Le numéro 27 boulevard Jean Moulin ressemble à une entrée d’immeuble banale au cœur du quartier prioritaire des Deux-Rives à Bergerac. Il y règne pourtant une activité inhabituelle depuis juin 2017, date d’acquisition par La Gare Mondiale. Cet ancien local commercial est devenu un espace d’innovations sociales et artistiques en accueillant, dès son ouverture, un groupe accompagné par le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles(Cidff) de Bergerac. Chaque début de semaine, elles sont près d’une vingtaine à échanger leurs nouvelles, discuter de tout et de rien, mêlant gravité et légèreté. Un véritable lieu d’entraide et de convivialité émerge ainsi, baptisé Ali’mentation générale, en référence au film documentaire réalisé par Chantal Briet et sorti en 2005, où à Épinay-sur-Seine, la vieille épicerie d’Ali, seul commerce du quartier, permettait de maintenir du lien.
Un parcours ponctué de ruptures
Assistant à l’une de ces réunions, le fondateur de La Gare Mondiale, Henri Devier, a l’idée en 2020 de recueillir la parole des participantes autour de cette question : « quelle fut, pour chacune d’entre elles, la somme des maisons habitées depuis l’enfance ». Une cartographie a été mise en place : aucune ne venait de Bergerac. Elles sont arrivées là au terme d’un parcours ponctué de ruptures.
Avec l’aide de Bénédicte de Taffin, animatrice du Cidff 24, et d’autres auteurs comme Christelle de Conti, Carmen, Christine, Cyrila, Danièle, Elsa, Fatima, Françoise, Géraldine, Maria, Marie-Christine, Nicole, Sandra et Sylvette témoignent de leurs propres parcours. Elles écrivent aussi un texte collectif et l’ont mis en musique pour une émission de Radio Comons… Pourquoi pas un livre ?
C’est là que Sara Ghazali et François Penaud Desmoulins entrent en scène. Tandis que la libraire d’Eymet (La Mauvaise Herbe) leur explique comment faire un livre, à qui il s’adresse, combien ça coûte, etc, le second, illustrateur, s’est immergé au sein de leur groupe avec son bloc de papiers blancs. Puis le lien a été fait avec l’éditrice Claude Fosse.
Se “livrer”
Son association Langage Pluriel, créée en 2001 dans le Var et en 2009 en Dordogne, s’emploie à restituer la parole sous forme écrite et sous forme théâtrale. Recueillant ces témoignages au sein de la maison d’édition éponyme, fondée en 2023, elle a à cœur de les porter sur la place publique sous forme de lectures avec la collection Traces.
Parmi le groupe des lectrices, toutes ne sont pas autrices des textes publiés : « C’est touchant de prendre la parole pour celles qui ne peuvent pas, par sécurité », indique l’une d’elle.
C’est le cas de Françoise, qui a écrit un texte poignant mais qui ne peut pas le partager verbalement. « Ce travail d’écriture m’a libérée et permis de tourner une page afin de repartir sur de bonnes bases » (1). Danièle la rejoint : « Oui ça libère d’un vécu qui n’a pas toujours été très facile. Et, c’est vrai qu’il y a une bonne ambiance dans le groupe. Moralement, ça fait beaucoup de bien » (1).
(1) Source : Podcast Grand Bergeracois Audacieux.fr
Emma LASSORT
Les lectures à haute voix
Il y en a eu quatre à Eymet, Bergerac, Coulounieix-Chamiers et Villeréal. Les prochaines sont programmées le 4 octobre, à 18h30, à la médiathèque de Bergerac, et, le 19 octobre, à 18h30, “Chez Simone”, dans l’ancien café-restaurant de Ligueux où Les éditions Langage Pluriel ouvrent un café-librairie, lieu de rencontres et de spectacles.
Texte mis en musique pour la radio Commons
« Nous sommes des femmes mais pas que.
Nous habitons le quartier mais pas toutes.
Nous occupons un lieu situé au 27 boulevard Jean-Moulin
au cœur de Bergerac. Et l’avons baptisé
Ali’mentation Générale
C’est le titre d’un film qui nous a inspirés
comme expérience d’entraide et de convivialité.
Certaines disent que c’est une épicerie culturelle
mais ce n’est pas sûr. C’est avant tout un lieu de rencontre,
d’accueil et d’échanges.
Certaines y cousent, on les appelle les Ali Couseuses
D’autres cuisinent, c’est la Brigade d’Ali.
Mais ce n’est pas que cela.
On y trouve aussi des temps de parole, un jardin partagé,
la langue des signes, etc… Certain(e)s viennent d’ailleurs,
de Berlin, d’Istanbul, de Palerme, de Bordeaux
mais aussi d’à côté.
Ils, elles, sont artistes, ils, elles, habitent d’autres lieux
et viennent partager d’autres expérience.
Et nous ?
Nous sommes impatientes de vous rencontrer, d’accueillir vos envies pour réinventer ce lieu en permanence.
On peut dire que ça fonctionne collectivement sur le désir,
la rencontre et l’écoute. ça se décide, ça se tricote ensemble.
Ça cherche tout simplement à créer un “lieu ancré” dans le monde. »