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Au nom du fils

© Presses de la Cité
RÉVOLUTION... EN PIRE. Jean-Luc Aubarbier entraîne ses lecteurs, à raison toujours fidèles, dans une fresque historique courant de la période prérévolutionnaire à l'Empire : l'ascension sociale de Corentin Fournier croise la quête de ses origines, de Sarlat à Bordeaux. Avec les Girondins traqués sous la Terreur, contre les esclavagistes. Le droit devant... et quelques détours.

C’est le parcours d’un ambitieux, qui partait mal dans la vie, bâtard et boiteux… et que les événements historiques pré et post révolutionnaires ont poussé vers les cercles de pouvoir, à Bordeaux, et sur les champs de bataille, en Prusse et en Pologne. Tout commence à Sarlat, où le fils illégitime du cabaretier se sent à l’étroit. L’évocation de ce Corentin Fournier résonne bien sûr en Sarladais avec Fournier-Sarlovèse, mais il s’agit de François, général d’Empire (duelliste fameux qui inspira Ridley Scott pour son film, en 1977), dont on suit aussi le parcours dans cet ouvrage.

© D.R.

Jean-Luc Aubarbier lui a inventé un frère, ombre familiale propice à des aventures romanesques qui collent à une époque riche en péripéties. De sa plume élégante, prosaïque lorsqu’il le faut, précise dans les faits et foisonnante dans ce qui caractérise chaque protagoniste, l’auteur déploie une fresque historique sur 600 pages, se laissant emporter, et nous avec, dans ce format qui lui est inhabituel.

Port de la Lune

Sarlat représente tout ce que fuit Corentin, sa condition, l’auberge de ses parents adoptifs, sa mère inconnue qu’il recherchera jusqu’au bout de l’ultime révélation. Il trouve pourtant dans la cité du Périgord noir le premier marchepied vers l’élévation sociale : il accède à l’instruction grâce à l’abbé Lasserre, père spirituel qui lui permettra de côtoyer un baron, qui lui ouvrira la porte de la franc-maçonnerie, et de rencontrer son premier amour, Catherine ; ces deux êtres chers devront faire face au fanatisme révolutionnaire. Mais avant la montée vers ces temps troublés, Corentin, dûment recommandé, aura descendu la Dordogne en gabarre pour rejoindre Margaux et ses vendanges. Puis, poussé par un curieux Zéphyr, il s’installera à Bordeaux : ce nouvel ami métis, qui l’escorte dans les lieux de pouvoir comme dans le quartier noir, porte en lui le destin de Toussaint-Louverture (1743-1803), qui souleva la Révolution à Saint-Domingue.

Lorsque Corentin arrive en 1788 dans le berceau des Girondins, une partie de cette ville qui a prospéré autour de son port et de la traite négrière se penche sur la réalité de l’esclavage à la lueur des Lumières. L’abominable figure de Pont-Cassé concentre l’arrogance et la cruauté des esclavagistes qui y font la loi.

Girondins

L’auteur n’épargne pas sa créature. En suivant le fil des illusions de celui qui se perd à vouloir gagner, sur une quarantaine d’années, le lecteur traverse une France secouée au gré des régimes, et des heurs et malheurs de ce héros trop souvent malgré lui. Les femmes ne sont pas étrangères à la réussite de ce juriste éclairé, qui trace sa route à la barbe des ténors du barreau, discret et fin calculateur naviguant entre grandeur d’âme et épisodes de veulerie. Il échappe à la Terreur alors que ses amis, acquis comme lui à la cause des Girondins, se font couper en deux. « La Révolution, comme Saturne, dévore ses enfants ». En Périgord aussi, une horde avide de vengeance fait couler le sang de la noblesse abolie, du clergé réfractaire. Corentin y perd ceux qu’il aime.

Les êtres de fiction modelés par l’auteur croisent les véritables acteurs de ces temps troublés, comme le marquis d’Aulède, propriétaire de Margaux et ancien maire de Bordeaux. On voyage dans cette ville, personnage à part entière de ce roman, dans les vignobles à la saison des vendanges, en Périgord-Quercy, bien sûr, et dans le terrifiant théâtre des guerres où Napoléon sacrifie ses troupes, dans la dernière partie du livre consacrée à l’Empire. On voit Corentin prendre de l’épaisseur, sacrifier quelques valeurs et conjurer ses peurs, jusqu’à l’impensable.

Qui voudrait se laisser couler vers la période postérieure en conservant des attaches locales peut relire Pontcarral, du Périgourdin Albéric Cahuet. Et, bien sûr, plus largement, les chefs-d’œuvre de Stendhal (Corentin croise un certain Beyle, un romantique qui se rêve écrivain…), Balzac, Hugo, Dumas, Le Roy auxquels Jean-Luc Aubarbier rend hommage dans la postface.