La petite route qui conduit au château en décrochant de l’axe très fréquenté Sarlat-Les Eyzies serpente dans la campagne du Périgord noir et plonge dans la fraîcheur des sous-bois avant l’apparition de ce vaisseau minéral amarré dans la vallée des Beunes, sorti de la gangue végétale qui l’étouffait depuis quatre siècles.
Commarque, c’est une histoire de famille tracée au plus loin d’une noble lignée. Le site du XIIe s’est transformé au fil du temps en « vaste colloc de seigneurs » avant d’être abandonné au XVIe et utilisé comme carrière de pierres au XIXe. Aude de Commarque et son frère Jean ont pris le relai de leurs parents qui ont mené un travail titanesque depuis 1972 « de consolidation, de fouilles archéologiques, de recherches dans les archives. »
Mythe de Sisyphe
Leurs souvenirs d’enfance ont beaucoup à voir avec ce lieu qui les privait de la présence de leurs parents. « Un chantier permanent, accidenté, on y accédait par le haut, un harnais autour de la taille. » De ce vaste terrain de jeux pour l’imagination d’une enfant, Aude voyait surtout les coulisses. « C’était le mythe de Sisyphe, un travail toujours recommencé : je savais qu’un jour, ce serait à nous de prendre la relève. »
L’idée d’une ouverture au public de ce jardin secret, connu d’une poignée d’initiés, a grandi au fur et à mesure que le joyau s’extirpait de sa falaise, un projet « tout à fait expérimental, pour un site enchâssé dans son cadre naturel » qui répond aux normes d’un Établissement recevant du public tout en gagnant le pari « d’installations réversibles qui s’enlèvent en 72 heures ». Ouvert en 2000, le site est maintenant géré en direct, depuis le retour au pays de Jean et Aude. Quand leur père a rencontré des soucis de santé, la famille a étudié toutes les solutions possibles, « y compris une offre chinoise pour racheter Commarque, le château… et le nom ». Inconcevable.
Transmission et passion
Aude, qui travaillait pour une association de promotion des cultures du monde dans l’est de la France, après un détour par une galerie d’art, décide de se former en Économie de l’art pour renforcer ses compétences de médiation culturelle tandis que son frère lâche son poste dans une entreprise de publicité à Paris. Elle effectue ses stages à Commarque, passe par tous les postes, caisse, stock, visites guidées et, sans permis ni voiture, loge dans une tente sur place. « Ça ne se voit pas au premier coup d’œil mais j’ai un ADN assez roots » sourit-elle. Pour prendre véritablement ses marques, savoir si ce lieu l’accepte, elle passe une semaine seule dans l’abri troglodytique. En ressort avec une conviction : « Je ne suis que la gardienne de Commarque, c’est notre histoire à tous ».
Portes d’entrée multiples
Et elle fourmille d’idées pour la partager. Avec des ateliers de géométrie médiévale, de sculpture sur pierre, de tir à l’arc dans la prairie, de blasons et armoiries, de tracé pariétal, de calligraphie, de généalogie, pour sortir les plus jeunes de leurs écrans et enrichir la visite. Histoire, sport, développement durable : les portes d’entrée sont nombreuses vers ce lieu qui revit et s’est ouvert à des expériences chères aux touristes : enterrement de vie de garçon (ou fille), séminaires team-building, descente en rappel du donjon, escape game, murder party, exposition dans la grotte… et l’audioguide a reçu en inoubliable cadeau la voix de Guillaume Gallienne. « On peut développer des tas de propositions, des soirées historiques, des dîners-lumière dans les troglos, des spectacles costumés, des départs en montgolfière, des feux de la Saint-Jean dans un esprit païen d’hommage à la nature que j’affectionne. »
La vallée de la grande Beune, qui s’étend au pied du château, est en effet classée Natura 2000. Située au cœur de la Réserve Unesco Homme et Biosphère, au sein d’un périmètre labellisé Grand Site de France depuis février 2020, elle accueille un parcours d’interprétation qui reflète la richesse de sa biodiversité. « On a la chance d’avoir un site assez vaste pour accueillir des visiteurs sans rien dénaturer. »
Poursuivre les travaux
