Accueil BIEN être Bien dans son assiette : CEPA si compliqué

Bien dans son assiette : CEPA si compliqué

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ALIMENTAIRE, MON CHER ! Ce n’est pas un hasard si cette initiative originale a fleuri en Périgord, modèle vertueux pour l'approvisionnement bio et local des repas servis dans ses collèges : la restauration collective a tout à apprendre du Centre national d’éducation populaire à l’alimentation inauguré cet été à l'ombre de l’abbaye de Cadouin.

Le collectif Les Pieds dans le plat est né en Dordogne il y a une dizaine d’années de la rencontre de cuisiniers et diététicienne soucieux de promouvoir l’alimentation durable en restauration scolaire. Depuis, le mouvement a acquis une envergure nationale, avec 200 professionnels adhérents. « En 2021, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Nourrir l’avenir a vu le jour pour assurer l’opérationnel et répondre aux demandes des collectivités pour des écoles, collèges, lycées, celles des Crous, Ehpad et établissements de santé, et aussi des entreprises privées qui ont une réelle volonté de changer leurs pratiques », rappelle Marine Jobert, coordinatrice nationale de ce collectif parrainé par Olivier Roellinger.

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L’ensemble de la restauration collective —servie aux enfants, aux salariés, aux personnes âgées, malades — est concerné car les problématiques d’approvisionnement sont les mêmes. « En mai 2025, nous allons organiser nos rencontres nationales autour de l’alimentation du grand âge. » C’est lors de précédentes rencontres, organisées à Cadouin en 2022, que Germinal Peiro avait annoncé l’aménagement de la cuisine professionnelle située dans les communs de l’abbaye, propriété du Département : et voilà inauguré le Centre d’éducation populaire à l’alimentation (CEPA), à l’occasion de sa première session, en juillet.

Des principes et des valeurs

Lors d’une séance de confection d’un plat commentée : « utilisez la meilleure des viandes en réduisant la quantité car c’est un peu plus cher ; un poulet bio bien nourri pas loin d’ici, et on complète son bon goût et sa texture avec des légumineuses locales » © SBT

Le Département a investi 500 000 euros pour des travaux réalisés entre décembre 2023 et fin mars. « On l’a fait pour que l’expérience que nous menons en Dordogne depuis 2014 puisse essaimer, assure son président. Pour des raisons de santé, avec des repas sains et équilibrés proposés aux collégiens ; pour des raisons économiques, en faisant travailler les producteurs locaux ; et pour des raisons environnementales et de santé, en sortant des pesticides. »

Révolution délicieuse

Partant de la mise en valeur du potentiel gastronomique périgourdin, aliments et recettes à ranimer dans la mémoire collective, et s’appuyant sur l’exemplarité de ce qui a été mis en œuvre en Dordogne (organisation du passage progressif des collèges du département en repas bio et locaux, de l’accompagnement de la production en amont à celui des cuisiniers dans les établissements en passant par le stockage et la distribution des denrées), l’objectif est d’accueillir dans ce centre pédagogique des chefs de cuisine d’établissements de toute la France. Mais pas seulement, car la volonté d’éducation populaire s’exprime aussi en direction de particuliers soucieux d’apprendre à préparer des repas autrement (pour des raisons de santé, de transition végétarienne…). Les groupes accueillis dans ce cadre patrimonial exceptionnel vont monter en compétences grâce aux binômes cuisinier-diététicien de Nourrir l’avenir, lors de sessions et de modules sur-mesure.

Entendu lors de la session : « Pour 100 kg de poireaux en conventionnel, il en reste 60 après cuisson. En bio, il en faut 80 pour arriver à 60, l’écart de prix est rattrapé sur la cuisson et on n’épluche pas autant en légumerie. On parle bien de frais et cuisiné : ce ratio ne fonctionne pas avec du surgelé ».

Poursuivre une mission globale et complexe

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« Ce positionnement structuré, avec une relation aux producteurs bio et locaux*, relève d’une politique publique engagée, reprend Marine Joubert. En tirant vers le haut par l’exemple, en contribuant à réduire l’usage des pesticides, à protéger la biodiversité. » Tout cela en circuit court : un des chefs présents pour la première session à Cadouin travaille à plus de 80 % sur son territoire périgourdin. « Et on a inauguré l’an dernier la première cantine publique d’Ile-de-France, qui y parvient à 70 %, sans être dans un pays de cocagne comme ici ! »

Cohésion et temps partagé au collège : la séquence d’assaisonnement permet de fédérer une équipe, d’aller à la rencontre des Atsems à la pause ou des jeunes en récréation pour faire goûter.

