Les vins de Bergerac et Duras sont engagés dans une démarche d’information du consommateur pour que les efforts en faveur de la biodiversité dans le vignoble soient diffusés par le réseau direct des vignerons, bien sûr, mais aussi les cavistes traditionnels, l’hôtellerie restauration, la grande distribution, la vente en ligne et les chaînes bios en pleine ascension. Le plan de relance du vignoble passe par l’ensemble de ces prescripteurs.
Trois vignerons avaient rendez-vous avec les visiteurs du Festival du livre gourmand, à Périgueux, en novembre dernier pour un café littéraire sur le thème : “Quand les vignerons de Bergerac Duras écrivent le vignoble de demain : initiatives pour une biodiversité à préserver”. Caroline Feely (en viticulture bio et biodynamie, elle a créé des animations de découverte de la biodiversité sur le domaine repris avec son mari) ; Guillaume Barou, président de la Cave de Monbazillac, cave à l’origine de d’initiatives environnementales comme le programme Bat Viti introduisant des nichoirs pour les chauves-souris ou encore une expérimentation robotique pour le désherbage dans les vignes) ; Anthony Castaing (Grange Neuve) participe à “Monbazillac en fruits” avec la plantation d’un millier d’arbres fruitiers dans le vignoble de l’AOP par 34 vignerons.
La force de la biodiversité
Ils ont réservé à BIEN en Périgord un moment (convivial) supplémentaire avec Marie-Pierre Tamagnon (interprofession des Vins de Bergerac et Duras – IVBD), Cécile Lelabousse, (chargée de mission environnementale depuis 2018) qui accompagne la transition avec déjà une bonne moitié de vignerons engagés et Martin Walker, infatigable ambassadeur des vins locaux.
Caroline Feely rappelle que lorsqu’ils ont acheté le domaine avec son mari, en 2005, le bio ne représentait que 1 % en France, sans ingénierie… à sa grande surprise car la demande était déjà forte à l’international sur ce créneau. Elle se sent moins seule à présent.
« Ce n’est pas seulement une question d’opportunité, de stratégie ou de conjoncture économique, assure Marie-Pierre Tamagnon. C’est un état d’esprit. Mais je remarque que des viticulteurs qui n’ajoutaient pas le label sur leurs étiquettes, soucieux qu’on achète d’abord leur vin pour ses qualités, sans faire du bio un argument de vente, ont franchi le pas. Le Bergeracois a une légitimité, c’est la personnalité de notre vignoble d’avoir une biodiversité préservée. Nos paysages parlent pour nous, tout comme la personnalité des vignerons. Ce n’est pas un vignoble de financiers, le propriétaire est dans ses vignes. Nous n’avons pas la pression de plusieurs centaines de milliers d’euros à l’hectare. Nos faiblesses sont devenues des forces. »
La valeur de l’expérience
Dans l’économie du vin, la pression est grande. « Avant, le bio n’était pas un sujet, c’était une niche, maintenant les acheteurs ne nous retiennent pas sans label », assure Guillaume Barou. « Le HVE, moins exigeant que l’AB, devient un standard, d’autres ont disparu car la multiplication créait le trouble. On avance vraiment dans le bon sens, les labels évoluent en fonction de la demande et des exigences. » La discussion entre voisins vignerons compte beaucoup, l’exemple est très porteur. « La valeur du témoignage fait plus que les contraintes. Les deux groupes qui pouvaient éventuellement s’affronter, bio et non-bio, sont moins accrochés à des convictions, certains ne sont pas bio mais en utilisent les méthodes : une vigne se cultive dans la durée, une vieille plantation tordue n’est pas forcément adaptable. »
Transmissions et reprises
« Désormais, la plupart des vignerons qui s’installent cherchent des terres déjà certifiées ou vont les transformer en bio », note Cécile Lelabousse. « C’est un prérequis pour les transmissions, même s’il n’y a pas d’impact sur le montant de la transaction », poursuit Guillaume Barou. Une chargée de mission de l’IVBD s’occupe spécialement de faciliter les transmissions, car un grand nombre de propriétaires avance en âge sans succession prévue. Effet post Covid : la Chambre d’agriculture voit augmenter les dossiers d’installation, en viticulture comme dans d’autres spécialités. Un bel engouement pour la Dordogne.
