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Cet obscur objet du dessin

Le maire de la commune déléguée de Saint-Laurent-sur-Manoire, Jean-Pierre Passerieux, a accueilli l'artiste lors du vernissage, fréquenté notamment par des artistes et galeristes locaux ©SBT
ARTS PLASTIQUES. Inna Maaímura expose un univers que la noirceur des temps nous pousse à trouver plus sombre qu'il n'est. Car il se pourrait que ce voyage au bout de la nuit conduise à la lumière. L'artiste s'attache à "semer des mots entre la parole et la peinture qui cherche à s'exprimer".

Ce Périgourdin inspiré et sans frontières se présente sous un nom d’artiste qui invite déjà à un ailleurs, une étrangeté. Avant de manier les matières, textures, encres et peintures qui habillent ses concepts sur la toile, il explore les mots et les sons de langues oubliées pour les faire vivre en graphie dans ses peintures et dessins. Même si l’essentiel de son travail repose davantage sur des installations in situ qui lui permettent de dialoguer avec l’espace d’accueil, « d’ailleurs il n’y a pas de bonne exposition qui ne soit pas « un rapport à »… il y a ce qu’on fait et son environnement. L’accrochage, le rapport au lieu, font partie de l’œuvre et participent de sa réception ».

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Artiste tout terrain

Séduit par la galerie BIM’Art, il dit avoir été « stupéfait par la qualité des salles lors d’une précédente visite d’exposition, par le travail sur la lumière, suffisamment rare pour être souligné ». Inna Maaímura occupe cet espace dédié même s’il se présente — comme beaucoup d’artistes — avec une capacité d’adaptation tout terrain car il aime « aussi exposer dans des églises abandonnées, des séchoirs à tabac, dans des champs… »

« La langue de la poésie, c’est toujours une langue morte » comme dit le philosophe Giorgio Agamben

Dans l’enfilade de salles, le visiteur remarque d’emblée que le travail de l’artiste « tourne et retourne » autour de la question de l’obscurité, « explorée dans toute sa polysémie, ça ne veut pas forcément dire la noirceur absolue, il peut s’agir de la lumière la plus éclatante, la lumière de la raison triomphante qui croit dominer le monde… et on voit à quel point on en est là aujourd’hui. » Avec bien des déclinaisons possibles. « La toute lumière est l’une des modalités de l’obscurité ; elle est parfois aveuglante et c’est alors une autre obscurité…»

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Généalogie d’une œuvre

Une série de quatre toiles de 2011 prolonge un travail engagé en 2005, qui a conduit l’artiste, avec un collectif, à parcourir Les chemins artistiques de la préhistoire, de Lascaux à Foz Côa, site de gravures paléolithiques à ciel ouvert au Portugal (17 km). « La préhistoire est pour moi une autre modalité de l’obscurité, qui s’efface et s’estompe avec le temps…» Traversant le Pays basque, déjà imprégné de sa langue et de sa culture, Inna Maaímura s’est attardé sur d’autres parois, celles des murs de pelote, souvent graffités de slogans dont on imagine la portée, et recouverts. « J’ai vu au cœur des villages, sur cette place publique et politique, place de jeu et d’affrontement au sens symbolique, un premier motif d’intérêt ; mais aussi dans ces graffitis recouverts, cet ensemble formant pour moi un motif plastique. »

« Graphe, le mot grec dit bien l’unité, à l’origine c’est un même geste : écrire et dessiner. Ce lien se lit dans ma peinture, c’est un continuum, dans la rature, l’effacement… l’obscurité, c’est tout ce jeu de la disparition.»

L’une des toiles réalisées au retour, baptisée du nom d’une forme de pelote basque signifiant « fête joyeuse », explore le rapport archaïque et sacrificiel entre fête, sport et art. Il y est question « du jeu de dialogue entre la peinture, silencieuse par nature, et le verbe, qui cherche à se dire sur une paroi, et qu’on recouvre. On perçoit les connotations linguistiques et politiques. J’y ai vu un motif abstrait du dialogue entre peinture et parole ». Depuis, la peinture d’Inna Maaímura est liée à l’écriture. Des mots traversent son œuvre, dont deux pièces présentées sont issues de la série « Recouvrement de la parole ». Parfaitement recouverte, elle n’est plus que peinture… tandis que demeurent la mémoire et la langue. « Une forme d’obscurité. L’obscurité est une lumière qui s’éloigne toujours de nous. »

Le mot intéresse Inna Maaímura autant comme signe graphique que comme son, à la fois plastique du mot et poétique des langues “majeures, mineures, minorées, oubliées, effacées, mortes”… En témoigne son nom d’emprunt.

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Avec Catherine Aerts, qui accueillera bientôt l’artiste pour un projet à la galerie 66, à Périgueux ©SBT

Jusqu’au 5 novembre

Galerie BIM’Art, château de Saint-Laurent-sur-Manoire (premier étage) à Boulazac-Isle-Manoire. Du lundi au vendredi (9h-12h et 14h-17h30), mercredi : 14h-17h30. Samedi et dimanche : 14h – 18h ou sur RV 06 78 69 50 84. Entrée libre et gratuite.
Mise en perspective… ©SBT