Autre objectif, dans une région hautement touristique : accueillir des restaurateurs pour partager ces expériences, « ça fait partie des publics visés, bien sûr, car l’agence bio indique que les établissements privés n’utilisent pas plus d’1 % de produits bio ; la marge de progression est colossale ! On va au restaurant pour rechercher aussi une qualité de goût ». Ce n’est qu’un début, « on essaie de transmettre un nouveau rapport à l’alimentation ».

Une utopie concrète

La présidente de Nourrir l’avenir, Isabelle Bretegnier, a rejoint Les Pieds dans le plat en 2017, « en maman indignée par l’offre alimentaire proposée à mes enfants, ce qui m’a conduite à l’action et à un BTS diététique pour comprendre, et agir ». Devenue formatrice, elle a œuvré pour créer la SCIC Nourrir l’avenir. « Nous devons élargir nos accompagnements à destination de la société civile. Nous allons dispenser ici des modules cuisine du quotidien afin que chacun ait les clés pour accéder à une alimentation de qualité, saine et soutenable. »

Sains, durables, éthiques

Ce CEPA est la suite logique du mouvement insufflé par une poignée de courageux, qui en ont rêvé pour que cela devienne réalité. « Les experts de terrain du collectif ont construit un plaidoyer politique de bon sens qu’appliquent nos formateurs au quotidien dans toute la France, dans les Dom-Tom, en Europe, et au Japon pour la 3e fois cet été. Notre cœur de métier est d’accompagner les collectivités au changement systémique de leur restauration collective, laquelle représente 10 millions de repas par jour : c’est une grande actrice de la transition que nous devons mener pour répondre aux enjeux environnementaux, sanitaires, éducatifs, sociaux, territoriaux, économiques et politiques. Nous savons le faire sur le terrain avec des coûts maîtrisés, des externalités positives, une revalorisation des métiers. »

*Le label Écocert entend par « local » un rayon de 100 km.

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« À l’école primaire du Buisson, les cuisinières ont fait un stage au CEPA et tout change ! », assure Marie-Lise Marsat, maire du Buisson-de-Cadouin et vice-présidente du Département

Paroles de transition

La joie dans l’action

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Journaliste généraliste pour RTL pendant six ans, Marine Jobert s’est spécialisée après un master 2 en Droit de l’environnement et a travaillé pour un quotidien en ligne sur les questions d’écologie. « Chroniquer l’effondrement de la biodiversité et voir ma profession aveugle aux véritables enjeux m’est devenu insupportable. » Démission, envie de passer de l’information à l’action, de la théorie à la pratique. Après deux ans dans une association en lutte contre les pesticides, elle obtient un CAP cuisine et consolide les liens de bénévolat déjà noués avec Les Pieds dans le plat. Quand le collectif ouvre un poste de coordination, elle sent que « c’est le moment de m’engager pleinement aux côtés de gens généreux et pleins d’idées, qui agissent contre la crise écologique et sociale ». Pour défendre ce qui peut encore l’être, le faire avec son métier et sa sphère de compétences.

« La promotion du 100 % bio, local, de saison, fait maison est bonne pour le consommateur, elle l’est aussi pour les producteurs »

Les chiffres et les valeurs

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Marie-Rose Ampoulage, qui a animé un établissement touristique réputé du Périgord noir, souligne l’importance de parler d’autonomie alimentaire des territoires, de foncier et d’installation agricole, de valorisation des produits, et de flécher bientôt la restauration commerciale : « c’est une question de cohérence ». C’est par le moulin qu’elle a sauvé en famille à Vézac (20 ans de rénovation depuis l’achat en 1994) et remis en production, et par son travail sur les semences anciennes que la rencontre s’est faite avec le collectif, pour approvisionner en farine les collèges alentours ; elle a d’abord rejoint bénévolement Les Pieds dans le plat avant de devenir responsable administrative et financière de l’association et de la SCIC. « Je suis dans mon élément, je fais mon métier de chiffre dans un espace de valeurs qui me sont chères. » Bien nourrir les jeunes générations tout en assurant un revenu aux acteurs agricoles de proximité : Marie-Rose est attachée à l’ensemble du propos, circuits courts et saisonnalité. « On a tout oublié parce qu’on trouve de tout, tout le temps. L’autonomie alimentaire des territoires invite à travailler ensemble, parler du foncier, de l’installation des agriculteurs, valoriser leur production.» Le papa de Marie-Rose continue de faire tourner le Moulin de l’Évêque chaque jour et accueille des visites pédagogiques.

