La photo, pour Diane Ducruet, c’est d’abord une ligne de vie. Elle passe son enfance en découverte permanente auprès d’un père amateur éclairé, qui pratique la photographie plasticienne en collaborant notamment avec Michel Butor, dans les années 1980, et réalise des tirages pour des galeries comme celle d’Alain Oudin, à Paris. Initiée au tirage photo à ses côtés, elle perçoit d’abord comment la technique peut soutenir une œuvre et un artiste, aide à comprendre et retranscrire des enjeux. « On se place au service du langage d’un autre, même si on peut y mettre du sien : on s’efface pour le mettre en lumière. »
L’adolescence et ses parenthèses d’ennui conduisent Diane à mettre en scène des objets et photographier des natures mortes, portée par une double influence artistique puisque sa mère est peintre : son regard est d’ailleurs façonné par l’histoire de la peinture plutôt que par celle de la photographie. « Dans mes compositions récentes et de par la qualité de tirage, j’ai encore une vision picturale, c’est de la photo plasticienne : je combine la photo avec cette approche, en mêlant par exemple des sculptures du Louvre à des portraits. »
Beaux-Arts et École nationale de la photographie
Le cheminement de Diane est balisé d’étapes importantes, les Beaux-Arts du Havre et du Mans, l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, un parcours construit dans l’optique de pratiquer la photo à titre personnel, qu’elle va concilier avec des interventions en agence et des fonctions plus commerciales : « Iconographe, je sélectionnais des images pour la presse, la publicité, l’édition… C’est une autre façon d’exercer l’œil, en se mettant à la place de celui qui cherche une image, ce qui suppose de comprendre le langage du support sur lequel elle sera éditée et la direction artistique afin de proposer un choix en cohérence ». Cette activité, débutée à Paris dans une agence japonaise, s’est poursuivie en Allemagne.
Elle passe huit ans outre-Rhin, à Berlin d’abord, comme photographe indépendante, elle participe à des festivals à l’étranger, se constitue un réseau de contacts et développe son travail de photographe plasticienne ; puis à Hambourg, en 2007, où elle monte son studio photo. Son conjoint, qui travaille dans le spectacle vivant, a plus de facilités à poursuivre sa carrière en France et le couple engage son retour, Diane voyant aussi dans la venue au monde de sa fille une période de transition.
Se donner les moyens d’être artiste
Son compagnon tournait beaucoup dans le Sud-Ouest pour ses activités, et le Périgord s’est imposé dans le paysage de leurs recherches . « En Allemagne, on avait décidé de trouver un pied-à-terre en France, à la campagne. Pour ma part, je venais tous les étés en vacances, avec mes parents, aux confins du Lot et du Périgord. Le choix s’est naturellement porté sur ce département où il fait si bon se promener. » Le couple s’installe d’abord à Paris, pour des raisons professionnelles, et cherche l’opportunité de se déplacer complètement en Périgord, où il a déjà trouvé un terrain pour construire une maison. « Il fallait qu’au moins l’un de nous deux puisse y gagner sa vie. J’ai grandi dans une famille d’artistes, avec des problématiques financières, voilà pourquoi j’ai toujours associé un travail à ma démarche artistique : il faut avoir les moyens d’être artiste, être à l’abri. C’est ce qu’écrit Virginia Woolf dans Une chambre à soi.»
Pour arriver en Périgord, il fallait donc s’assurer une disponibilité, un mode de vie moins contraignant pour la vie de famille, dégager du temps. « Même si la campagne est en train de changer sur l’idée qu’on s’en faisait : la pandémie a accéléré le passage au télétravail. J’ai accueilli pas mal d’urbains en réorientation d’activité pendant cette période. »
Ce changement de cap correspond parfaitement à l’organisation de Diane, super flexible et autonome. Le couple trouve dans cette maison de particulier, bien repérée sur la place d’Armes, la possibilité de créer un lien avec l’environnement local et de susciter des collaborations, de proposer des résidences d’artiste. Le modèle économique, pour faire vivre cet espace qui ne génère pas de revenus, repose sur la location de trois chambres aménagées à l’étage : ce financement du foncier fait intégralement partie du projet de l’Atelier, la fréquentation touristique à Montignac-Lascaux profitant ici à la démarche artistique. « On est à l’équilibre depuis l’ouverture, début 2019. Malgré le contexte, nous avons organisé des événements en danse, spectacle vivant, musique… »
Objectif : un lieu de création
Diane et Emmanuel ont combiné leurs compétences pour inviter des créateurs qui poursuivent ici un travail émergent, production d’objets picturaux et de spectacle vivant. Il peut s’agir d’un groupe de musiciens classiques et DJ électro pour une traversée du temps avec de la percussion primitive. « Nous recherchons toujours une cohérence avec le lieu, c’était notre concert inaugural avec une expo photo dans le même esprit. Nous avons aussi reçu une scénographe, Sarah Lee, pour la première restitution publique de The Landlady, forme expérimentale d’après “Le Terrier” de Kafka avec un dispositif de cage géante en métal installé sur la place, une danseuse de hip-hop voguing, le guitariste de jazz Marc Ducret et un instrumentiste à vent lituanien. »
À chaque résidence, Diane accompagne les artistes dans leur communication et réalise les photographies pour leurs dossiers, une offre de contenu en guise de mécénat, dans une réciprocité efficace. C’est aussi le cas avec Cécile Vazeille : « J’ai réalisé un travail personnel sur ses céramiques exposées à l’Atelier, mes photos venant appuyer le dossier qu’elle préparait pour la DRAC pour une subvention d’achat de four électrique ».