Aude attend avec impatience la publication d’une étude scientifique sur les 40 ans de réalisation qui croisera enfin fouilles archéologiques et recherches historiques, pour « une photo générale de situation ». Son rêve serait d’être accompagnée par un conseil scientifique pour les thèmes de recherche et le programme de restauration. « Il y a encore beaucoup à fouiller et à révéler sur le site. Et des urgences à réparer le bâti, la toiture en lauzes de la chapelle, le donjon. »
Nuits magiques
La première saison des Mystères et lumières au château de Commarque, tous les mercredis jusqu’au 23 août, remporte déjà un vif succès : la soirée dans la douceur du vallon de la Beune s’ouvre à partir de 19h30 avec un marché artisanal qui réunit des producteurs locaux pour un moment convivial autour de food-trucks, jeux en bois et animation musicale. Au crépuscule, le château s’illumine et les visiteurs suivent un parcours scénographié et coloré à flanc de falaise, avec des étapes d’animation, en écoutant l’épopée du chevalier Géraud de Commarque, au XIIe siècle, à Jérusalem, teintée de légendes autour du temple de Salomon, à la rencontre du grand mage d’Orient, à l’érudition puissante et d’un trésor protégé par la Guilde éternelle, de bâtisseurs à l’œuvre à l’abri des forces malveillantes du mage noir. Le visiteur d’un soir fait un vœu aux abords de la chapelle, devant la fée Murmurée, croise la silhouette du KraK des Chevaliers au temps des Hospitaliers, et l’esprit libre de la source, Séléna, gardienne de la vallée : ce voyage est couronné par un feu d’artifice sur ce vaisseau de pierre, et l’assurance qu’à cœur vaillant rien n’est impossible. La belle histoire a traversé le temps à travers le QR code pour envelopper chacun, suivant le conte sur son smartphone. Reste à regagner la réalité en remontant à travers bois jusqu’à son véhicule.
Commarque, de bas en haut
Au millefeuille historique de ce site avec abri magdalénien, castrum, chapelle, donjons, cluzeau et habitat troglodytique médiéval coïncident autant de complexités administratives. Avec pour première marche du sauvetage son classement en 1943. Loin des premières cartes postales d’une forteresse émergeant d’un océan végétal, coin secret des amoureux et des fêtards, puis de bataillons de fouilles et de travaux à partir de son rachat en 1972, Commarque a su conserver une beauté sauvage tout en attirant les visiteurs qui y cheminent de bas en haut, du village mis au jour jusqu’au sommet de la tour : premier prix Chef d’œuvre en péril en 1987, Grand Trophée de la plus belle restauration de France en 2018, il est couronné de trois étoiles par le guide vert Michelin depuis 2020.
Inspiration
Commarque inspire les artistes. Le tournage du premier film de Ridley Scott, Les Duellistes, est passé par là dès 1977, ou encore Les bois noirs (1989), avec Béatrice Dalle, sans oublier le clip d’Era (2010) et tout récemment, la scène finale de la série Fortune de France d’après Robert Merle : juste retour d’une œuvre puisque l’auteur de cette fresque historique vivait tout près de là et y avait placé l’intrigue de Malevil. Mais la chanson de geste de 30 000 vers écrite par des troubadours et retrouvée dans les archives familiales reste la plus belle œuvre qui lui soit attachée.
Des chiffres et des dates
- 1915 : découverte et étude de la grotte par l’Abbé Breuil (classée en 1924)
- 60 mètres de galeries et 150 gravures (connues) dans la Grotte préhistorique (expo visite 3D élaborée avec le Centre national de Préhistoire)
- 80 mètres : hauteur du donjon depuis la vallée (373 marches)
Vallée de la sculpture
« Cette petite portion de vallée évoque un atelier de sculpture du Magdalénien : c’est vraiment d’intérêt national. Nous sommes en train de monter un projet collectif de recherche avec des équipes pluridisciplinaire. Dans cette vallée mondiale de la sculpture, des strates remontent à 100 000 ans. Cap blanc et sa frise de chevaux sculptés, le bison de la Grèze, les Vénus de Laussel datées de 35 000 ans et, bien sûr, le grand cheval grandeur nature de la Grotte de Commarque, l’une des rares grottes profondes sculptées. »