La force du collectif

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Pierre-Yves Rommelaere, cuisinier dans un collège de l’Aude, à Lézignan-Corbières, s’est investi dans Les Pieds dans le plat voilà bientôt dix ans, guidé par « une volonté de transformer la restauration collective ; ce CEPA de Cadouin est un nouveau levier pour porter cette idée d’évolution et de transition ». Dans son métier de cuisinier du quotidien, on peut dire qu’il agit par engagement militant, pour vivre son travail différemment, « et c’est un bonheur de le redécouvrir, de former des cuisiniers de France et de l’étranger pour revaloriser nos métiers ; la transmission est essentielle : on choisit la cuisine pour partager et faire plaisir, on retrouve ça sur ce site, on apprend du parcours de chacun, on échange des recettes de nos régions, des habitudes culturelles de plats et de légumes anciens, des conseils sur certains produits, par exemple le haricot blanc et le cassoulet pour moi qui viens du sud de la France.» Pierre-Yves Rommelaere voit en Cadouin un futur point d’ancrage, « un lieu bien identifié car la Dordogne l’est déjà pour la volonté politique et l’engagement du Département ».

Semer le savoir

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Indissociable de l’univers de la cuisine et dans une approche patrimoniale, un jardin médiéval a été aménagé par le Pôle Paysages et Espaces Verts du Département à l’arrière des bâtiments conventuels de l’abbaye, pour un maximum d’autonomie et pour expliquer l’histoire des plantes. Thierry Charmarty, directeur du Pôle, dans sa présentation du système en carré où s’inscrivent les plantes aromatiques et médicinales insiste sur la symbolique de l’eau et sur la nécessité, dans l’évolution actuelle du climat, de l’économiser (récupération de celle des toitures pour l’arrosage et fontaine en circuit fermé). Le sol la retient au moyen de paillages et végétaux. La culture du potager est pensée en lien avec les chefs. Le lieu propose une lecture pédagogique, comme c’est déjà le cas au Domaine de Campagne ou à l’espace culturel François Mitterrand, à Périgueux, et dans certains collèges. « Ce qu’on a dans l’assiette, on peut le faire pousser chez soi et apprendre à le cuisiner ici. » Le verger mise sur des fruitiers de conservation, variétés anciennes adaptées au climat avec un travail de greffe.

Auberges de jeunesse, canal historique

Margarita Sola, élue régionale en Charente-Maritime et vice-présidente de la Fédération unie des Auberges de jeunesse (80 sites en France, 1000 dans le monde), « mouvement historique d’éducation populaire né du pacifisme et d’un désir de mixité », a d’emblée trouvé des intérêts communs avec les missions du CEPA, de l’ordre de l’ouverture d’esprit et de la concrétisation d’un projet audacieux, dans la lignée de Néo Terra. Le Département a investi 3,6 M€ entre 1995 et 1997 pour restaurer les bâtiments qui entourent la Cour des convers, partie sud de l’abbaye qui accueille cette offre de tourisme social que vient enrichir le CEPA.

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Volonté politique

Tout a commencé autour de Jean-Marc Mouillac, cuisinier à l’origine de la première cantine 100 % fait maison bio et locale : le président du Département a fait appel à lui pour transformer en profondeur la restauration collective de l’ensemble des collèges, avec la diététicienne Aurélie Mansard, cofondatrice des Pieds dans le plat, laquelle a notamment réalisé un travail de sourcing révélant quelques origines aberrantes de produits servis dans les cantines (petits pois du Nicaragua, cuisses de poulet de Pologne).

Le chef Nicolas Lamstaes, lui aussi membre du collectif, est venu renforcer l’équipe du Département, quittant sans regret son parcours gastronomique étoilé au bénéfice du bien manger des jeunes générations… celles de ses enfants. 17 des 35 collèges seront labellisés bio et local fin 2024. La synergie repérée en Dordogne a permis au collectif d’orienter sa vocation d’éducation populaire vers Cadouin pour ajouter du sens à l’Auberge de Jeunesse et proposer une offre alimentaire cohérente dans ce centre ouvert aux professionnels comme au grand public.

Les formateurs des Pieds dans la plat vont continuer à agir sur le terrain, en interne (cantines, collèges, petites cuisines centrales, Ehpad, crèches) ; certains experts parmi eux interviendront à Cadouin pour mêler théorie et pratique, et pas seulement sur des techniques culinaires : ils interviennent aussi sur les conditions de travail, les relations aux élus, aux parents d’élèves…

• L’ensemble de la démarche est expliquée et analysée dans le livre Plat de Résistance.