Avec Frederick Ridacker, qui a troqué la photo pour le dessin au feutre, dans une proximité tout enfantine, Diane prépare une exposition de vues de Montignac : après un repérage photo dans les rues de la cité, il a composé des tableaux en détournant les codes de la représentation touristique classique.
Ces rencontres et coups de cœur en entraînent toujours d’autres, sur des références communes, comme le lien noué peu à peu avec Philippe Nolde. Maintenant installé à Peyzac-le-Moustier, après avoir notamment accompagné des photographes internationaux à la Maison Européenne de la Photographie, il a constitué une formidable collection privée de photos stéréoscopiques, que la galerie expose cet été. Cet expert interviendra aussi lors d’une conférence consacrée au lien entre tourisme et photographie. « De la grotte des Combarelles, où l’on voit déjà cette tentative de reproduire le mouvement, jusqu’à “Avatar” de Cameron, on mesure le désir humain de s’inscrire dans l’image, » rappelle Diane. Sans oublier Lascaux 3D qui prendra bientôt le relais de l’exposition itinérante des fac-similés de la célèbre grotte dans le monde.
Itinéraires de l’œil : photographies stéréoscopiques en 3D
C’est une collection privée de visionneuses et de photographies en stéréoscopie des années 1960/1970 qui aurait pu rester sagement à l’abri des regards. Ces objets colorés permettent de voir en relief des fiches diapositives représentant des régions, des monuments et châteaux, des paysages, des villages… L’Atelier a imaginé un accrochage résolument “Pop” de cette époque pour raviver nos souvenirs, en y ajoutant les ancêtres du procédé, plaques de verre et flip books. Les visionneuses en plastique et les planches stéréoscopiques composent sur les murs de la galerie un itinéraire imaginaire qui revisite cette pratique désuète avec ce qu’il faut de nostalgie dans la composition créative. L’exposition souligne la banalisation de la photographie couleur qui immortalise le temps des vacances, en instantané ou en pose très étudiée, dans des lieux “remarquables” d’un tourisme toujours plus populaire. Et la grotte de Lascaux n’était pas le moindre de ces sites, jusqu’à sa fermeture, en 1963.
L’exposition interactive permet à chacun de s’approprier ses sujets préférés, ses madeleines de Proust, pour faire remonter des émotions d’enfance en relief ou créer des surprises. Un ensemble de photographies couleur, projeté en permanence, accompagne la visite. Et en marge de ces “Itinéraires de l’œil”, Diane Ducruet présente un nouveau travail autour du portrait, en résonance avec ces images en 3D, des photos anaglyphes qui reprennent ce procédé.
• L’Atelier, Studio photo, place d’Armes, du 17 juillet au 30 septembre 2021, mercredis, vendredis et samedis de 16h à 19h30.
Encore un autre morceau de vie !
De retour en France, classée senior dans son métier du haut de sa petite quarantaine, Diane n’a pas retrouvé de poste en agence photo : le rapport à l’image, d’un point de vue commercial, a explosé et la profession est exsangue, balayée des budgets com. « Je me suis alors orientée vers un métier improbable : la pré-normalisation packaging industriel. Il fallait aussi être trilingue, alors j’ai tenté la découverte de cet univers un peu poussiéreux dont je pressentais le potentiel d’évolution. Et c’est en effet passionnant, basé sur l’échange de savoir-faire, leur mise en collaboration et leur pérennité, la patrimonialisation sous forme de documents pour une distribution dans le monde entier. » Ce travail pour de grands verriers européens concerne le conditionnement liquide, qu’il s’agisse de boissons (vins, champagne, soda, bière), de pharmacie, de cosmétique… « Nous travaillons ainsi avec de prestigieux groupes de parfumerie, de Chanel à L’Oréal, avec un formidable développement depuis huit ans. »
Et tout ça depuis Montignac, le siège de Cetie étant basé à Paris. « J’ai mis en place des outils collaboratifs, un extranet. Nous sommes désormais plus visibles et nous nous ouvrons même à des missions de R&D, avec des bagues interchangeables pour passer de la pompe sertie à la pompe vissée dans un parti pris développement durable, afin de créer des moules pour des flacons interchangeables ou réutilisables. » Voilà l’emploi à 80 % de Diane… qui travaille bien sûr à plus de 100 % pour mener à bien tout ce qu’elle entreprend à l’Atelier.