préhistoire. C’est grâce à une découverte faite ici il y a plus de 150 ans, au lieu-dit Cro-Magnon, qu’un site local situé près de la gare a été associé à notre espèce humaine actuelle, également appelée homo sapiens ou homme anatomiquement moderne. Ce drôle de nom viendrait d’un coin de falaise trouée (en occitan “lou cros”, un creux, une fosse), Magnon pouvant être le nom d’un ancien propriétaire du lieu.
Drôle de nom et notoriété mondiale
Lors de travaux suivis de fouilles, en 1878, des squelettes dont celui d’un homme presque complet ont été trouvés à plus de quatre mètres de profondeur mélangés à des ossements d’animaux disparus comme le mammouth ou le renne. Leur ancienneté était donc attestée et leur similitude avec notre anatomie actuelle le qualifiaient comme notre ancêtre direct. Le nom du lieu fut donc donné à nos lointains parents dans les publications savantes puis dans la grande presse et même dans des chansons populaires. Cro-Magnon est devenu un nom mondialement connu, comme a pu l’être celui de Neanderthal en Allemagne, vallée où avait été identifié en 1856 le spécimen d’un lointain cousin d’une espèce humaine éteinte.
Une relance des études
Aux Eyzies, lors de la découverte, le géologue Louis Lartet, fils du paléontologue Édouard Lartet, identifia rapidement une sépulture. Ses relevés sont encore précieux aujourd’hui pour comprendre ce site qui avait été largement dégagé. L’abri de Cro-Magnon, longtemps négligé et ouvert à tous les vents, à peine repéré par une plaque souvenir de la découverte par l’entrepreneur local François Berthoumeyrou, est devenu depuis 2014 un musée et centre d’interprétation pédagogique. Jean-Max Touron, entrepreneur touristique de la vallée (voir plus loin), a remis en valeur ce site en achetant tous les terrains concernés, dispersés entre plusieurs propriétaires. Son action a également permis de relancer les études archéologiques.
« Depuis 1909, il n’y avait pas eu de recherches sur le site », explique Estelle Bougard, sa responsable scientifique. Docteure en Préhistoire, chercheuse associée au Muséum national d’Histoire naturelle et employée au Musée national de Préhistoire voisin, elle a suivi de près les aménagements, mené quelques fouilles et des recherches à partir de 2012.
Des peintures rouges sur l’abri
« Nous avons bien identifié des traces de pigment rouge sur les parois de l’abri, à l’emplacement où devaient se trouver les squelettes, selon les dessins de Lartet.» Grâce à des relevés photographiques très pointus et au prélèvement de particules d’ocre rouge, Estelle Bougard est en mesure de prouver qu’il s’agit bien de peintures conservées dans de la calcite. La forme d’un bouquetin a été identifiée ainsi que des tracés de doigts. « On doit avoir là l’une des plus vieilles sépultures connues du sud-ouest de la France et leur association avec des peintures pariétales. » Les corps avaient dû être déposés sous l’abri qui était alors très réduit. La chercheuse étudie aussi les traces d’ocres sur les coquillages enterrés avec les squelettes. Des vestiges dispersés dans de nombreuses collections à travers la France et le monde.
Depuis quelques années, de nombreuses études ont été relancées sur Cro-Magnon par des chercheurs, comme celles de Gilles Delluc sur les pathologies visibles sur les ossements ou celles de Dominique Henry-Gambier, puis Adrien Thibeault et Sébastien Villotte sur les squelettes. La ré-étude des vestiges conservés au Musée de l’Homme à Paris a permis d’identifier un homme âgé et une femme, ainsi que deux autres hommes et quatre nouveaux-nés.
La datation revue à 32 000 ans
Leur datation, aujourd’hui en données calibrées, est d’environ 32 000 ans avant aujourd’hui selon les normes des préhistoriens (soit 30 000 ans avant Jésus-Christ). Cro-Magnon a un peu rajeuni par rapport aux études plus anciennes, et appartenait donc à la culture du Gravettien et non à celle d’Aurignacien.
Cro-Magnon nous ressemblait. Il était même plus grand et plus athlétique que nous. Son aspect n’avait rien à voir avec celui de l’homme primitif : la statue de Paul Dardé qui domine la vallée depuis le musée de Préhistoire représente un néandertalien. Il faut entrer dans le musée pour voir la reproduction de Cro-Magnon réalisée par Élisabeth Daynès. C’était un bel homme et on sait que son sens artistique était déjà développé. Il a, depuis, conquis toute la planète.
Le site bientôt vendu à l’État
Jean-Max Touron, amateur et connaisseur du patrimoine préhistorique du Périgord, avait acheté à partir de 2011 sept terrains appartenant à des propriétaires différents pour mettre en valeur et exploiter le site de Cro-Magnon. Le site avec son abri, son petit musée et sa balade ludique en haut de la falaise attire environ 20 000 visiteurs par an. En 2023, Jean-Max Touron a décidé de le mettre en vente, ainsi que la grotte du Sorcier à Saint-Cirq, sous réserve qu’ils restent ouverts à la visite. Tous ses autres sites, dont la Roque-Saint-Christophe restent dans sa famille qui assure leur gestion.
Cette vente concernant deux sites classés par l’Unesco dans la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité (avec Lascaux et d’autres grottes de la vallée de la Vézère), l’État se devait d’être intéressé. Ce qu’avait confirmé le préfet de la Dordogne. Les négociations ont pris quelques mois et devraient se concrétiser à la rentrée 2024. La gestion sera alors assurée par le Centre des monuments nationaux (qui s’occupe des visites des sites patrimoniaux de l’État), qui a une antenne périgordine aux Eyzies.