Ils se sont rencontrés à distance, en 2017, au détour d’une remise en question de leur trajectoire professionnelle, Nadège Gomila à Madrid et Paul-Guillaume Fraysse à Lille. Le Périgord les réunit à mi-chemin : c’est la terre qu’ils ont choisie pour mener à bien le projet qu’ils ont mûri ensemble, qui est aussi un projet de vie, au-delà du bilan de compétences partagé par la chargée du développement chez Hermès pour l’Europe du Sud (après Sciences Po, Guerlain à Paris et Givenchy en Australie) et le cadre commercial à l’international chez Auchan. Une parenthèse de formation plus tard, la voilà munie d’un sésame de coach et lui d’un CAP cuisine, histoire d’offrir un supplément de sens à la quête de sens qui a conduit à l’éclosion de Bloomencia… avec un temps d’avance sur la crise sanitaire et la remise en question qu’elle a suscité chez de nombreux actifs. À partir de leur propre parcours, comme en éclaireurs, ils ont conçu les outils, la méthodologie et le programme qui donnent les moyens à chacun de concevoir SA reconversion.
Ancrage local pour tous horizons
Ils ont choisi de s’installer à Périgueux en juillet 2019 et se sont lancés dans le cadre de l’incubateur H24, avec le soutien de Périgord Développement. Ils pilotent une activité qui tient à la fois de la startup, avec un socle digital qui leur vaut d’intégrer la French Tech Périgord Valley, et de l’intérêt pour le capital humain qui illumine leur nouvelle destinée. Le Périgord est un cadre d’activité, il n’aurait pu suffire à lui-seul : la piste d’une maison d’hôtes, un temps explorée, manquait d’une dimension « transformation personnelle » et accompagnement humain dans lesquels Nadège voyait son nouvel épanouissement. Quant à Paul-Guillaume, il aime accueillir avec le double sens du mot cuisiner, partager les produits issus des circuits courts alentours et pousser chaque stagiaire à trouver en lui-même le meilleur de ce qu’il vient chercher.
S’extraire du quotidien
La semaine locale du programme établi sur trois mois se déroule dans le cadre chaleureux d’un manoir à 2 h de la sortie du TGV où ils les cueillent les stagiaires, à Angoulême, le samedi matin. Cette immersion tient à la fois de la solidarité collective et de l’exploration individuelle, une sorte de douche écossaise vivifiante. Avec un détour par le marché de Périgueux, l’intervention d’un photographe, d’un œnologue, d’une sophrologue, et d’une botaniste, en attendant d’autres possibles contributions.
Cette semaine décisive en Périgord se situe à la charnière d’une première approche de trois semaines d’introspection et d’une phase d’action de huit semaines pour concrétiser un projet, déployer une feuille de route, développer des réseaux et capitaliser sur l’ensemble de la démarche. « Notre singularité tient à ce parcours hybride, un accompagnement à distance et la semaine organisée ici, durant laquelle il se passe des choses fortes », souligne Nadège. Un sas de décompression, voire de déconnexion, avec du temps vraiment à soi découpé en journée de 3 X 8 : sommeil, travail, échanges. Sans perte d’énergie en transport ou intendance, avec une bibliothèque ressource à disposition.
Négocier son virage intérieur
Mûrir une transition se fait souvent depuis son « futur ancien poste » : un début de réflexion pour une mise en mouvement qui peut prendre des années. Sans vouloir imposer leur vécu — parce qu’il ne constitue qu’une parcelle des compétences et de la légitimité de Bloomencia —, Nadège et Paul-Guillaume ont conçu une offre « sur-mesure partagée », du « collectif individualisé » mêlant la force du groupe et l’acuité du face-à-face. Au-delà de la semaine passée ensemble en Périgord et du parcours complet (ateliers, exercices, test de personnalité, modules de contenus, plateforme personnelle en ligne…), les stagiaires gardent le contact entre eux et avec le duo. Ces liens sont appelés à renforcer le réseau dont la trame repose sur la propre expérience des créateurs : s’ils apprécient les précédentes pages d’histoire qui constituent chacun, ils ne reviendraient pas en arrière. Ils sont devenus maîtres d’un temps précieux, celui qui donne du sens à leur entreprise, et ils savourent la liberté de choisir ceux pour et avec lesquels ils travaillent. « C’est un luxe de pouvoir se poser toutes ces questions sur notre mode de fonctionnement, les nôtres et celles de ceux que nous accueillons : nous essayons de les déculpabiliser pour qu’ils repartent avec la sensation d’être acteurs de leur changement.»
Bloomencia ?
C’est un joli raccourci entre une anglo-saxonne floraison et le très spirituel mens latin, déluré par une consonance latino : c’est la proposition d’une “copyrighteuse” freelance qui a enthousiasmé les deux créateurs qui n’arrivaient pas à s’accorder sur un choix. Et l’identité visuelle se lit dans la marque, avec un duo de cerveaux stylisé, appelé à devenir un logo.
Profils de stagiaires
Deux groupes de 8 à 12 stagiaires ont déjà séjourné en Périgord, en avril et mai. Ces premières sessions ont bénéficié de conditions préférentielles car elles ont valeur de test pour des ajustements éventuels ; un investissement sur la durée. Les participants au programme général sont sélectionnés sur des critères précis, quitte à dissuader certains, trop proches d’une situation de burn-out, par exemple.
Les intéressés ont en moyenne 35 à 45 ans, ce sont pour 70 % des femmes, le niveau d’études est de Bac+5 et plus, un profil à 90 % urbain, avec beaucoup de figures atypiques : un médecin souhaitant se réorienter vers la mosaïque, un notaire vers le vrac alimentaire, une juriste avocate tendance podcast… Un cadre chez HSBC a fini par voir l’intérêt à rester en poste mais de façon plus apaisée, en abordant les choses autrement. Des projets d’intrapreneuriat émergent, ou des compositions pour mieux intégrer la vie familiale, le choix de gagner parfois moins pour vivre mieux.
Nombre de cadres supérieurs envisagent un changement pour cause de mal-être, mais sans échéance radicale. Sept stagiaires sur dix sont d’ailleurs encore en poste, les autres en rupture choisie, une infime partie en rupture subie.