C’est une promenade artistique qui transpire les limites que l’on s’impose, les murs qui séparent — fussent-ils végétaux — et le ciel bas et lourd pesant comme un couvercle. Une atmosphère lourde, un spleen plus palpable encore en ce début d’été pas comme les autres.
Retenu par la Ville de Périgueux dans le cadre d’un appel à projets destiné à des artistes d’envergure nationale, Alexis Defortescu pose un regard curieux sur le monde périphérique, pas encore la ville, plus vraiment la campagne, sur ces « non lieux » prononcés comme une condamnation à perpétuité. À l’uniformité. Ses œuvres sont installées entre le hall du musée, vaste espace minéral qui ouvre sur le jardin, et la grande salle où l’on aperçoit Une âme au ciel, de Bouguereau, comme une élévation et possible rédemption.
Un coin de ciel bleu
Les dessins et croquis noir et blanc sont autant de fenêtres sur un monde fragmenté, répétition de ce qu’il pourrait être pour qu’on y vive mieux. En vis-à-vis des tableaux colorés, un dialogue s’opère sur des questions de proportion, de profondeur, de rythme.
Avec Les grandes haies, toiles dressées à l’expression de ce qui dépasse, le peu de chose visible au sommet de biens si communs qu’on les imagine semblables par-delà ce qui les dissimule.
Une résidence artistique avait entraîné Alexis Defortescu en Normandie, le ciel immense pourrait en témoigner du haut des toiles, mais ces paysages pavillonnaires sont finalement de partout, cadrés à hauteur de passant sur le trottoir, dans tous ces lotissements que l’humain ne fait que traverser. Rentrer chez soi en longeant la vie des autres. Espace vécu sous la contrainte de l’intendance, du strict minimum ou du curieux superflu, de contingences familiales en appel du dehors professionnel, sans grande place pour la fantaisie. La résistance passe par ce qui pousse, malgré tout, brin de verdure rebelle au pied du mur.
Rapport à l’autre, cet invisible
Ce qui dépasse de soi, toit ténébreux hissé sur la pointe des façades, à hauteur de réverbère, semble aussi menaçant que le ciel en surplomb. Des pignons, des cheminées, des lucarnes, en série… répliques dignes d’un séisme ou d’une scène. Le maire-adjoint à la culture, Rodolphe Delcros, évoque « une approche du paysage dans son uniformité plus que dans son ouverture », marquée par un souci de cadrage, la volonté de saisir des morceaux d’architecture.
L’artiste a engagé cette recherche il y a quatre ans, « lors de la séquence étonnante et surréaliste du confinement : dans le kilomètre autorisé, la végétation se limitait à un arbre qui dépassait, et des haies ». Une collecte de photos s’est transformée en dessins et ceux-ci on conduit aux peintures. Les haies se sont imposées dans le processus de contemplation, à regard d’enfant, « appelant une poésie, celle d’imaginer ce qui se passe derrière ». Mais aussi un point de vue critique sur ces résidences périurbaines, constructions accélérées par la crise sanitaire, représentées sous des cieux chargés, symboliquement orageux.
Le visiteur se mesure au travail de proportion suggéré par l’artiste comme une surprenante grille de lecture de la ville, entité urbaine que la maire, Delphine Labails, se proposait lors du vernissage d’interpréter à la faveur du vivre ensemble et du rapport à l’autre, où chacun trouverait sa place dans un espace public partagé. « Cela permet de s’interroger sur l’évolution de la ville, l’apparition-disparition. » Et de relier cette exposition au travail mené voilà bientôt trois ans à Périgueux par des étudiants de l’École d’architecture et du paysage de Bordeaux sur les friches urbaines, en suivant le fil vert du végétal.