Historiquement, en Bergeracois, l’offre technique est réelle, avec d’importants progrès en production, ce qui favorise les installations. Et des investisseurs s’intéressent au vignoble : la reprise du joyau des Verdots par le milliardaire islandais Robert Wessman, passionné de vin déjà propriétaire du château voisin de Saint-Cernin, en est une belle illustration (article à venir). Et les valeurs sûres comme Monbazillac ne s’endorment pas sur leurs lauriers (lire encadré).
Environnement et social
Des expériences d’abord confidentielles, parce qu’elles demandent un temps d’observation, finissent par émerger, qu’il s’agisse de limiter les intrants ou d’agroforesterie, avec des projets portés par des structures et d’autres plus individuels… Alors que ces questions environnementales sont à l’ordre du jour depuis une dizaine d’années dans le vignoble, le temps de la synthèse et du faire savoir est venu : après les épisodes isolés, la force du collectif prend le dessus, et Cécile Lelabrousse assure une mission de liaison essentielle. Pour Caro Feely, ancrée dans ces valeurs depuis toujours, c’est réconfortant de les voir partagées par un plus grand nombre de vignerons. « Nous ferons évoluer cette notion ensemble. » Et Guillaume Barou ajoute que la partie sociale adossée aux projets environnementaux est tout aussi importante, avec un travail en direction des scolaires notamment (préservation des espèces avec Bat Viti, etc.). « Tout le monde s’enrichit de cette transversalité. »
Nouveau : un sec à la cave de Monbazillac
La cave de Monbazillac innove en sortant un blanc sec haut de gamme, en HVE.
La récolte manuelle, qui permet de préserver le fruit, se fait sur des cépages de sauvignon, mais aussi ceux plus emblématiques de muscadelle et sémillon. Le passage en barrique avec des fonds en acacia, pour plus d’acidité, dure entre 4 et 6 mois. La commercialisation intervient un an après la mise en bouteilles, la première cuvée étant celle de 2019, avec un packaging en rupture avec le monbazillac traditionnel. D’autres nouveautés suivront…
Un château revisité
Monbazillac est un château de vignerons et le vin est replacé au centre de la visite du monument. En mai prochain, une nouvelle offre accueillera les visiteurs, avec un espace muséographique dédié aux liquoreux (un investissement de 600 000 euros, qui arrive après une série de rénovations de ce patrimoine historique) et une scénographie générale revue, en conservant un partenariat pour des expositions d’art contemporain.
La grande nouveauté, c’est l’espace de dégustation, avec une prestation payante et plus haut de gamme, l’intervention de vignerons pour parler des cépages ou de la biodiversité. Ce projet global de 2 millions d’euros, soutenu par des aides publiques, a impliqué une vingtaine d’adhérents dans le groupe de travail.
Le site sera accessible dans son ensemble moyennant un droit d’entrée, avec un accueil plus qualitatif en retour, pour passer au moins 3 heures sur place. De quoi ajuster une offre structurante environnante, avec le château de Bridoire notamment.
Cocktails au monbazillac
Pas question d’oublier un fond de bouteille dans un coin de réfrigérateur. Il faut oser le monbazillac — outre le fait qu’il est sorti depuis longtemps du sucré pour aller vers les fromages, volailles ou poissons… — avec une bière pour un résultat façon “desperado” ou un coulis de fraise pour un “monbatagada” ou encore une rondelle de citron vert, eau pétillante et menthe. Nul sacrilège, juste des expérimentations.
2021, année de vigneron
Le travail de la vigne en 2021 a mobilisé le savoir-faire et le sérieux des vignerons : rien n’a été facile, le gel de la fin d’hiver, la lutte contre le Botrytis dès le mois de juin… La pourriture acide a demandé un travail de tri et plus d’un tiers de raisins a été jeté à Monbazillac. Cette climatologie fait que ce millésime, avec des volumes en baisse, ne ressemblera à aucun autre, avec de l’acidité et de la fraîcheur pour les secs et rosés, et des degrés à la baisse pour les rouges. « C’est une mise à l’épreuve. J’ai multiplié par deux mon temps de vendanges pour une récolte de 17 hectolitres au lieu de 27 », constate Guillaume Barou.