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Ce qu’être rural veut dire

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TÉMOIGNAGES. Un livre interroge des femmes et des hommes qui vivent à la campagne. Le fait d’y être né, d’y rester et d’y travailler conditionne d’autres choix, comme celui de se tenir en retrait d’un certain mode de vie urbain faisant figure de norme aujourd’hui. L’essai “Loin de Paris”, sous-titré “Raconter les territoires”, nous fait réfléchir à ce qu’implique ne pas vivre en ville. Parmi les auteurs, la libraire de Bergerac Caroline Dieny.

Quand on parle de ruralité, une question se pose d’emblée : faut-il mettre un “s” à ruralité ? ; tant le pluriel s’impose quand on parle des campagnes françaises et de leur grande diversité.

Félix Assouly, l’un des créateurs de l’association Rura, tient beaucoup au singulier : « La ruralité est marquée par une communauté de destins. Prenez un facteur qui travaille en milieu rural, son quotidien se rapprochera plus de celui d’un collègue de n’importe quel autre territoire rural que d’un facteur parisien.»

C’est à la librairie bergeracoise “La Colline aux livres”, jeudi 16 janvier, que Félix Assouly est venu présenter le livre écrit par un collectif d’auteurs pour évoquer cette ruralité qu’ils ont en partage. Félix, lui, est parisien, mais il est sensible au phénomène d’inégalité des chances selon son lieu de naissance et de vie. Il a ainsi participé à l’émergence de l’association Rura pour lutter contre cette inégalité d’origine (lire ci-après). Le livre “Loin de Paris” est une des initiatives de Rura pour incarner la ruralité en donnant la parole à des gens qui sont nés et habitent en province.

Les clichés de la ruralité

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Avec Salomé Berlioux, fondatrice et directrice générale de Rura, Félix Assouly a créé la collection “Raconter les territoires”, en partenariat avec les Éditions de l’aube, pour donner une représentation plus juste de la ruralité. « Depuis Paris, quand on pense campagne, on pense agriculture. Or les agriculteurs ne représentent que 6 % des actifs des zones rurales. Que fait-on des 94 % de la population restante ? C’est un impensé ! »

Pire, ruralité se résumerait pour beaucoup à l’émission populaire “L’amour est dans le pré” : c’est dire si la fracture territoriale est profonde.

Alors pour lutter contre les clichés, Félix Assouly et Salomé Berlioux ont cherché à faire témoigner des personnalités médiatiques pour qu’elles évoquent leurs origines rurales. Ont été sollicités l’astronaute Thomas Pesquet, l’écrivaine militante Camille Étienne, le footballeur Michel Platini, l’entraîneur Didier Deschamps, la journaliste Élise Lucet et bien d’autres, issus du monde rural ; mais ils ont refusé, ne se sentant pas légitimes à parler de territoires qu’ils avaient quittés.

Alors décision a été prise de trouver des personnes qui, par leur métier, leur expérience, leur analyse reflèteraient la ruralité et apporteraient une analyse pertinente.

Retour d’expérience

Dans le livre témoignent donc des gens en capacité de proposer un retour d’expérience, comme des sociologues et politologues, mais aussi des personnes dont le métier incarne la vie à la campagne.

Ainsi, Marie-Christine, factrice en Martinique, évoque le rôle indispensable des services publics pour lutter contre la désertification des campagnes. On lira aussi le témoignage d’un médecin de la Creuse, métier en voie de disparition dans ce département comme ailleurs. Bien d’autres témoignages apportent un éclairage complet sur ce qu’implique de vivre loin des villes, comment faire société dans un département à faible densité de population. La place des femmes en rural, celle des jeunes, le rôle du lien social, l’importance de la culture et le caractère nécessaire de la voiture individuelle sont évoqués par celles et ceux qui vivent cela au quotidien.

« Être libraire en rural : une chance »

Parmi les grands témoins du livre, on trouve Caroline Dieny, libraire à Bergerac à “La Colline aux livres”. Originaire de la Nièvre, Caroline a d’abord ouvert une librairie à Paris. « Avec Baptiste Gros, on a voulu quitter Paris, et revivre ce que j’avais vécu petite à la campagne. » Quand le couple a posé ses valise à Bergerac, il y a 7 ans, ils ont vite compris qu’il fallait concevoir le métier autrement qu’à la capitale. « C’est une tout autre façon d’être libraire. Ici, il n’y a pas d’anonymat, on connaît les clients, on choisit nos livres en pensant aux Bergeracois, à ce qui leur correspond. C’est une chance d’être libraires en rural.»

Derrière la façade touristique, une ruralité à vivre à l’année © SBT

Caroline et Baptiste veillent à créer des réseaux, des ponts entre les gens. Ils font venir des auteurs reconnus : « c’est comme un cadeau qu’on fait aux habitants ». Un problème cependant s’est posé très vite : celui des transports. Pas simple de faire venir un auteur parisien jusqu’à Bergerac ! Même Caroline a dû passer son permis en s’installant à Bergerac. La ruralité, ça oblige à avoir une voiture !

Communauté de destins

Alors est-ce une chance ou un handicap de vivre éloignés des villes ? L’assistance nombreuse venue assister à la soirée dans la petite librairie est assez divisée sur la question. Certes, il y a une qualité de vie à la campagne qu’on ne retrouve pas en ville, en atteste le nombre de néoruraux venus s’installer par choix en Dordogne, mais tout n’est pas rose pour autant.

«Quand les jeunes partent faire leurs études ailleurs, ils ne reviennent pas », se désole un des auditeurs. « Encore faut-il qu’ils aient le choix de pouvoir partir », renchérit Félix Assouly. Les chiffres attestent que les urbains ont plus de possibilité de faire le longues études que les ruraux. Les coûts de l’hébergement, des transports… joueraient. Mais aussi un déficit d’informations sur les orientations, préjudiciable aux jeunes du monde rural.

Se reconnaître comme rural et revendiquer une communauté de destins permettrait d’exiger une meilleure prise en compte des spécificités de la ruralité et peut-être de faire émerger des solutions à ses problèmes.

•  “Loin de Paris”, collection “Raconter les territoires” créée par Salomé Berlioux et Félix Assouly, Éditions de l’Aube, 2025, 228 pages, 21 euros.

Rura, l’association qui milite contre l’inégalité des chances

Un tiers de la jeunesse française vit en milieu rural. Quand on ajoute ceux qui vivent dans de petites villes de province, c’est 60 % des moins de 20 ans qui peuvent se revendiquer comme ruraux. Et pourtant le monde semble être fait pour les urbains. « Prenez le Pass culture, il permet à des jeunes d’aller gratuitement au théâtre, à l’opéra… et où sont les grandes salles de spectacle selon vous ? En ville, bien sûr », remarque Félix Assouly, directeur du plaidoyer de Rura.

Des projets avec et pour les jeunes en ruralité ? Ici l’annonce du futur Sîlot © Grand Périgueux

Selon lui, pour que le jeune rural consomme de la culture, il faut l’aider à se déplacer vers les lieux où elle est diffusée, il faut l’amener à découvrir la diversité de l’offre culturelle aussi. « Sinon, il consommera de la culture à distance, via un abonnement Netflix. »

À ce jour, Rura a accompagné 13 000 jeunes issus de la ruralité dans leur choix de vie et d’orientation. Avec ses 50 salariés (pour 4 M€ de budget), l’association mène aussi des actions de lobbying auprès des élus pour que les politiques publiques prennent davantage en compte les spécificités de la ruralité et adaptent les dispositifs et les soutiens en conséquence.